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The company men - 7,5/10

Par Aelezig

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Un film de John Wells (2011 - USA, UK) avec Ben Affleck, Tommy Lee Jones, Chris Cooper, Rosemarie DeWitt, Craig T. Nelson, Kevin Costner, Maria Bello

Excellent. Potion amère.

L'histoire : Bob Walker, directeur commercial, 37 ans, apprend subitement un matin qu'il est licencié. Avec quelques autres. Le groupe fait des coupes franches dans le personnel, parce que la concurrence, devenue mondiale, fait baisser les profits. Il faut que l'action remonte pour satisfaire les financiers. Rien de tel qu'un petit dégraissage, synonyme de profits immédiats. Bob est effondré. Il menait grand train, fier de sa réussite, honnête, après des solides études et des années de travail acharné. Nul doute qu'il retrouvera un job très vite. Il va redescendre très vite de son nuage... Tandis que son univers bascule, les hauts dirigeants se déchirent : ça ne va pas assez vite, il faut fermer d'autres agences. Une lutte déontologique s'installe entre le n° 1, à la solde des actionnaires, et le n° 2 qui ne supporte plus de voir des gens soudain acculés à la misère tandis qu'eux se frottent chaque jour les mains en comptant leurs dollars.

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Mon avis : Voilà enfin un bon film sur la crise économico-financière mondiale (avec Margin call, qui était aussi très juste) ! Tout est "vrai", réaliste jusque dans les moindres détails, humaniste aussi. Dommage que la fin soit un peu roudoudou, mais finalement autant redonner un peu d'espoir aux gens qui cherchent du boulot...

Car oui, ce film est très noir ; il fait froid dans le dos ; il dégoûte. Et le système est tel qu'il tourne en boucle comme une tornade, sans qu'on ne puisse plus rien faire pour l'arrêter. Il faudra un bug géant sur Wall Street, ou une opération financière trop risquée quelque part (nous avons frôlé la cata avec les subprimes) pour que tout s'écroule... et nous retournerons à l'âge de pierre.

J'ai adoré le portrait de Bob, cadre supérieur, maison superbe, golf et Porsche. Pas le méchant bougre, juste le type qui a réussi, après des solides études, qui est fier d'afficher son statut, et qui méprise un peu son beau-frère, artisan. Alors, lorsqu'il apprend subitement qu'il est licencié (oui, oui, ça se passe comme ça, on ne prend pas de gants), c'est la stupéfaction : mais comment ose-t-on le virer, lui ? Une fois le choc passé, son comportement est très bien vu aussi. Persuadé qu'il va retrouver un boulot très vite, il râle après sa femme qui, plus pragmatique et qui tient les comptes de la maison, commence à envisager de vendre la Porsche et la maison (il n'a que quelques mois de chômage ; bienheureux Français !). Puis rapidement, malgré des centaines de candidatures, il déchante : il est trop vieux ! 37 ans, un gros salaire, il découvre qu'on lui préfère toujours des jeunes, encore plus diplômés que lui, et qui "ont faim" pour rappeler l'expression chère aux recruteurs. Peu à peu, il comprend qu'il vivait dans un monde factice, que le rêve est terminé, et qu'il doit peut-être faire le tri dans sa vie, entre ce qui est vraiment important et ce qui ne l'est pas.

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Egalement formidable le parallèle permanent que fait le film entre la situation de Bob, qui vend sa belle maison pour aller vivre chez ses parents avec sa famille, qui se fait jeter de recrutement en recrutement... et les hauts dirigeants de son ex-boîte qui ne parlent que leurs dollars, de leurs actions et de leurs actionnaires. L'entreprise n'est plus un "groupe de personnes autour d'un même projet, destiné à fournir un service contre rémunération de ses membres", c'est un jeu de stratégie qui se mène à la Bourse. Les salariés ne sont même pas des pions, ils n'existent pas. Ce qui importe, c'est faire grimper le montant de l'action, et plus on dégraisse, plus elle augmente, puisque cela signifie davantage de rentabilité. A court terme. Ensuite, si à force de licencier, le personnel n'arrive plus à faire tourner la boutique et que l'activité s'écroule... et bien on la liquidera, et on s'occupera d'une autre.

Magnifique réplique de Gene, effondré par ce qui se passe, à qui sa femme demande de lui louer un jet privé pour aller passer quelques jours à Palm Beach et faire du shopping :

- J'ai vu Bob Walker aujourd'hui. Il avait l'air de me haïr... Il va vendre sa maison.

- Hum... oui... OK... je prendrai une ligne régulière.

- Rassure-toi ma chérie. L'action a considérablement monté. Aujourd'hui tu viens de gagner sans rien faire un demi-million de dollars.

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Et la ritournelle sur les plus de cinquante ans, absolument indésirables (qu'on essaie de virer en respectant des "quotas" pour ne pas être accusé de discrimination), puisque des plus qualifiés qu'eux, plus jeunes, se contenteront d'un salaire à moitié inférieur, en vous léchant les pieds avec reconnaissance.

Ah comme je les hais, ces financiers qui mènent le monde vers la catastrophe. Pour les avoir cotoyés pendant quinze ans, je peux vous assurer que tout dans le film m'a fait frémir tant ça sonne juste ! Toutes ces situations, tous ces dialogues, je les ai tous entendus. Tous.

Brrrr...

Les acteurs sont superbes, on s'en doute, le casting compte parmi les plus beaux noms du cinéma américain. Touchant de voir Costner vieilli, en petit artisan modeste et peu instruit, lui qui a incarné tant de brillants aventuriers, de beaux officiers en uniforme, de gardes du corps sexy...

Réalisation parfaite, objective, caustique, qui manie l'humour noir avec une grande subtilité, et réserve de beaux moments d'émotion.

J'aime beaucoup aussi la double symbolique de l'affiche. Ils regardent vers le haut : les grands dirigeants qui gouvernent les marionnettes que nous sommes ou bien l'espoir d'un monde meilleur ? Et sur le fil : des chômeurs près à tomber, ou bien ces équilibristes forcenés que sont les financiers ?

Un régal, ce film. Une souffrance aussi.

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Critiques quasi unanimement enthousiastes. Le public est un tout petit moins convaincu ; il semble que certains ont vu ça au premier degré, genre "on ne va pas s'attendrir sur un mec qui roulait en Porsche", et n'ont pas vu ou pas compris le parallèle constant avec la façon dont les "grands" mènent le monde. Le sort de Bob n'est pas l'enjeu du film, il n'est que l'illustration des conséquences de la crise, y compris sur les nantis, justement. Et de l'affolant fossé qui se creuse entre ceux qui ont de plus en plus d'argent et ceux qui en ont de moins en moins. 150.000 entrées ; je regrette que ce film n'ait pas plus ému les Français. Le message ne passe pas. Ici on minimise la finance. On pense que l'ennemi est l'étranger. On va se retrouver avec Le Pen au pouvoir, alors que le problème est dans les ordinateurs de Wall Street et des autres bourses mondiales, ce que, à mon avis, Marine n'est pas du tout à même de gérer. Le problème n'est plus concret, il est informatique, mathématique et planétaire.


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