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Etat de siège, Camus...

Publié le 05 juillet 2015 par Theatrummundi

état de siège.jpg

Photo: Clémence Cardot


Je suis arrivé un peu en avance, il faisait encore chaud, il y avait quelques personnes déjà. Je voulais voir L’Etat de siège de Camus. C’était hier, c’était la première en Avignon. Les gens qui allaient faire le public avaient l’air parisiens, je veux dire par là pressurés, trop sûr d’eux, sérieux avec ce décontracté faux, cet air de ne pas suer quand la canicule les fait ruisseler, tout cela qui est un mécanisme de défense, une façon de masquer leur extrême faiblesse, le vide ordinaire de leur vie vite évacuée et le psittacisme aigu de leurs paroles (je plaisante, bien sûr). Je me suis installé dans la salle suffisamment remplie pour que les acteurs aient la sensation d’un public, vers le centre, et à un fauteuil vide de moi, sur ma gauche, s’est placé un couple, la femme était très pâle, maquillée comme si sortant d’une autre scène elle s’était ruée là, l’homme m’a paru satisfait de lui et sympathique, avec un air étrange de n’être pas concerné. Puis l’acteur au plateau a commencé un laïus de bienvenue un peu improvisé, a placé une dame légèrement en retard et le spectacle a commencé. Puis il y a vite eu les acteurs à kokoschkas, petits corps marionnettes surmontés de la tête de l’acteur, et leur jeu très outré, et d’abord une minute, deux peut-être, j’ai regretté d’être venu, peut-être me suis-je même dit que c’était encore le peuple qu’on allait beaufiser, moquer, singer – et cette attitude-là, télés, radios, m’agace au plus haut point – puis non, non, ce n’était pas cela, peut-être même, avec humour était-ce le contraire de cela, une ode ironique aux gens simples, sains, un peu lâches aussi, et qui se font finalement abuser toujours par des pouvoirs, même idiots, et donc voilà je suis entré dans la pièce, je me suis fait au code, à l’outrance, on m’a présenté Diego et Victoria puis le Gouverneur lâche idiot et son Ministre fourbe, ces deux derniers kokoschkaïsés aussi. Et les acteurs se sont mis à tourner, prenant tous les rôles, la pièce de Camus s’est mise à prendre, avec sa peste qui arrive, l’horrible peste devenue drôle ici, mais drôle en ses deux sens, et qui commence à décimer. Et un temps on croit que c’est vraiment la peste, la maladie, et des souvenirs de Camus au lycée remontent, que c’est vraiment la peste donc et que l’histoire d’abord sera celle de Diego, qui est médecin, et des gens malades de la peste qui vont s’insinuer entre Victoria et lui, détruire ou fortifier l’amour… On croit en somme qu’il va nous revenir de décrypter comme on peut, et on peut assurément mal, cette métaphore de la peste. Et puis j’en suis là de la pièce qui m’a embarquée, avec son rythme rapide, parfois un poil trop peut-être dans le débit des acteurs, quand tout à coup le couple à côté de moi, excédé sans doute par ses outrances de jeu qui défrisent le ton bourgeois sans pour autant verser à la contemporaine obscénité, quand donc ce couple décide de partir. La femme fort logiquement s’engage dans le rang en direction de la sortie, quand l’homme, par un caprice imbécile, s’avise de partir de l’autre côté, et donc de me déranger, et mes voisins de droite. J’ai bien failli lui dire de passer de l’autre côté, mais j’ai craint qu’il ne me réponde et que nous ne gênions acteurs et spectateurs et lui ai fait place de fort mauvaise grâce. C’était la Peste. Il s’en allait au plateau par un côté, son assistante par l’autre. Car voici que Camus a entrepris de nous décoder lui-même sa métaphore et personnifié le pouvoir personnel de la Peste, qui ne veut en somme qu’ordonner, gérer, rationnaliser, administrer, ficher et procéder à la radiation les vivants. Par l’efficace truchement de la peur. Il faut bien dire que la Peste aussi sait menacer, tuer, organiser, mais également charmer, sourire, rire et… danser, avec son efficace, glaçant et drôle assistante. Et pour cela il faut défaire l’ordre ancien, latin, avec son Gouverneur de carnaval, et défaire la simplicité ordinaire des gens, entraide et mesquinerie, défaire la décence ordinaire, les modes de vie anciens, il faut planifier tout, hygiéniser tout, la vie et la mort, perdre chacun dans les méandres de l’administration de tout. J’avais l’impression désagréable de le connaître personnellement, le gars qui jouait la Peste, alors que non sans doute, en vrai. Et c’était plutôt bien, vraiment, d’avoir cette sensation. Voilà, on y est, on y est aujourd’hui aussi, dans la peste, il n’est pas question seulement de temps passés, historiques, nazisme ou communisme ; non, non, on y est, on y est toujours. La Peste, on l’apprend, ne peut rien contre celui qui n’a pas peur d’elle – ni de mourir. Je suis sorti content du spectacle, au bec la clope de Nada.

Par la Compagnie des Eclanches, à 19h, au Théâtre des 3 Soleils, Avignon, du 4 au 26 juillet 2015. Interprètes : SIMON BEAUROI, CLAIRE BOYE, PAUL CANEL, REMI GOUTALIER, CELINE ESPERIN, ANTOINE BERRY ROGER Mise en scène : CHARLOTTE RONDELEZ Assistante mise en scène : PAULINE DEVINAT Marionnette : JULIETTE PRILLARD Décorateur : VINCENT LEGER Lumières : JACQUES PUISAIS

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Photo: Clémence Cardot


Je suis arrivé un peu en avance, il faisait encore chaud, il y avait quelques personnes déjà. Je voulais voir L’Etat de siège de Camus. C’était hier, c’était la première en Avignon. Les gens qui allaient faire le public avaient l’air parisiens, je veux dire par là pressurés, trop sûr d’eux, sérieux avec ce décontracté faux, cet air de ne pas suer quand la canicule les fait ruisseler, tout cela qui est un mécanisme de défense, une façon de masquer leur extrême faiblesse, le vide ordinaire de leur vie vite évacuée et le psittacisme aigu de leurs paroles (je plaisante, bien sûr). Je me suis installé dans la salle suffisamment remplie pour que les acteurs aient la sensation d’un public, vers le centre, et à un fauteuil vide de moi, sur ma gauche, s’est placé un couple, la femme était très pâle, maquillée comme si sortant d’une autre scène elle s’était ruée là, l’homme m’a paru satisfait de lui et sympathique, avec un air étrange de n’être pas concerné. Puis l’acteur au plateau a commencé un laïus de bienvenue un peu improvisé, a placé une dame légèrement en retard et le spectacle a commencé. Puis il y a vite eu les acteurs à kokoschkas, petits corps marionnettes surmontés de la tête de l’acteur, et leur jeu très outré, et d’abord une minute, deux peut-être, j’ai regretté d’être venu, peut-être me suis-je même dit que c’était encore le peuple qu’on allait beaufiser, moquer, singer – et cette attitude-là, télés, radios, m’agace au plus haut point – puis non, non, ce n’était pas cela, peut-être même, avec humour était-ce le contraire de cela, une ode ironique aux gens simples, sains, un peu lâches aussi, et qui se font finalement abuser toujours par des pouvoirs, même idiots, et donc voilà je suis entré dans la pièce, je me suis fait au code, à l’outrance, on m’a présenté Diego et Victoria puis le Gouverneur lâche idiot et son Ministre fourbe, ces deux derniers kokoschkaïsés aussi. Et les acteurs se sont mis à tourner, prenant tous les rôles, la pièce de Camus s’est mise à prendre, avec sa peste qui arrive, l’horrible peste devenue drôle ici, mais drôle en ses deux sens, et qui commence à décimer. Et un temps on croit que c’est vraiment la peste, la maladie, et des souvenirs de Camus au lycée remontent, que c’est vraiment la peste donc et que l’histoire d’abord sera celle de Diego, qui est médecin, et des gens malades de la peste qui vont s’insinuer entre Victoria et lui, détruire ou fortifier l’amour… On croit en somme qu’il va nous revenir de décrypter comme on peut, et on peut assurément mal, cette métaphore de la peste. Et puis j’en suis là de la pièce qui m’a embarquée, avec son rythme rapide, parfois un poil trop peut-être dans le débit des acteurs, quand tout à coup le couple à côté de moi, excédé sans doute par ses outrances de jeu qui défrisent le ton bourgeois sans pour autant verser à la contemporaine obscénité, quand donc ce couple décide de partir. La femme fort logiquement s’engage dans le rang en direction de la sortie, quand l’homme, par un caprice imbécile, s’avise de partir de l’autre côté, et donc de me déranger, et mes voisins de droite. J’ai bien failli lui dire de passer de l’autre côté, mais j’ai craint qu’il ne me réponde et que nous ne gênions acteurs et spectateurs et lui ai fait place de fort mauvaise grâce. C’était la Peste. Il s’en allait au plateau par un côté, son assistante par l’autre. Car voici que Camus a entrepris de nous décoder lui-même sa métaphore et personnifié le pouvoir personnel de la Peste, qui ne veut en somme qu’ordonner, gérer, rationnaliser, administrer, ficher et procéder à la radiation les vivants. Par l’efficace truchement de la peur. Il faut bien dire que la Peste aussi sait menacer, tuer, organiser, mais également charmer, sourire, rire et… danser, avec son efficace, glaçant et drôle assistante. Et pour cela il faut défaire l’ordre ancien, latin, avec son Gouverneur de carnaval, et défaire la simplicité ordinaire des gens, entraide et mesquinerie, défaire la décence ordinaire, les modes de vie anciens, il faut planifier tout, hygiéniser tout, la vie et la mort, perdre chacun dans les méandres de l’administration de tout. J’avais l’impression désagréable de le connaître personnellement, le gars qui jouait la Peste, alors que non sans doute, en vrai. Et c’était plutôt bien, vraiment, d’avoir cette sensation. Voilà, on y est, on y est aujourd’hui aussi, dans la peste, il n’est pas question seulement de temps passés, historiques, nazisme ou communisme ; non, non, on y est, on y est toujours. La Peste, on l’apprend, ne peut rien contre celui qui n’a pas peur d’elle – ni de mourir. Je suis sorti content du spectacle, au bec la clope de Nada.

Par la Compagnie des Eclanches, à 19h, au Théâtre des 3 Soleils, Avignon, du 4 au 26 juillet 2015. Interprètes : SIMON BEAUROI, CLAIRE BOYE, PAUL CANEL, REMI GOUTALIER, CELINE ESPERIN, ANTOINE BERRY ROGER Mise en scène : CHARLOTTE RONDELEZ Assistante mise en scène : PAULINE DEVINAT Marionnette : JULIETTE PRILLARD Décorateur : VINCENT LEGER Lumières : JACQUES PUISAIS


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