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le fils de monsieur le curé

Publié le 03 juillet 2015 par Dubruel

~~LE CHAMP D'OLIVIERS Quand les hommes du port de Garandou Aperçurent la barque de l'abbé Padoux Qui revenait de la pêche, ils ont accouru : -" Eh ben ! Bonne pêche, monsieur le curé ? " -" Oui. Trois barbues, Deux dorades et six rougets. " Malgré ses soixante ans, L'ecclésiastique Était d'une nature énergique. Il ressemblait plus à un aventurier Qu'à un desservant. Il sauta sur le quai, Puis remonta Vers son presbytère À grands pas lents, Avec un air de force et de dignité. Il se découvrait par moments Quand il passait sous l'ombre des oliviers Pour livrer à l'air frais de la soirée Son front carré, Le front d'un officier Plutôt qu'un front de curé. Ses yeux calmes regardaient le village, Son village, Où il était curé depuis vingt ans. C'était un homme du monde auparavant, Le baron de Padoux, un homme fort élégant. Ayant eu à trente ans Un terrible chagrin d'amour, il se fit prêtre

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Un ami lui avait fait connaître Une actrice qu'il aima pendant Quatre ans. Il aurait fini par l'épouser S'il n'avait découvert un qu'elle le trompait. Le drame s'aggravait Par le fait Qu'elle attendait un enfant. Le baron lui reprocha sa perfidie Et l'aurait tuée sur le champ Si elle ne lui avait pas dit : -" Ne me tue pas. Ce n'est pas ton enfant. " Alors, le baron lui dit seulement : -" Va-t'en, laisse-moi Et que jamais je ne te revoie. " Elle obéit. Lui, partit de son côté Sur les bords de la Méditerranée. Une auberge lui plut. Il y demeura un an, Dans le chagrin et un complet isolement. Il confiait sa peine à Dieu, À son Dieu Dans de ferventes oraisons Il Lui demandait conseil, secours, protection. Il ne cessa pas toutefois d'aimer Les exercices violents, L'aviron et le tir au pistolet. Mais maintenant, il détestait Les femmes comme un enfant Craint les mystérieux dangers.

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Le prêtre avait traversé Le champ d'oliviers. Il s'est arrêté Devant sa porte. Sa servante installait La table du dîner. -" Eh ! Martha ! Je vous apporte des rougets. Vous allez me les faire griller au beurre, Rien qu'au beurre, Vous entendez ? " -" Oui, monsieur le curé. Ah ! Je dois vous dire aussi Qu'un homme est venu trois fois Vous demander ici. " -" Un homme ? Quel genre d'homme ? " -" Je ne sais pas trop, ma foi. " -" Un mendiant ? " -" Je croirais plutôt un maoufatan. * Tiens, le revoilà. " L'abbé aperçut Un homme mal vêtu Âgé de vingt-cinq ans environ, Qui s'en venait vers sa maison. -" Bonjour, curé ! " dit le voyou -" Je vous salue " répondit l'abbé Padoux À ce passant suspect Le jeune homme questionna l'abbé : -" Hé bien ! Vous me reconnaissez ? " *Mot provençal signifiant rôdeur, malfaiteur. Le prêtre, très étonné, le contemplait : -" Pas du tout. Je ne vous connais pas. " -" Ah ! Vous ne me reconnaissez pas ? " -" Non, j'ai beau vous regarder, Je ne vous ai jamais.... " -" ''vu'', ça, c'est vrai. Mais en voici un que vous connaissez. " Et il tira de son sac une photographie, Tâchée, marbrée, jaunie. " Et celui-là, vous le connaissez ? " L'abbé demeura stupéfait : C'était Son propre portrait, Tiré jadis Quand il était amoureux de l'actrice. L'abbé ne comprenait pas. Le vagabond répéta : -" Le reconnaissez-vous, celui-là ? " Le prêtre balbutia : --" Mais oui. " -" C'est bien vous ? " -" Oui, c'est moi. " -" Eh bien ! Regardez-nous Tous les deux, vous Sur le portrait, et moi. " -" Que me voulez-vous ? " D'une voix méchante, le gueux Répondit : -" ...Mais je veux Que vous me reconnaissiez. " -" Mais qui êtes-vous ? " -" Qui je suis ? Demandez À n'importe qui En lui montrant ça Et j'en suis certain,...il rira. ...Et vous, vous ne me reconnaissez pas ? Je suis votre fils, curé-papa. " Alors, l'abbé, désespéré, gémit : -" Ce n'est pas possible. " Le jeune homme s'approcha tout contre lui : -" Ah ! Ce n'est pas possible ? " Il avait une figure menaçante, Les poings fermés Et parlait de façon violente. Le prêtre se dit : '' Cet homme ne peut pas se tromper.'' Et s'est exclamé : -" Je n'ai jamais eu de fils. " L'autre, riposta : -" ...Et pas de maîtresse ? " -" Si. " -" Et cette maîtresse N'était pas grosse quand vous l'avez chassée ? " Soudain la colère du curé, Non pas étouffée mais murée Au fond de son cœur d'ancien amant Brisa les voûtes de son engagement. Et explosa : -" Je l'ai chassée Parce qu'elle m'avait trompé Et qu'elle portait Un enfant qui n'était pas de moi. Sans quoi, Je l'aurais tuée. " Surpris par l'emportement du curé, Le jeune homme hésita Puis répliqua Plus doucement : -" Qui vous a dit que ce n'était pas votre enfant ? " -" Mais...ma maîtresse, et en me bravant. " -" Eh bien ! C'est maman qui s'est trompée, Et de surcroît en vous narguant. " -" Qui vous a annoncé Que vous étiez mon fils ? " -" Elle, en mourant...Et puis ceci... " Et il tendit au prêtre une autre photographie. L'ecclésiastique la prit Et compara son interlocuteur inconnu Avec le premier cliché. Il ne doutait plus : C'était bien son fils !

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Menacée par l'amant outragé, L'actrice, perfide, lui avait menti Pour sauver sa vie. Et le mensonge avait réussi. Son fils était devenu ce miséreux, Debout devant lui sordide et vicieux.

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-" Expliquez-vous un peu mieux. " -" C'est pour ça que je suis venu, parbleu ! " -" Alors, votre mère est décédée ? " -" Oui. " -" Il y a longtemps ? " -" Oui. Trois ans. " -" Et comment n'êtes-vous pas venu Me trouver avant ? " -" Je n'ai pas pu. J'ai eu des empêchements... Je vais vous raconter Mais auparavant, je dois vous avouer Que je n'ai rien mangé Depuis hier matin. " L'abbé lui tendit les deux mains : -" Oh ! Mon pauvre enfant, allons diner. " Dix minutes plus tard, ils s'asseyaient Devant le plat de rougets : -" Comment vous appelez-vous ? " Demanda l'abbé Padoux. -" Père inconnu ; nom de ma mère. Et j'ai deux prénoms Qui ne me vont guère : Philippe-Louis. " -" Pourquoi vous a-t-on donné ces prénoms ? " -" Maman a voulu Faire croire à votre noble rival Que j'étais son fils. Jusqu'à mes quinze ans, il l'a cru, L'animal. Là, j'ai commencé à vous ressembler Et la canaille, il m'a renié. Et comme je ne ressemblais À aucune personne de votre famille Je fus appelé Philippe-Louis de Fréville Fils reconnu tardivement Par ce comte-sénateur, amant de maman. " -" Vous l'avez appris comment ? " -" Lors d'une scène entre lui et maman. " Quelque chose de tenaillant, Une sorte d'étouffement Oppressait l'abbé. Cela lui venait, Non pas tant de ce qu'il entendait Mais de la façon dont elles étaient prononcées Par cette crapule de voyou. '' Dire que c'est mon fils'' Pensa l'abbé Padoux. Mais il voulut tout écouter, Tout supporter. L'abbé appela Martha : -" Apportez-nous deux bouteilles de rosé. " Philippe-Louis, radieux, s'exclama : -" Chouette ! Voilà une bonne idée ! " -" De quoi est morte votre mère ? " Questionna l'abbé. -"De la poitrine." -"A-t-elle longtemps souffert?" -" Dix-huit mois à peu près ". -" Elle vivait encore avec lui, n'est-ce pas ? " -" Oui...mais avec des hauts et des bas. " -" Furent-ils heureux Tous les deux ? " -" Ça aurait était très bien sans moi. Mais j'ai toujours tout gâté. " -" Comment et pourquoi ? " Demanda l'abbé. -" Le comte accusait maman De l'avoir mis dedans. Maman ripostait : ''Quand tu m'as prise, tu savais Que j'étais la maîtresse de l'autre.'' C'est vous, ''l'autre'' " -" Ah ! Ils parlaient de moi quelquefois ? " -" Ils ne vous ont jamais nommé devant moi, Sauf aux derniers jours, à la fin, À la toute dernière fin. " -" Et quand avez-vous appris que votre mère Était dans une situation... irrégulière ? " -" Je ne suis pas naïf, vous savez Et je ne l'ai jamais été. " Le garnement se versait sans arrêt à boire. Ses yeux s'allumaient. Le prêtre faillit l'arrêter mais il a pensé Que l'ivresse le rendrait bavard. -" Que disait-elle de moi, votre mère ? " -" Ce qu'on dit d'ordinaire D'un homme qu'on a lâché : À savoir que vous étiez Un compagnon particulièrement embêtant. " -" Elle a dit cela souvent ? " -" Oui. " -" Et vous, dans cette maison, Comment vous traitait-on ? " -" Moi ? Très bien d'abord Et puis, on m'a flanqué dehors. " -" Comment ça ? " -"J'avais fait des fredaines. Ces gouapes-là M'ont mis dans une maison de correction. Ah ! J'en ai eu une vie Après mon séjour dans cette prison ! Une drôle de vie ! On ne devrait jamais envoyer un garçon En maison de correction À cause des connaissances qu'on y fait. J'ai fait une autre bêtise qui a mal tourné : Comme je me baladais Avec trois camarades, tous éméchés, On a poussé une voiture Dans une rivière. Le chauffeur dormait. Il s'est réveillé dans l'eau. Il a dû nager... ! Mes copains m'ont dénoncé, Ces sales cochons Et me v'là en prison. Mais ma dernière bêtise, Il faut que je vous la dise Parce que celle-là, Elle vous plaira : Je vous ai vengé, mon papa. Quand, libéré, je suis rentré, Maman m'a annoncé : ''Je suis près de mourir Et j'ai quelque chose à te dire : '' Ton père est toujours vivant. '' Je le lui avais demandé pourtant Plus de cent fois... Mille fois... Mais elle avait en permanence refusé De me dire la vérité. Maman s'était assise dans son lit Et, s'adressant au comte, lui a dit : -''Je ne veux pas que mon fils meurt de faim. Alors, faites quelque chose pour lui, Philippe. (En lui parlant, elle le nommait Philippe) Il répondit : -'' Pour ce vaurien, Jamais ! '' -'' Voulez-vous qu'il meurt de faim, vraiment ? '' -'' Rosette, je vous ai donné chaque année Vingt mille francs chaque année. Inutile d'insister. Nommez-lui l'autre si vous voulez, Je le regretterai bien Mais en vérité, je m'en lave les mains.'' Se tournant vers moi, maman reprit : '' Ton père, le baron de Padoux, S'appelle aujourd'hui l'abbé Padoux, Curé de Garandou, dans le Midi. Nous étions amants Quand je l'ai quitté pour celui-ci.'' Elle me conta tout, sa grossesse y compris, Mais elle m'a caché vous avoir mis dedans. Maman devait mourir deux jours après. Un soir, le comte me toucha le bras : ''J'ai à vous parler. Je ne veux pas Paraître aussi méchant Que je l'ai montré à votre maman.'' Il m'offre un billet de mille francs. Qu'est-ce que j'allais faire avec mille francs ? Je vis, dans son tiroir, un gros tas de billets. La vue de cette liasse de papiers, Ça me donne envie de chouriner. Alors, ce saligaud de comte, je l'ai égorgé, Déshabillé, retourné Et ...ah ! ah !...je vous ai drôlement vengé !..." -" Après cette ignominie, qu'avez-vous avez fait ...? " -" Je me suis sauvé. Maintenant, ...papa...papa-curé... Est-ce drôle d'avoir pour papa un curé...! Ah ! Ah ! Faut être gentil Bien gentil avec bibi..." -" Écoutez. Demain matin, vous partirez. Vous vous rendrez À l'endroit que je vais vous indiquer Et vous ne devrez jamais le quitter Sans mon autorisation. Je vous verserai une petite pension. Si vous me désobéissez une seule fois, Vous aurez à faire à moi. " Bien qu'abruti par le vin, Le criminel comprit la menace et hurla : -" Faut pas m' la faire, papa... T'es curé...et je te tiens... Tu fileras doux, Ah ! Ah ! " L'abbé sursauta, Et lui jeta la table à la tête. Sentant qu'il devenait au pouvoir du prêtre, L'ivrogne sortit son couteau. Mais l'abbé culbuta son fils sur le dos Avec tant de violence qu'il ne remuait plus. Alertée par le bruit, Martha accourut. Elle vit d'abord le maoufatan, Baignant dans une mare de sang, Puis, sous la table, les pieds de l'abbé.

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Les gendarmes devaient découvrir Le curé et un homme qui semblaient dormir, L'un, du sommeil éternel, la gorge tranchée, L'autre, du sommeil des avinés. Les deux gendarmes se jetèrent sur ce dernier Et avant qu'il ne fût réveillé, Lui passèrent des chaînes au poignet. Puis le brigadier a interrogé : -" Comment l'abbé Ne s'est-il pas sauvé ? " -" Il était trop soûl ", répliqua Martha. Et tout le monde fut de cet avis-là. Personne n'imagina que l'abbé S'était suicidé.


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