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Article : L'Anniversaire de la salade

Publié le 20 juin 2005 par Julien Peltier

Article : L'Anniversaire de la salade L'Anniversaire de la salade
« One woman show »

« Œuvre originale + adaptation + tête d'affiche + mise en scène = Tawara Machi dans un spectacle one woman show. » À première lecture, ce spectacle offert par une prodige du tanka moderne est assez déroutant. Déroutant pour l'œil occidental plus ou moins habitué à lire de la poésie japonaise traditionnelle, mais aussi peut-être pour tout curieux qui croit deviner dans quelques vers audacieux et hauts en couleurs une histoire quasi linéaire, celle – ou presque – de Tawara Machi.


L'Anniversaire de la salade réunit plusieurs compilations de tanka, dont certains ont obtenu des prix au Japon. Issus de situations cocasses, quotidiennes, ces poèmes portent la banalité du vécu en le fixant dans la forme littéraire, à la manière d'une photographie qui immobiliserait un instant. Écrits pour l'essentiel à la première personne, ces poèmes glissent d'une subtilité déconcertante à une fragilité – voire une frivolité – à peine contenue. Ce sont des mots de tous les jours, des moments de bascule qui permettent la création ; mais d'emblée, ces tanka laissent la place à une certaine narrativité, si bien qu'ils semblent – faussement, car les différentes postfaces à l'ouvrage indiquent le contraire – décrire des événements qui se suivent dans le temps, et où le poète est le seul personnage au centre de sa propre histoire.
Ainsi l'on croit aller de saisons en saisons, au bord d'une plage, en Chine, puis de retour au Japon, main dans la main avec un être qui s'appelle « l'autre », on se créé des habitudes, des dépaysements, on rencontre le père et le frère de la jeune « Machi », son environnement d'étudiante, de professeur de lycée... Et, au centre de cette vie : le couple, qui s'esquisse, se fait et se défait au fil des poèmes.
« Aujourd'hui cela fait tout juste 500 jours
que je t'ai rencontrée » me susurre cet homme
Je bondis en arrière

Comme quelqu'un destiné
à s'en aller me voici enlacée
Mars mois du renouveau mois des adieux

La place de l'écrit, de l'écriture, est primordiale. « Devenue vent », Tawara Machi va d'adieux en renouveaux, elle se fait le miroir d'Hermès et emporte avec elle des traces, des morceaux, de ce qu'elle vit. Cette fascination pour la chose écrite, la jeune étudiante avoue l'avoir développée grâce à un professeur de lettres en faculté, ce même professeur, poète lui aussi, qui l'a introduite dans des milieux littéraires où la pratique du tanka était monnaie courante. C'est grâce à lui qu'elle fut publiée pour la première fois. Ce professeur, Sasaki Yukitsuna, qui dans une des postfaces à l'ouvrage, fournit au lecteur les clés de compréhension de la poésie de Tawara Machi : sans révolutionner le genre du tanka, elle lui donne un souffle nouveau en conservant une structure tout à fait traditionnelle – le fameux « moule » de 31 syllabes réparties en 5/7/5/7/7 – tout en le libérant de ses tendances larmoyantes. Ainsi, si ces tanka sont bien le reflet d'un « dépit amoureux », l'exutoire que devient le poème échappe à tout pathos – le terme est volontairement trop fort – ou toute forme d'excès.
À travers ces poèmes, certaines récurrences de termes et d'images, comme les teintes plus ou moins colorées, largement utilisées pour signifier que l'amour est univoque ou partagé, les fruits de mer qui sont d'autres avatars du couple, des lettres échangées, le train qui va de place en place. À ces images s'ajoutent des thèmes correspondants : la crainte de l'absence de l'autre, l'attente, l'appréhension de la solitude. Et ce « tu » enivrant ne cesse d'envahir les vers alors même qu'il est fugitif et fuyant.
Les carnets qui accueillent le vers unique – tel qu'il est écrit dans la langue japonaise – de la jeune Machi la suivent comme s'ils étaient dans la besace d'un bourlingueur : écrits de voyage et d'émotions liées à des situations, ils sont l'annonce d'un « commencement » sans fin, plus que d'un renouveau. Le tanka ne questionne jamais, il cristallise ; et dans cet instant où l'écriture vient se superposer au réel, les mots se mêlent à des notes de musique, à des chansons, un simple air.
Le concert achevé les lumières
moins intenses sourient
Moment fugitif avant le retour au quotidien

Babas5
L'Anniversaire de la salade, Tawara Machi
traduit du japonais par Yves-Marie Allioux
postfaces de l'auteur, du traducteur et de Sasaki Yukitsuna
Éditions Philippe Picquier, 2008

Article : L'Anniversaire de la salade

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