Magazine Côté Femmes

La mode entre en revolution

Par Aelezig

Article de Grazia - Avril 2015

Messages politiques, slogans détournés et fausses manifs : depuis deux saisons, la mode s'érige en Martin Luther King du textile. Fumigènes, ou vraie prise de conscience ?

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Telle une héroïne soixante-huitarde, la mode se rebelle. Karl Lagerfeld, chez Chanel, a donné le la avec sa parodie d'agitation féministe au défilé printemps-été 2015. Depuis, l'esthétique militante se répand comme une traînée de poudre. Pour l'hiver prochain, Marc by Marc Jacobs s'est inspiré des milices anticriminalité new-yorkaises (les Guardian Angels) et réhabilite la fille à béret. Le Belge Walter Van Beirendonck scande "Stop terrorising our world" sur des plastrons mâles. Tandis que dans les studios, les créateurs (Gosha Rubchinskiy, Faustine Steinmetz, Atelier Wonder...) donnent une conscience à la fashion, détournant les affiches de propagande et jouant avec les codes révolutinnaires. Bref, en cette époque troublée, la mode cherche à réinvestir le champ du politique, même symboliquement. "La nouveauté, c'est que cela s'introduit dans le luxe. Il y avait eu les robes Obama du couturier Jean-Charles de Castelbajac en 2008, mais généralement, les maisons s'abstiennent de donner leur opinion, c'est trop risqué vis-à-vis de leur clientèle", affirme Pascal Monfort, sociologue de la mode et maître de conférence à Sciences Po. En témoigne la bourde de Dolce & Gabbana, qui a récemment perdu Madonna ou Victoria Beckham, pour s'être prononcé en défaveur de l'adoption gay.

Combat esthétique

Mais alors pourquoi la mode pique-t-elle sa crise militante ? Il y a le joli discours, celui qu'on aime entendre : elle a, par essence, une vocation politique. Elle se doit, plus que de vendre, de propager des idéaux. Après tout, qui la jeunesse écoute-t-elle vraiment : Nike ou François Hollande ? "Les vêtements sont un merveilleux message d'intention ou de protestation", selon le designer Rick Owens dans le dernier numéro du magazine I.D., consacré au sujet. "Aujourd'hui, les grands influenceurs ont autant de poids que les politiques. On n'a jamais autant demandé la parole aux célébrités et aux créateurs, et jamais ils n'ont été aussi écoutés", selon Pascal Monfort. Mais encore faut-il diffuser le message correctement. Car vendre des sweats à 3000 euros et se proclamer Mère Teresa, étrangement, ça ne fonctionne pas. Or, bien souvent, les discours politiques véhiculés par le luxe restent anecdotiques : on les utilise pour leur résonance immédiate et leur impact visuel. "Ils sont vidés de leur sens" commente Samir Hammal, maître de conférences à Sciences Po et créateur du cours Mode et politique, pour qui le militantisme de forme revient "car l'esthétique seventies est tendance". Cette fièvre révolutionnaire ne s'inscrit pas forcément dans une réflexion interne au sein des maisons. Pour Pascal Monfort, "la prise d'opinion est légitime quand elle correspond à l'ADN d'une marque. Chez Stella McCartney, la réflexion écolo est réelle : elle propose une autre façon de concevoir le prêt-à-porter et bouscule le système." Idem concernant Vivienne Westwood, pasionaria de la première heure, qui manifeste régulièrement pour Greenpeace. Quand la rousse punk se prononce pour l'indépendance de l'Ecosse sur son défilé printemps-été 2015, créant le scandale en plein référendum, on ne peut que lui accorder une certaine crédibilité. "Pour se permettre de s'exprimer sur ces sujets, il faut être d'une grande transparence à tous les niveaux de la chaîne textile, souligne Sébastien Kopp, qui a fondé la marque Veja et emploie des personnes en réinsertion pour distribuer ses baskets en coton organique. Les plus petites structures ont cette possibilité".

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Walter Van Beirendonck

Revers militant

On ne peut toutefois pas nier que, si la mode devait avoir sa place au Sénat, ce serait pour sa capacité à exprimer un ressenti global. Quelques semaines avant les tragiques événements de Charlie Hebdo, la marque Bleu de Paname sortait des sweats sérigraphiés du mot "resistance". "On a observé la situation dans les banlieues d'où l'on vient, l'émergence du communautarisme, et on a voulu véhiculer une idée de ralliement. On ne croit plus en la politique, mais on pense que le réveil peut venir de la rue et que c'est à nous, créatifs, de lancer le mouvement", explique son D.A., Thomas Giorgetti. La jeune garde a sa carte à jouer car, via le vêtement, elle offre un kaléidoscope de son temps. Comme Yves Saint Laurent a institutionnalisé le pantalon pour la femme, ou Malcolm McLaren et Vivienne Westwood ont proposé des habits punk dans leur magasin Sex, à Londres. Le regard du couturier participe à l'éveil collectif, voire au progrès. "Le vêtement est politique en soi", selon Samir Hammal. Surtout qu'en 2015, la jeune garde se veut au plus près de la vérité sociétale. Les nouveaux prophètes mode donnent la parole à une jeunesse paupérisée ou exclue. Ainsi, la dernière star underground du prêt-à-porter, le Russe Gosha Rubchinskiy, dresse une fresque urbaine sale et sombre des petites frappes russes, recyclant l'image Nazbol (le parti de l'écrivain Edouard Limonov). Slow Factory, Etudes Studios... les jeunes créatifs se targuent de concevoir leurs collections comme des manifestes, prêchant une mode plus consciente. Quitte à devenir de nouveaux gourous ? "Oui, car le luxe louche plus que jamais sur les tendances de la rue, analyse Samir Hammal. En un sens, le peuple devient prescripteur des modes. Le pouvoir à la plèbe... En politique, il n'en faudrait pas plus pour y voir la manifestation d'une révolution !" On disait la politique ringarde, la voilà en pleine réinvention : par d'autres canaux, à travers d'autres systèmes, et portée par des moins de 30 ans qu'on disait laxistes. Et si la mode inventait le lexique de ce nouveau langage ?

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Vivienne Westwood


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