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Charles Enderlin : “Aujourd'hui, pour le gouvernement Netanyahou, ça roule, tout va bien”

Publié le 07 août 2015 par Blanchemanche
#CharlesEnderlin #Israel #Palestine #MoyenOrient
  •  Vincent Remy
  • Publié le 06/08/2015.
  • Charles Enderlin : “Aujourd'hui, pour le gouvernement Netanyahou, ça roule, tout va bien”
    Alors que la montée du terrorisme juif inquiète Israël, entretien avec le correspondant historique de France 2, qui a récemment annoncé sa retraite, après trente-quatre ans passés à couvrir un conflit qui semble sans fin.Le 17 août prochain, Charles Enderlin, chef du bureau de France 2 à Jérusalem, remet les clés à Franck Genauzeau, 37 ans. Retour sur une carrière exceptionnelle, au moment où montent les périls du fanatisme religieux qu'il n'a cessé de pointer.Trente-quatre ans de correspondance, huit livres, cinq documentaires… et le sentiment du devoir accompli ?En tout cas d'avoir réussi le travail quotidien de couverture des événements, et d'avoir donné, avec mes documentaires, des clés pour comprendre une crise qui ne trouve pas de solution. J'ai couvert la montée du sionisme religieux, du fondamentalisme messianique, avec en parallèle celle du Hamas. Le rabbin fondamentaliste Yehuda Glick, à qui je donne la parole dans mon dernier documentaire, Au Nom du temple[diffusé en mars dernier sur France 2, NDLR], est devenu une vedette médiatique après avoir été grièvement blessé l'an dernier par un Palestinien. Ce que je montre fait désormais partie de l'actualité au quotidien. Une partie d'Israël, le sionisme libéral, la gauche, a laissé se développer son principal adversaire au sein de la société. Au Nom du temple n'a pas été montré en Israël. Et en France, aucun organisme communautaire n'a réagi à sa diffusion. En revanche, les sites extrémistes se félicitent de mon départ.Arrestation par des policiers israéliens en civil d'un ultra-orthodoxe après son agression au couteau de participants de la Gay Pride, jeudi 30 juillet 2015, en plein centre de Jérusalem. Plusieurs personnes ont été touchées. Comment analysez-vous les deux actes fanatiques récents, l'attentat contre la Gay Pride de Jérusalem, et celui contre une famille palestinienne, qui ont abouti tous deux à des morts d'enfants ?Cela fait désormais partie du quotidien de la région. Souvenez-vous, deux attentats commis par des juifs ont fait basculer la région et détruit le processus de paix. En février 1994, Baruch Goldstein, médecin, colon de Kyriat Arba, l’implantation juive de Hébron, a massacré vingt-neuf fidèles musulmans dans le caveau des Patriarches. Puis, en novembre de l’année suivante, Yigal Amir, un jeune extrémiste religieux, a assassiné le Premier ministre Yitzhak Rabin. Il ne faut pas oublier non plus les attentats-suicides commis par les intégristes du Hamas pour torpiller tout accord entre l’OLP et le gouvernement dirigé par Shimon Pérès, qui a succédé à Yitzhak Rabin. L’objectif était identique, en miroir : les fondamentalistes messianiques juifs luttent contre la création d’une Palestine indépendante en terre d’Israël ; les islamistes combattent la notion même d’un état d’Israël en terre d’Islam.   Ses proches portent le corps d'Ali Saad Dawabsha, bébé palestinien de 18 mois mort à la suite de l'incendie de sa maison à Douma, village de la rive est, provoqué par des colons juifs ce 31 juin 2015. Le bébé à été brûlé vif et quatre membres de la famille ont été blessés dans cet incendie criminel de deux maisons en zone occuppée. A la veille de ces nouveaux attentats, Benyamin Netanyahou a affirmé que son gouvernement travaillait au « renforcement des implantations en Cisjordanie ». Est-ce compatible avec ses déclarations contre « le terrorisme juif » ? Théoriquement oui… D’une part, neutraliser les groupuscules qui s’attaquent aux Palestiniens, et de l’autre poursuivre la colonisation. Le gouvernement Netanyahou condamne fermement les attentats anti-palestiniens parce que cela gène sa politique.Le président Reuven Rivlin va plus loin et dit « ressentir de la douleur de voir son peuple prendre le chemin du terrorisme et perdre son humanité ». Il est aujourd'hui menacé de mort par les extrémistes religieux.Rivlin appartient au Likoud. Il soutient la colonisation et prône l’annexion de la Cisjordanie. Mais il est sincère: c’est un homme de droite, mais aussi un démocrate de l’ancienne garde ; fervent défenseur des lois et du judiciaire. Président de la Knesset, il a toujours défendu les droits des députés arabes. Ces formations arabes, reconnaissantes, ont voté pour lui lors de l’élection présidentielle.
    “En Israël, dire « territoires occupés », et pas « Judée et Samarie », suffit pour vous faire considérer comme ultra-gauchiste.”
    Pensez-vous que les événements actuels peuvent donner une chance à votre documentaire Au nom du Temple d'être diffusé en Israël ?Vous savez, les chaînes israéliennes diffusent régulièrement des reportages plus ou moins longs sur les fondamentalistes messianiques… en prenant leurs précautions. Non, je ne crois pas qu’ils sera diffusé en Israël. La campagne qui avait été menée dès 2000 pour discréditer votre reportage sur la mort de Mohammed al-Durah a-t-elle porté ses fruits ?Oui,  une partie des Israéliens et de la communauté juive française est persuadée que l'armée israélienne ne peut tirer sur un enfant. En Israël, il n'y a jamais eu d'enquête indépendante, ce à quoi France 2 et moi-même étions prêts. La Haute Cour de justice a toutefois rendu un jugement en notre faveur en 2009. A l’origine de cette campagne, il y a un principe qui existe depuis la guerre des Six Jours. De grands intellectuels disaient déjà qu'un Juif qui critique Israël est un Juif qui a la haine de soi. Un non-Juif, lui, est très vite traité d'antisémite. On m’a décerné le titre de Juif qui a la haine de soi. Voyant quels sont les autres qui y ont eu droit, j’en suis très fier. Lorsqu'on est correspondant ici, il faut faire avec.Vous avez dit sur France Inter que vous alliez retrouver votre « liberté de parole ». Pourquoi ?J'ai toujours pris soin de ne pas exprimer d'opinion politique personnelle, de ne pas participer à des manifestations. J'avais un discours de journaliste, tout en utilisant le vocabulaire de la communauté internationale, qui ne plaît pas à la droite et aux sionistes religieux. Dire « territoires occupés », et pas « Judée et Samarie », suffit pour vous faire considérer comme ultra-gauchiste. Pourtant, pas un Etat dans le monde ne reconnaît l'annexion de Jérusalem-Est, et toutes les ambassades étrangères se trouvent à Tel Aviv. Une partie des Israéliens, et aussi de la communauté juive française, a du mal à le comprendre. Liberté de parole, cela peut aussi être face aux militants pro-Palestiniens de la campagne BDS (Boycott Désinvestissement Sanction) qui, en boycottant les universitaires, les artistes israéliens de gauche, sont les alliés objectifs de la droite israélienne. Elle a beau jeu de dire : votre action n'est pas dirigée contre l'occupation mais contre l'existence même d'Israël.
    “La place de la politique étrangère dans les journaux télévisés en France a considérablement baissé.”
    Avez-vous le sentiment qu'il est plus difficile aujourd'hui de parler du conflit israélo-palestinien ?Cela fait déjà quelques années que les rédactions parisiennes, y compris France 2, ne sont pas intéressées par ce conflit, parce qu'il n'y a rien de nouveau. Si on appelle Paris ou New York en disant que les Israéliens sont en train de construire des centaines de logements dans les territoires, les rédactions centrales répondent : C'est nouveau ? Non, ce n'est pas nouveau.Cela est-il dû à une lassitude, ou au fait qu'il se passe quelque chose de terrible juste à côté, en Syrie, en Irak ?Les deux. Il y a certes des conflits plus importants, qui concernent plus directement les téléspectateurs ; et il n'y a pas en Europe de terrorisme palestinien, tandis que, localement, la violence palestinienne est contenue par les services de Mahmoud Abbas. Le conflit israélo-palestinien ne représente absolument plus une urgence politique régionale. Les dirigeants arabes se fichent royalement de ce qui se passe dans les territoires palestiniens. Depuis la chute du président (égyptien) Mohamed Morsi, les généraux au Caire considèrent le Hamas comme un ennemi.J'ajouterais que ce qui se passe « à côté », on n'en parle pas beaucoup non plus. Dans la presse française, on parle un peu de la Syrie et de l'Irak, quand les images sont particulièrement dures. La Libye, on n'en parle plus. L'Afrique, où des soldats français se battent, on en parle très peu. Les grandes rédactions évitent de montrer des choses trop anxiogènes. Et la place de la politique étrangère dans les journaux télévisés en France a considérablement baissé, peut-être en raison de la crise économique et sociale.Comment va évoluer le bureau de France 2 à Jérusalem ?Franck Genauzeau, qui me succède, va probablement couvrir davantage l'ensemble de la région. Les techniques ont changé, on diffuse très peu par satellite, on peut aller partout avec un ordinateur portable. Mais il faudrait davantage d'appétit des chaînes, pas forcément dans les journaux télévisés, mais pour des documentaires. Les chaînes françaises n'ont pas fait le suivi des deux révolutions égyptiennes, qui ont été des événements gigantesques. Des millions d'Egyptiens étaient prêts à mourir pour que Hosni Moubarak [l'ancien président égyptien, NDLR] soit destitué. Le Printemps arabe est loin d'être terminé. En Egypte, ce qui est arrivé à Moubarak et à Morsi pourrait se reproduire un jour !Et la société palestinienne, bouge-t-elle également, avec Internet ?Les réseaux sociaux sont très contrôlés par la direction palestinienne à Ramallahen Cisjordanie, qui n'hésite pas à arrêter des blogueurs qui critiquent trop Mahmoud Abbas ou la politique de l'OLP. A Gaza, le Hamas fait la même chose. Qu'allez-vous faire prochainement ?J’espère faire des documentaires pour décrypter différemment l'histoire du Proche-Orient. Une fresque sous l'angle d'abord du jeu des grandes puissances, France, Grande-Bretagne, Russie, Etats-Unis, qui ont toutes échoué. Puis l'échec des nationalismes arabes, le nasserisme, le Baas, et la montée de l'islamisme, avec des services secrets occidentaux qui n'y comprennent rien. Enfin, en Israël, analyser comment on est passé du sionisme socialiste à une économie ultralibérale à la Thatcher, avec l'idée qu'il n'y aura pas d'Etat palestinien. Aujourd'hui, pour le gouvernement Netanyahou, ça roule, tout va bien. Il n'y a pas de véritable menace extérieure, de temps en temps une roquette venue de Gaza ; ça gène, mais ne constitue pas un vrai danger. La colonisation continue tranquillement sans que la communauté internationale ne fasse autre chose que protester mollement tout en sachant pertinemment que chaque nouvelle construction en Cisjordanie est un clou supplémentaire dans le cercueil du processus de paix. A Paris comme à Berlin, on sait pertinemment que quatre cent mille colons ne seront pas évacués. Et tout le monde continue avec cette litanie. Il faut trouver une autre solution, car chez les Palestiniens on va vers le chaos. Mahmoud Abbas, 80 ans, n'a pas de successeur. Les Israéliens, eux, vivent bien. Bien sûr, l'année dernière, les grandes vacances ont été fichues avec une guerre à Gaza. Plus de soixante-quatre militaires et civils israéliens ont perdu la vie, mais les deux mille cent quarante morts palestiniens n’ont pratiquement pas été vus sur les chaînes israéliennes, qui ont fonctionné selon le mode du tout-info. Sur deux heures, la deuxième chaîne ne montrait que cinq minutes des conséquences des bombardements à Gaza, les enfants blessés, les familles décimées. Comme la plupart des autres chaînes internationales, France 2 faisait attention à l'équilibre des sujets. Côté israélien, cela donnait des gens qui couraient aux abris. Côté palestinien, des blessés et des morts. On nous a dit : « Vous êtes déséquilibrés. » Mais le conflit était dissymétrique, et, nécessairement, la couverture l'était aussi. Cela, les Israéliens préfèrent ne pas le voir.http://www.telerama.fr/medias/charles-enderlin-aujourd-hui-pour-le-gouvernement-netanyahou-ca-roule-tout-va-bien,130077.php

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