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Souveraine Magnifique, d'Eugène Ebodé

Par Liss

Après avoir honoré la mémoire de Rosa Parks dans le roman La Rose dans le bus jaune, paru en 2013, pour marquer le centenaire de la naissance de la militante des droits civiques, Eugène Ebodé participe dans son dernier roman à une autre commémoration : le génocide qui a ravagé le Rwanda en 1994. Cela faisait 20 ans en 2014, année de publication Souveraine Magnifique, chez Gallimard, dans la collection Continents noirs. Ce dernier roman d'Eugène Ebodé a été couronné par le Grand Prix Littéraire de l'Afrique Noire 2015, prix que l'auteur a remis à l'ambassadeur du Rwanda en France, lors de la cérémonie officielle de remise du prix, qui a eu lieu à Paris, au siège de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Notons que ce prix a été décerné à deux auteurs cette année : Eugène Ebodé ainsi que le poète burkinabé Songré Etienne Sawadogo pour En Seine Majeur(e).

Souveraine Magnifique, d'Eugène Ebodé

Souveraine Magnifique, l'héroïne qui donne son nom au roman, est une rescapée du génocide. Peu avant que la machette ne tranche la vie de son père et de sa mère enceinte de son deuxième enfant, Souveraine, qui a alors 8 ans, est hissée tout en haut d'une armoire dotée d'un cadre derrière lequel son père, Donatien Magnifique, lui recommande de rester cachée, quoi qu'il arrive. Si personne ne peut se douter de sa présence sur cette armoire, elle, par contre est bien placée pour voir tout ce qui se passe dans la pièce, et elle voit tout. L'horreur. L'indicible. L'assassinat et la mutilation de son père. La tentative de viol de sa mère par le bourreau qui l'éventre ensuite, retirant du même coup la vie à la mère et au fœtus. Comment qualifier de tels actes ? Comment concevoir que des êtres humains puissent commettre de telles actions sur d'autres humains, qu'ils connaissaient, qu'ils ont côtoyés, avec lesquels ils ont partagé tant de choses ? Le bourreau, Modeste Constellation, n'est autre que le plus proche voisin des Magnifique.

La violence avec laquelle le génocide s'est effectué dépasse à ce point l'entendement qu'il est difficile de la nommer, les mots se révélant limités pour donner la mesure de l'horreur qui s'abat sur le Rwanda. L'auteur n'emploie jamais la même expression pour désigner cette courte période allant d'avril à juillet 1994, pendant laquelle les Tutsis ont été traqués, recherchés jusque dans les forêts où ils essayaient de sauver leur vie. Quant aux lieux symboliques comme les églises, ils n'étaient en aucune façon un havre de paix, une zone épargnée par son caractère sacré. Au contraire, c'est peut-être là que les machettes étaient les plus sanglantes, les plus empressées, maniées en premier par les hommes de Dieu.

La " saison des raccourcissements ", la " saison des coupe-coupe ", la " saison des horreurs ", la " catastrophe maximale ", la " saison des avalanches de machettes ", la " saison apocalyptique ", le " ravage final ", la " tempête des machettes ", la " catastrophe sans nom "... Telles sont les diverses manières par lesquelles Eugène Ebodé désigne cette " catastrophe sans nom ", mais sur laquelle pèse lourdement le spectre de la machette, du coupe-coupe, qui devait raccourcir " les Longs ", considérés comme trop imbus de leur haute stature par " les Courts ". A aucun moment l'auteur ne nomme les deux tribus rivales : les Tutsis et les Hutus. Ce sont respectivement " les Longs " et " les Courts ". A côté d'eux, il y a aussi " les Très Courts ", qui sont davantage marginalisés. La tension entre les différentes ethnies du Rwanda devient électrique avec l'arrivée des colons, qui ont appliqué la politique du " diviser pour régner ", ce que montre bien Scholastique Mukasonga dans son roman Notre Dame du Nil, Prix Renaudot 2012, que vous pouvez retrouver ici.

Le roman est mené de sorte à rappeler à chacun que ce qui est arrivé ici peut se reproduire là-bas. A plusieurs reprises une comparaison est établie par exemple avec le Cameroun, dont est originaire l'auteur, et cela commence par la construction similaire dans la façon de les nommer : le pays des collines versus le pays des crevettes. Au travers du regard de l'héroïne, c'est, d'une manière générale, une comparaison de différents Etats africains qui est faite : Rwanda, Cameroun, Congo Démocratique, pour ne pas dire Congo tout court, car les deux Congo se font écho sur bien des domaines...

Il y a peu de personnages autour desquels se resserre l'action, mais parmi eux, on ne peut pas ne pas citer Doliba, la vache que Souveraine Magnifique doit gérer avec son bourreau, Modeste Constellation, une fois que les juges du tribunal coutumier (la " palabre sur les collines "), ont rendu leur verdict. Elle semble mieux voir dans le cœur des hommes que les hommes eux-mêmes. Si un homme peut échapper à une lourde peine en s'arrangeant pour rejeter le poids de sa responsabilité sur les circonstances, s'il peut amadouer les hommes ou les inciter à se mettre de son côté, au nom de la nécessaire reconstruction du pays, avec tous ses enfants, Doliba, la vache, ne s'en laisse pas compter.

Petit extrait qui justifie le roman :

" Le point de vue des survivants est une chose qui ne se discute pas. Heureux soit qui recueille leurs paroles comme on extrait une pierre précieuse de la roche ou de la boue. Et leurs propos doivent pénétrer les esprits pour devenir des passerelles de prévention et de mémoire. " ( Souveraine Magnifique, page 112)

Eugène Ebodé, Souveraine Magnifique, roman, Gallimard, 2014, 180 pages, 16.90 €.


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