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Des migrants désespérés s’automutilent pour échapper à Dublin II

Publié le 06 août 2015 par Asse @ass69014555

Pour échapper aux rouages de Dublin II, des hommes n'hésitent pas à s'automutiler ! Le règlement de Dublin II a pour objectif d'empêcher un demandeur de présenter des demandes dans plusieurs États membres et de réduire le nombre de demandeurs d'asile transportés d'un État membre à l'autre. Le premier pays européen dans lequel une personne migrante arrive est responsable pour faire face à sa demande d'asile. Ce règlement met une pression excessive sur les zones frontalières où les États peinent à offrir soutien et protection aux demandeurs d'asile et surtout sur les migrants qui ont choisi une autre destination.

Le Monde diplomatique 25 septembre 2009 Le ministre français de l'immigration, M. Eric Besson, a confirmé jeudi qu'il y aurait bien des expulsions de migrants arrêtés lors du démantèlement de la "jungle" de Calais, mardi 22 septembre. A cette annonce, les associations d'assistance aux réfugiés ont fait part de leur inquiétude, car la plupart d'entre eux sont originaires d'un pays en guerre, l'Afghanistan. Elles alertent aussi sur le fait que parmi ces dernières figurent des mineurs, déclarés majeurs au terme d'expertises médicales discutées. Quelque cent vingt-cinq mineurs officiellement reconnus comme tels ont également été interpellés et placés dans des foyers. Un fait lié à la situation des migrants demeure cependant peu connu et peu commenté : les pratiques d'automutilation auxquelles pousse le fichage européen.

Un tiers des demandeurs d'asile reçus aux permanences de la sous-préfecture de Calais se mutilent les doigts afin d'y "effacer" leurs empreintes digitales. L'information, passée inaperçue cet été, émane de Gérard Gavory, sous-préfet de Calais, interrogé en juillet dernier par LibéLille : "Depuis le 5 mai, cent soixante-dix personnes ont été reçues aux permanences de la sous-préfecture, à raison de deux jours par semaine. Cinquante et une ont été identifiées par leurs empreintes digitales comme étant passées par les bornes Eurodac en Grèce et en Italie.

Cinquante-sept ont des empreintes effacées. Trente et une ont reçu une autorisation provisoire de séjour, vingt-neuf sont déjà en Centre d'accueil pour demandeur d'asile."

Eurodac est un système automatisé de reconnaissance d'empreintes décadactylaires (les dix doigts plus la paume) répertoriant, au 31 décembre 2007, 1 005 323 demandeurs d'asile et immigrants clandestins âgés de 14 ans au moins. Objectif : identifier le pays par où ils sont entrés afin de pouvoir les y refouler, en vertu de la Convention de Dublin. Mis en application en 2007, le règlement Dublin II a comme objectif de limiter les demandes d'asile multiples dans l'Europe de Schengen.

Ainsi, les autorités françaises ou britanniques expulsent régulièrement vers l'Italie ou la Grèce des réfugiés qui y avaient préalablement été fichés, pour que leurs demandes d'asile soient étudiées dans ces pays, ou qu'ils soient "refoulés" dans leur pays d'origine. Depuis deux ans, un nombre croissant de migrants font ainsi le choix de se mutiler les doigts afin d'en effacer les empreintes, espérant ainsi échapper au fichage d'Eurodac et au système de "réadmission" de Dublin II.

"Continuellement, précisait la légende de la photographie publiée plus haut, , un feu est gardé allumé. Il permet de chauffer l'eau (pour le thé, la lessive ou la toilette), mais également d'y faire brûler des barres en fer avec lesquelles les migrants se mutilent le bout des doigts pour effacer leurs empreintes digitales."

Toujours en 2008, Nathalie Loubeyre et Joël Labat réalisaient un documentaire, No comment (Grand prix du documentaire au Festival international du film des droits de l'homme en 2009). Deux séquences montrent comment des migrants se mutilent les doigts, au fer rouge, et au papier de verre.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, explique Nathalie Loubeyre, ce type de mutilations est largement connu de ceux qui aident ces migrants, non seulement parce qu'ils se mutilent devant eux, mais aussi parce qu'ils le font avant même d'entrer en Europe :

"Tous les gens qui travaillent là-bas le savent depuis des années : ça se pratique depuis fort longtemps, et pas seulement à Calais... [Les migrants] veulent pouvoir demander l'asile dans le pays de leur choix, mais, à cause des accords de Dublin, leur but est d'être "vierges" aux frontières. Et donc, certains se coupent ou se brûlent les doigts avant même d'arriver dans l'espace Schengen, car ceux qui sont déjà fichés n'obtiendront pas l'asile."

Dans son rapport " La loi des "jungles"", consacré à l'après-Sangatte et publié en septembre 2008, la Coordination française pour le droit d'asile (CFDA) évoquait elle aussi, en note de bas de page, les propos de Lily Boillet, militante à Norrent-Fontes (un village du Pas de Calais), qui parle de "mutilations", décrit l'odeur de "cochon grillé" dégagée par les doigts brûlés et évoque le fait qu'avec Dublin, "les exilés ont vu leur corps se transformer en un élément qui joue en leur défaveur".

En juillet 2009, le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) de l'ONU constatait également qu' "afin d'éviter d'être renvoyés en Grèce ou ailleurs, des migrants et des demandeurs d'asile vont jusqu'à brûler le bout de leurs doigts avec des clous chauffés à blanc ou de l'acide sulfurique pour qu'ils ne puissent plus être identifiés via leurs empreintes digitales".

En mars, Matthieu Millecamps, journaliste à Nord Eclair, relevait que les militants de Terre d'Errance, l'association de Lily Boillet, en étaient arrivés à surnommer "doigts brûlés" ceux qui décident ainsi de se mutiler pour éviter d'être fichés. L'article comparait également les destins de trois jeunes Erythréens qui avaient réussi à traverser l'Italie, la France, puis la Manche, pour atteindre Londres, et les problèmes kafkaïens auxquels ils étaient confrontés.

Le premier avait été fiché en Italie; il travaille avec un faux passeport, "parce que c'est la seule solution"; ses doigts, brûlés, sont scarifiés, et ses empreintes le font "trembler à la vue d'un policier" : elles lui ont valu, par deux fois déjà, d'être renvoyé en Italie. Le second a vu ses empreintes fichées en Grande-Bretagne, il ne risque donc pas d'être refoulé dans un autre pays. Le troisième, lui, n'a même pas été fiché. Il a juste perdu un œil, d'un coup de barre de fer, lors d'une ratonnade à Calais...

Sylvie Copyans, de l'association Salam, qui œuvre aux côtés des migrants de Calais, confirme que "de nombreux migrants, principalement les Africains, se mutilent les doigts pour éviter d'être identifiés en se brûlant les doigts sur un bout de fer chauffé à rouge, avec de l'acide, avec du papier de toile émeri". Un autre témoin de ces mutilations, qui préfère garder l'anonymat, précise que d'autres utilisent des rasoirs jetables pour se râper les empreintes - "peut-être moins douloureux que de se faire brûler les doigts, mais beaucoup plus long (il avait bien dû y passer l'après midi)".

Un fichage peu utile

Ces mutilations entraînent-elles des complications sanitaires? Mansour, un jeune réfugié afghan qui travaille comme traducteur pour le service de santé des migrants de Calais (PASS), explique que certains ont effectivement des problèmes avec leurs mains, du fait des conditions d'hygiène difficiles, voire déplorables, qu'ils rencontrent dans les "jungles" où ils se réfugient. Sylvie Copyans relativise : " Il m'est très rarement arrivé de devoir soigner des brûlures de ce type."

Triste ironie, ces mutilations ne serviraient pas à grand chose : "les empreintes se reforment de toute façon. Cela ne fait qu'allonger des délais qui sont déjà importants dans la procédure de demande d'asile". Cela amène certains migrants à renouveler la mutilation "environ une fois par mois" ... De plus, précise Mansour, non seulement la police arrive souvent à retrouver leurs empreintes digitales, mais la Grèce a également commencé à ficher les empreintes de leurs mains. Ce qui amène certains réfugiés à se brûler désormais les paumes...

"Plus de 55 300 requêtes ont été envoyées (soit 11,5% du nombre total de demandes d'asile - 589 499 - dans l'ensemble des Etats membres pour la même période). 72% de ces requêtes ont été acceptées, ce qui signifie que dans 40 180 cas, un autre Etat-membre a accepté d'assumer la responsabilité d'un demandeur d'asile. Toutefois, les Etats membres n'ont en réalité effectué que 16 842 transferts de demandeurs d'asile."

Ce fichage est-il utile aux autorités? Le rapport d'évaluation du système Dublin, publié en juin 2007 et portant sur les années 2003-2005, permet d'en douter : non seulement le "décalage important" entre les informations transmises et reçues ne permettait pas de mesurer précisément l'efficacité du système, mais celles qui pouvaient être mesurées montrent que 58% des réfugiés fichés parviennent à échapper à la procédure de "réadmission" :

La faiblesse des taux de transferts de demandeurs d'asile effectués par rapport à celui des transferts acceptés nuit considérablement à l'efficacité du système. Les Etats membres expliquent ce phénomène par le fait que les demandeurs d'asile disparaissent souvent après la notification d'une décision de transfert.

Non contents de se mutiler les doigts pour ne pas être fichés, et ainsi espérer rester "invisibles" aux yeux des autorités, les réfugiés n'hésitent pas à disparaître, physiquement, dans la nature...

Extrait de " No comment ", documentaire de Nathalie Loubeyre et Joël Labat,Ce règlement est destiné à identifier dans les plus brefs délais possibles l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile et à prévenir l'abus des procédures d'asile.
où l'on voit un migrant se " poncer " les doigts et un autre les brûler
afin d'en effacer les empreintes digitales,

et donc espérer ne pas être identifié par la police des frontières.

Dernier point, et non des moindres : "Faute de données précises, il n'a pas été possible d'évaluer un élément important du système Dublin, à savoir son coût."

Règlement (CE) no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers.

Le règlement pose pour principe qu'un seul État membre est responsable de l'examen d'une demande d'asile. L'objectif est d'éviter que les demandeurs d'asile soient renvoyés d'un pays à l'autre mais également d'éviter l'abus du système par la présentation de plusieurs demandes d'asile par une seule personne.

Des critères objectifs et hiérarchisés sont donc définis afin de permettre de déterminer, pour chaque demande d'asile, l'État membre responsable.

Les critères énoncés doivent être appliqués dans l'ordre de présentation sur la base de la situation existante au moment de la première présentation de la demande d'asile auprès d'un État membre.

Si le demandeur d'asile est un mineur non accompagné, l'État membre responsable de l'examen de la demande est celui dans lequel un membre de sa famille se trouve légalement, pour autant que ce soit dans l'intérêt du mineur. En l'absence d'un membre de la famille, l'État membre responsable de l'examen de la demande est celui dans lequel le mineur a introduit sa demande d'asile.

Pour les majeurs, si un membre de la famille du demandeur possède déjà la qualité de réfugié dans un État membre, ou si la demande de cette personne est en cours, cet État membre est responsable de l'examen de la demande d'asile, à condition que les intéressés le souhaitent.

En outre, les demandes d'asile introduites simultanément ou à des dates rapprochées par plusieurs membres d'une famille peuvent être examinées conjointement.

L'État membre qui a délivré au demandeur un titre de séjour ou un visa en cours de validité est responsable de l'examen de la demande d'asile. Si le demandeur est titulaire de plusieurs permis ou visas, l'État membre responsable de la demande d'asile est celui qui a délivré le document dont l'échéance est la plus lointaine.

Les mêmes règles s'appliquent lorsque le demandeur d'asile est en possession d'un ou plusieurs titres de séjour qui ont expiré moins de deux ans plus tôt ou d'un ou plusieurs visas qui ont expiré mois de six mois plus tôt, et qu'il n'a pas quitté les territoires des États membres.

    Entrée illégale ou séjour dans un État membre

Si le demandeur a franchi irrégulièrement les frontières d'un État membre, ce dernier est responsable de l'examen de la demande d'asile. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.

Lorsque le demandeur d'asile a vécu dans un État membre pour une période continue d'au moins cinq mois avant d'introduire sa demande d'asile, cet État membre devient responsable de l'examen de la demande. Lorsque le demandeur a vécu pour une période d'au moins cinq mois dans plusieurs États membres, l'État membre où il a vécu le plus récemment est responsable de l'examen de la demande.

Lorsqu'un ressortissant d'un pays tiers introduit une demande d'asile dans un État membre où il n'était pas soumis à l'obligation de visa, l'État membre où la demande a été présentée est responsable.

    Demande dans une zone de transit international d'un aéroport

Lorsqu'un ressortissant d'un pays tiers introduit une demande d'asile dans une zone de transit international d'un aéroport d'un État membre, ce dernier est responsable de l'examen de la demande.

Si aucun État membre ne peut être désigné sur la base des critères énoncés, le premier État membre auquel la demande d'asile a été adressée est responsable de son examen.

À la demande d'un autre État membre, tout État membre peut accepter d'examiner une demande d'asile dont il n'est pas responsable et ce pour des raisons humanitaires fondées notamment sur des motifs familiaux ou culturels, à condition que les intéressés le souhaitent.

Prise en charge du demandeur d'asile

Interview de Danièle Lochak, membre et ancienne présidente du Gisti le 10 juin 2015 par Bondy Blog. Bondy Blog : Lors des nombreux débats autour des questions migratoires, les politiques affirment tout et son contraire. Certaines formules vous ont-elles particulièrement choquées dernièrement ?

L'État membre désigné comme responsable de la demande d'asile doit prendre en charge le demandeur et traiter la demande.

BB : Combien de personnes entrent et sortent chaque année du territoire environ ? La France est elle toujours un grand pays d'immigration ?

Si un État membre auprès duquel une demande d'asile a été introduite considère qu'un autre pays de l'UE est responsable, il peut demander à cet État membre de prendre en charge la demande. Une demande de prise en charge ou de reprise en charge devra indiquer tout élément permettant à l'État membre requis de déterminer s'il est effectivement responsable. Lorsque l'État requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge de la personne concernée, une décision motivée signifiant que la demande est irrecevable dans l'État où elle a été présentée et qu'il y a obligation de transférer le demandeur d'asile vers l'État membre responsable est notifiée au demandeur.

Le règlement Dublin II remplace la convention de Dublin de 1990 qui fixait les critères relatifs au pays compétent pour traiter une demande d'asile. Tous les États membres de l'UE appliquent le règlement ainsi que la Norvège, l'Islande, la Suisse et le Liechtenstein.

Interview de Danièle Lochak,
membre et ancienne présidente du Gisti,
par
le 10 juin 2015

BB : Combien de personnes demandent et se voient accorder l'asile en France chaque année ? À votre avis, la France est elle une terre d'asile ?

Il faut supprimer le dispositif Dublin, mais il faut surtout supprimer Frontex

BB : Les frontières sont elles plus ouvertes sous François Hollande que sous Nicolas Sarkozy ?

Danièle Lochak : Je pense par exemple à ce discours qui consiste à dire qu'il faut mettre fin à l'activité des passeurs et que tout rentrera dans l'ordre. C'est l'affirmation la plus stupide et la plus hypocrite qui soit. D'abord, s'il y a des passeurs, c'est que des personnes ont absolument besoin de recourir à leurs services à cause de la fermeture de toutes les routes légales et sûres pour venir en Europe. Ensuite, les moyens évoqués pour éradiquer leur activité supposent de livrer une véritable guerre, d'utiliser les armes de la guerre. Enfin, à supposer que l'on stoppe leur activité, cela signifie que les gens qui ont recours à ces passeurs ne pourront plus sortir de là où ils sont. Ils seront torturés, tués et enfermés sur place au lieu de mourir en Méditerranée, puisqu'aujourd'hui c'est le choix qui leur est laissé.

DL : Ce sont deux questions différentes, car les personnes qui entrent et sortent, cela comprend les touristes. D'après les statistiques du ministère de l'Intérieur, les ambassades auraient traité en 2013, 2 840 196 demandes et 2 500 000 visas auraient été délivrés. Il y a un taux de refus d'environ 10 %, ce qui donne une impression de facilité. Mais les chiffres sont trompeurs. D'abord, il faut mettre à part les visas dits de long séjour, qui concernent les personnes - conjoints de Français, membres de famille, étudiants - qui ont déjà accompli toutes les formalités pour séjourner en France. En ce qui concerne les visas de court séjour, les statistiques ne précisent pas la nationalité de ceux à qui ils sont refusés, et les chiffres globaux ne sont donc pas significatifs puisqu'ils amalgament les hommes d'affaires russes ou chinois et les Algériens ou les Marocains qui souhaitent venir rendre visite à leur famille, par exemple. Il y a un grand arbitraire également en la matière, comme en témoigne le nombre de refus de visas annulés (autour de 20 %) lorsque les gens font du contentieux et également le fait que faire un recours suffit parfois (là aussi dans 20 % des cas) à débloquer la situation.

BB : Le remplacement du programme de sauvetage Mare Nostrum par un programme de surveillance, Triton, n'est-il pas contraire aux droits de l'homme ?

La compétence des autorités consulaires françaises pour la délivrance des visas de court séjour est encadrée par la réglementation européenne. On lit, dans le règlement sur les visas : " Une attention particulière est accordée à l'évaluation du risque d'immigration illégale ou du risque pour la sécurité des états membres que présenterait le demandeur ainsi qu'à sa volonté de quitter le territoire des états membres avant la date d'expiration du visa demandé ". Un des motifs pour refuser le visa est justement que la personne n'a pas fourni des éléments suffisants pour prouver cette volonté. Autrement dit, une personne qui est fonctionnaire dans son pays ou qui y a un commerce florissant obtiendra son visa sans problème. En revanche, une personne de 25 ans sans emploi se verra refuser le visa à tous les coups : elle représente un " risque migratoire ". C'est pour cela que les chiffres sont trompeurs les frontières ne sont pas fermées pour tout le monde.

BB : L'instauration de quotas au niveau européen, refusée au demeurant par Manuel Valls comme par d'autres chefs d'État et de gouvernement européens, pourrait représenter une solution ?

Sur les titres de séjour maintenant, les statistiques nous disent combien de cartes sont théoriquement en circulation : 2 900 000 en 2013, mais elles ne tiennent pas compte des gens qui quittent le territoire et elles ne sont pas toujours mises à jour pour tenir compte des personnes qui sont naturalisées ou qui décèdent. Il y a donc une surévaluation de la présence étrangère effective. En sens inverse, les ressortissants de l'Union européenne ne sont plus comptabilisés depuis qu'ils sont dispensés de détenir un titre de séjour (depuis 2004).

DL : La France n'est pas une terre d'asile. Si on regarde là encore les statistiques du ministère, en 2014, il y a eu environ 45 000 premières demandes, et 13 000 mineurs accompagnants, qui sont des enfants qui suivent le sort de leurs parents, plus 5 400 réexamens. Cela amène à environ 64 000 demandes. L'OFPRA (Office français des réfugiés et du droit d'asile) a rendu un peu plus de 52 000 décisions, et a donné une réponse favorable dans 8 763 cas. Faisons un petit calcul (elle sort sa calculatrice), cela donne, soyons généreux 17 %. De plus, parmi les personnes concernées, il y en a qui n'ont obtenu que la protection subsidiaire, qui n'est pas le statut de réfugié et ne donne droit qu'à une carte d'un an renouvelable au lieu d'une carte de résident. Il y a eu 37 345 recours, et dans 5 800 cas, la CNDA (Cour nationale du droit d'asile) a annulé la décision négative de l'OFPRA et attribué l'une ou l'autre des formes de protection (statut de réfugié ou protection subsidiaire. Mais même en ajoutant les deux chiffres, on reste sur un taux de reconnaissance beaucoup plus bas que dans beaucoup d'autres pays. De plus, le nombre de demandeurs est loin d'être parmi les plus importants d'Europe, encore moins si on raisonne non pas en chiffres bruts, mais en rapportant ce nombre à la population du pays.

DL : Frontières ouvertes ou fermées, rappelons que c'est une métaphore. Même nous qui plaidons pour la liberté de circulation et des frontières ouvertes, nous ne demandons pas la suppression de ces dernières. En ce qui concerne l'ouverture ou la fermeture des frontières, il faut distinguer ce qui relève de la France et ce qui relève de la politique européenne (à la définition de laquelle la France participe, bien évidemment). Il y a des entraves physiques et juridiques qui sont mises en place par l'Union européenne, FRONTEX en est l'exemple par excellence, et la France en est partie prenante.

Concernant la législation française, les entraves les plus importantes à l'accès au territoire français et à la stabilité du séjour ont été globalement le fait de la droite, mais la gauche, une fois revenue au pouvoir, les a le plus souvent laissées subsister. C'est le cas par exemple du regroupement familial, et plus généralement des restrictions apportées à la délivrance de la carte de résident. En 1984, quand la carte de résident a été créée, tous les gens qui avaient des attaches personnelles ou familiales en France obtenaient de plein droit une carte de résidence de dix ans. Par la suite cette grande avancée a été progressivement grignotée, notamment par la loi Pasqua de 1993, avant d'être supprimée par les lois Sarkozy de 2003 et de 2006. Or le projet actuel de réforme du Ceseda ne prévoit absolument pas de revenir aux principes de la loi de 1984.

DL : C'est certain. Du point de vue du droit international, il est vrai qu'aucun état n'est obligé d'accueillir des étrangers sur son territoire, même les demandeurs d'asile. La Déclaration universelle des droits de l'Homme déclare que " devant la persécution " toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile dans un autre pays, mais sans créer une obligation corrélative pour les états d'accueillir les réfugiés. La convention de Genève se borne à énoncer une obligation de non-refoulement vers le pays de persécution, sans non plus obliger les états signataires à accueillir les réfugiés sur leur territoire. Mais il y a aussi l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants et qui inclut ce que l'on appelle dans un langage peu juridique, mais imagé " la protection par ricochet ". On viole cet article si l'on renvoie des gens dans des pays où ils seront exposés à subir de tels traitements. Un autre principe fondamental est que toute personne a le droit de quitter un pays y compris le sien ; or, sous la pression de l'Union européenne, plusieurs pays pénalisent aujourd'hui l'émigration illégale. Par conséquent, oui : tous ces droits fondamentaux sont aujourd'hui violés.

DL : Une directive européenne de 2001 prévoit l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées. Aujourd'hui, on pourrait l'appliquer. Quand l'afflux massif est constaté par le Conseil, les états membres doivent mettre en œuvre cette protection. Ce que l'on ne dit pas, c'est comment on répartit les personnes à l'intérieur des États membres. Curieusement, personne aujourd'hui n'évoque ce texte.

Ce que propose la commission européenne : répartir les demandeurs d'asile selon une clé de répartition fondée sur la combinaison de plusieurs critères ressemble fort à un emplâtre sur une jambe de bois. (Elle propose aussi d'accueillir 40 000 Syriens sur deux ans, ce qui est dérisoire par rapport aux centaines de milliers de personnes qui ont dû trouver refuge dans les pays adjacents). Le seul aspect positif, pourrait-on dire, des propositions de la commission, c'est qu'elle équivaut à reconnaître que le règlement Dublin ne marche pas. Ce règlement interdit à un demandeur d'asile qui vient sur le sol européen de décider dans quel pays il va demander l'asile. Il ne peut pas non plus faire plusieurs demandes dans plusieurs pays. Il y a des critères pour déterminer l'État qui sera responsable de la demande, mais le plus souvent le critère appliqué conduit à désigner l'État par lequel le réfugié est entré dans l'espace Schengen - ce qui veut dire, en pratique, le plus souvent l'Italie ou la Grèce.

Mais même si on accepte des entorses au dispositif Dublin, cela ne résout pas la question de fond : outre qu'on n'est pas certain que les intéressés respecteront l'assignation à résider dans tel ou tel pays, cela ne change pas le problème de fond qui est l'impossibilité pour les migrants, et notamment pour ceux qui ont besoin de protection, d'arriver en Europe par les voies légales. Autrement dit, il faut supprimer le dispositif Dublin, mais il faut surtout supprimer Frontex - et bien entendu la législation dont il est l'expression par excellence.


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