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Nos vies discount : enquête sur la casse sociale

Publié le 05 août 2015 par Blanchemanche
#discount
Nos vies discount : enquête sur la casse sociale

Frédéric Brunnquell : “Le discount a un vrai prix. On le paie tous les jours.”



Nos vies discount : enquête sur la casse sociale par zoxeacopate

Le road-movie dans l'Europe low cost de Frédéric Brunnquell le démontre : plus qu'une tendance marketing de crise, le discount révèle une transition économique mondiale. 

Des prix écrasés aux salariés cassés, du billet d’avion low cost aux conditions de travail au rabais… Dans Nos vies discount,  le réalisateur Frédéric Brunnquell explore, sur un mode rageur, l’envers du décor du « toujours moins cher ». De l’Irlande de Ryanair à la Roumanie de Renault/Dacia, en passant par l’Allemagne de Lidl et d’Aldi, son film est un voyage de 8000 kilomètres dans l’Europe du low cost, qu’il effectue au volant d’une Logan. Une voiture symbole, pour mieux révéler le lourd coût social du discount et sa vicieuse mécanique. Explications.Pourquoi avoir choisi le mode du road-movie pour montrer le revers de la médaille de la consommation low cost ?
Le road-movie est un genre cinématographique souvent utilisé dans le reportage ou le documentaire – c’est pratique pour passer d’un personnage à un autre. Mais je voulais que, dans ce film, ce mode narratif ait une vraie signification, que cela permette de montrer que cette vie discount – ces prix bas qui tirent toute la société vers le bas –, n’est pas seulement un phénomène français, mais quelque chose de mondial, visible à l’échelle de l’Europe.Le road-movie, c’était la bonne solution pour parvenir à montrer que le « discount » n’est pas seulement une tendance marketing pour répondre à la crise, un mot accrocheur qu’on affiche dans les rayons, mais que c’est vraiment une nouvelle ère économique qui s’annonce. Et que, dans tous les pays européens, il y a cette tentation du discount et cette réinvention de l’économie, celle des prix bas, avec tous les dégâts que ça cause. Le road-movie permet de souligner cette transition économique que nous vivons.Comme fil conducteur de ce périple, vous avez choisi une Logan Dacia. L’emblème sur quatre roues de cette nouvelle ère discount ?
La Dacia, c’était ma première idée. C’est le personnage du film. En 2008, j’avais réalisé, dans le même esprit, un documentaire sur les paradis fiscaux [Paradis fiscaux, la grande évasion, ndlr], dans lequel j’utilisais une boule à neige – cet objet que l’on retourne avec, à l’intérieur, de la neige qui flotte. C’était déjà une manière de matérialiser une entité très virtuelle : à l’intérieur de la boule, il y avait un palmier avec un petit drapeau et un dollar, et sur le socle, il y avait marqué « paradis fiscal ».Avec cet objet, j’allais voir des banquiers, des fiscalistes, des chefs d’entreprise. Comme ils voulaient absolument éviter de prononcer le mot « paradis fiscal », je leur disais « j’ai un cadeau pour vous », et je leur mettais la boule à neige dans la main. Du coup, ils ne pouvaient plus échapper à la discussion, et la conversation s’engageait vraiment sur un mode concret : qu’est-ce qu’un paradis fiscal, à quoi ça sert, comment ça détruit, aussi notre économie… Pour parler de choses économiques, avoir un objet concret, c’est très utile, ça aide à la démonstration, c’est un peu un « Rosebud » [un objet révélateur, comme dans Citizen Kane, ndlr] qui permet de déclencher des choses…Quand j’ai décidé de travailler sur le monde du discount, je me suis dit que je voulais trouver un véhicule pour faire avancer le film. Et la voiture discount s’est naturellement imposée. Tout le monde peut se reconnaître dans cet objet-là, elle devient le symbole de la nouvelle ère économique qui s’annonce. Ensuite, j’ai demandé à un artiste qui s’appelle Honet de taguer le mot « discount » sur la carrosserie. Au début, on était partis sur quelque chose d’assez esthétique, chic et graphique… Et puis je me suis dit qu’il fallait que ça ressemble davantage à un espèce de cri, à un tag à la bombe sauvage sur un mur. On n’allait pas faire de l’art, on n’allait pas faire du chic avec quelque chose qu’on voulait dénoncer.

La Logan, c’est aussi un moyen de tirer le fil du low cost, en remontant jusqu’en Roumanie, pays qui semble être devenu un eldorado, une sorte de far east pour les industriels, et pas seulement Renault ?
Effectivement, le voyage commence chez Ryanair, en Irlande, se poursuit chez Aldi et Lidl, ces épiceries dans lesquelles on va de plus en plus faire nos courses, en France puis en Allemagne, et s’achève en Roumanie, chez les ouvriers qui construisent la Logan. Elle ressemble à un miracle économique, cette voiture à 5 000 euros. Tout le monde est content de pouvoir s’acheter une voiture pas chère.Mais il suffit d’aller en Roumanie, dans l’usine où elle est fabriquée, et de voir que les ouvriers sont payés 300 euros bruts par mois, pour comprendre que ce miracle a un coût. En économie, il n’y a pas de miracle : si les prix sont bas, c’est que quelque part, il y a un travailleur discount lui aussi. Le discount a un vrai prix et ce prix, on le paye tous les jours. Et on va continuer à le payer dans les années à venir, avec des salaires qui vont baisser, une protection sociale qui sera moins confortable, une société toujours plus tirée vers le bas.

Consommer plus pour moins cher. Oui, mais… Est-ce vraiment un monde meilleur que nous promet le discount ?, s’interroge Frédéric Brunnquell. C’est à bord d’une Logan, symbole du low cost, que le réalisateur va parcourir l’Europe afin de trouver la réponse.


Première étape, Dublin. Au siège de Ryanair, le patron Michael O’Leary stigmatise compagnies nationales et Etats. « Le gaspillage est enfin concurrencé ! », se félicite le PDG, visiblement obsédé par la menace d’une grève générale. Le succès – et la fortune – de Michael O’Leary reposerait sur le « traitement misérable » de ses employés, selon les termes de Virginie, ancienne hôtesse de l'air. Chez Ryanair, il n’y a ni protection sociale ni retraite, et les contrats sont renégociés chaque année. Avec descente vers le bas garantie. Les hôtesses paient l7geur formation, commencent leur journée à l’aéroport à 5 heures du matin et ne sont rémunérées que le temps du vol. Yann, ex-commandant de bord, décrit aussi la « culture de l’intimidation qui prévaut à tous les niveaux, l’atmosphère de peur, le harcèlement, les menaces »5r.
Réduction des frais de personnel et dévalorisation des salariés : d’où nous vient ce modèle de management qui fait tache d’huile dans le monde de l’entreprise ? D’Allemagne. Les frères Karl et Theo Albrecht y ont fondé la chaîne de distribution à bas prix Aldi sur les ruines de l’Allemagne vaincue. La fortune des deux pionniers du hard discount, qui n’ont jamais accordé d’interview, est colossale. L’emprise économique d’Aldi – et de Lidl, son principal concurrent – est redoutable. Ainsi, en Allemagne, « ne plus payer caisses de ret1iraite et Sécurité sociale est devenu légal ». Ce pays « a inventé les mini-jobs à 400 euros par mois, et, pour faire baisser les minima sociaux, a recalculé le panier de la ménagère sur les prix du hard discount ». Résultat : des milliers de travailleurs y vivent sous le seuil de pauvreté. L’enquête de Frédéric Brunnquell démythifie le modèle allemand tant vanté. Pour le réalisateur, le discount n’est qu’une « une machine infernale qui déclasse ses salariés, profite des budgets des Etats, formate les esprits, alimente la crise et ne crée pas d’emplois »

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