Magazine Côté Femmes

Femme de couleurs

Publié le 06 juillet 2015 par Elosya @elosyaviavia

afrosomething-article-tropnoire

Vendredi soir, j’étais devant Arte pour regarder le documentaire de Isabelle Boni Claverie : Trop noire pour être française.

Et je vous conseille ardemment de le regarder sur le replay d’Arte via ce lien.

Ce documentaire mêle des interventions de spécialistes de l’histoire de la France avec ses colonies, la réalisatrice raconte en filigrane son histoire familiale et son engagement contre le racisme. Elle permet aussi à des gens de témoigner en tant que noirs/métisses en France, d’anecdotes terribles . Comme cette jeune femme, serveuse au cours d’un meeting du front national, qui a été bombardée de biscuits et de sucre de la part des militants qui la hélaient en l’appelant Cheetah. Ou cette jeune femme qui est arrivée dans un grand restaurant pour assister à un évènement, la responsable de l’établissement l’a tout de suite emmenée en cuisine pour lui montrer la plonge, pensant que cétait forcément une employée.

Personnellement, je me suis sentie touchée par ce doc.

J’ai ri. Devant les situations incroyables, les anecdotes tellement flippantes en fait. J’ai beaucoup apprécié le pan historique et l’histoire familiale racontée par Isabelle Boni Claverie.

J’ai ri aussi nerveusement parce que ce qui était abordé dans ce doc, m’était familier. Tellement familier.

Trop familier.

Mon papa était Malien. Ma mère est martiniquaise. Enfant métissée, j’ai passé mon enfance et une partie de ma vie de jeune adulte dans une ville du 78.

La première fois que j’ai été confrontée au racisme, je ne m’en souviens pas. C’est mes parents qui m’ont raconté cette histoire. J’en avais parlé dans un article précédent. C’était l’assistante maternelle de l’école qui refusait de nous prendre la main et de nous faire des bisous au moment de la sieste. Elle se montrait bienveillante uniquement quand nos parents étaient présents. Nous étions trois enfants dont les parents avaient des origines étrangères. Elle avait ce comportement uniquement avec nous trois. Il semblerait que nos origines étrangères lui posait problème (euphémisme).

Puis est venu le temps des insultes, « salle négresse », « bamboula », « mets ta tête dans le bol de lait ». Des enfants me jetaient ça et d’autres trucs tout aussi violents à la figure régulièrement. Je n’ai plus entendu de choses de la sorte après avoir changé d’école en CE2. Mais avant, du CP au CE1, c’était l’enfer. Ça je m’en souviens bien. Je suis tellement marquée que lorsqu’à une époque, des potes me faisaient des blagues en lien avec ma couleur de peau. Je réagissais avec toute la souffrance et la tristesse de la petite fille qui avait été malmenée. J’ai même essayé de faire des blagues, me disant que c’était juste une forme d’humour, mais en fait je ne trouve pas ça drôle. Ni de ma part, ni de la part des autres. Je ne veux pas en rire, c’est tout. Point.

Je me souviens quand j’étais une fillette pré-pubère et jusqu’à mon adolescence, quand je lavais mes cheveux tous les dimanches soirs, je « rêvais », mais littéralement que mes cheveux deviennent souples et lisses grâce à tous les produits que j’utilisais et que je puisse ressembler à mes copines à l’école. Et c’était toujours frustrant de voir que non, je gardais encore et toujours cette « masse ». Des « amies » collégiennes, des camarades de classe me faisaient des réflexions désagréables sur mes cheveux. Alors je rêvais, j’invoquais un dieu du cheveu, je le suppliais qu’il m’aide enfin à avoir les mêmes cheveux que les autres parce que comme ça, j’aurais enfin été jolie, sympa attirante. Et je serais rentrée dans le rang.

Vers 20 ans, j’ai été avec un mec que j’ai aimé passionnément. Il a rompu, pour pas mal de raisons. Nous étions jeunes. Je me souviens notamment qu’il m’avait dit pendant qu’il rompait avec moi que si nous étions restés en couple, cela aurait posé problème. Je suis noire et ses parents n’auraient pas apprécié. Dans la même période, j’avais pris un vent d’un jeune homme avec qui je voulais être. Il voulait aussi, mais plusieurs choses le bloquaient. Dont le fait que ces parents n’auraient pas apprécié de le voir en couple avec une noire. De ces expériences, j’ai gardé une appréhension de rencontrer la famille des hommes avec qui j’ai été. La première fois que j’ai rencontré la famille de mon ex compagnon. Quelques secondes avant, je l’ai arrêté et inquiète je lui ai dit : ils savent que je suis…il m’a regardé avec incompréhension. J’ai repris : ils savent que je suis noire. Il m’a dit que non, mais que ce n’était pas important. Et effectivement, cela n’a pas été important. Ils m’ont accueilli à bras ouvert. Cela ma fait du bien. Ils ont accueilli la jeune femme que j’étais et ma couleur de peau ne s’est jamais glissée dans l’histoire.

Il y a quelques années, j’étais dans un bus parisien et un enfant touchait la peau des gens à côté de lui. Il l’a fait à plusieurs personnes, sa mère ne disait rien, souriait. Elle échangeait des regards complices avec les gens. La petite a touché ma peau. Je trouvais ça mignon. Je me souviens encore de l’air dégoûté et l’air horrifié de la mère. Elle a tout de suite engueulé son bébé. La petite a arrêté un moment. Puis la petite m’a regardé, a souri et elle a recommencé à me caresser la peau. C’était un geste de curiosité, tout doux. Sa mère s’est énervée, lui a tapé sur la main et l’a engueulée. Elle lui a essuyé les doigts. Je lui ai dit que ça ne me dérangeait pas. Sa mère m’a jetée un oeil mauvais, m’a dit que ELLE ça l’a gênait.

La caissière du magasin se trouvant à côté de mon ancien lieu de travail. Une bourgade très bourgeoise du 78. Un jour que nous discutions poliment. Elle me demande où je garde des enfants dans la ville. Je ris et lui dit que non, je travaille dans une des petites entreprises de la zone industrielle pas loin. Elle acquiesce et me demande si je vais y faire le ménage tous les jours. Non, je ne fais pas le ménage, je suis cadre et je travaille sur des tests cosmétiques. Elle a ouvert grand les yeux, s’est confondue en excuses.

T’as le rythme dans la peau ! C’est dans tes racines ! Ces remarques dites à mon encontre comme des compliments, pendant des années, je me sentais mal à l’aise d’entendre ça, mais je ne savais pas comment me l’expliquer. Maintenant je sais. Je danse bien, mais bordel cela n’a rien à voir avec des gênes africains ou antillais de la danse. C’est juste que ma mère adore danser, que j’ai regardé des clips, des tas, que je me suis construite en admirant les chorés dans les clips. j’ai été sensible à cela. Et de ça, j’ai développé un goût pour la danse. Mais c’est pas dans ma peau. Non. Ce n’est pas un compliment.

Il y a plusieurs formes de racisme. Il est parfois inconscient. Baignant dans des stéréotypes, mais on ne se rend pas compte que nos propos expriment une forme de racisme. J’espère que ce documentaire vous fera prendre conscience encore plus que la lutte contre le racisme, se fait au quotidien. Cela va de la mobilisation contre des idées nauséabondes, contre le propos qui veut que « L’autre » est responsable de tous les maux. Cela se fait contre certains politiques, mais on peut aussi se mobiliser lorsque l’on entend notre voisin, collègue, amie avoir des conversations qui nous mettent mal à l’aise. Discuter c’est important. On n’arrivera pas forcément à convaincre l’autre, mais on l’aura peut-être ouvert sur une autre voie d’idée.

J’espère que ce documentaire vous ancrera à être encore plus pour l’ouverture et surtout à être dans l’envie de s’ouvrir sur autrui. Et de ne pas laisser les généralités vous bouffer.

J’aurais tellement à dire, à écrire sur la question. Le racisme, je le vis encore. Quand on me demande comment je sais que le fait d’être noire provoque une réaction chez autrui, que quelqu’un est raciste. Je réponds que parfois c’est l’expérience et l’observation de l’interaction de la personne avec autrui et avec moi. La différence de comportement. Après 34 ans, je le sens, je le vois ou je l’entends.

Ce documentaire m’a aussi réconfortée dans le fait que je trouve aussi que la société dans laquelle je vis, a changé. Plus de couples mixtes, plus de diversité, plus d’analyses sur le racisme, les stéréotypes.

Avec ce reportage, je me suis souvenue que plus jeune, j’avais l’impression de devoir me définir uniquement par le fait d’être noire. Maintenant, je me vois de manière plus globale, je me sens multiple. Je me connais mieux. Mais je crois que j’ai aussi arrêté de laisser l’avis des autres me définir totalement.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Elosya 1882 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines