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Lire tout Proust en huit jours et survivre...

Par Georgesf

  Lire tout Proust en huit jours et survivre...

Mon PC va prendre quelques jours de pause technique : il sera de retour dans huit jours. Mes chroniques aussi. Mon blog-ranking va dévisser, tant pis.

Pendant ce temps, je vais lire Proust. Toute La Recherche du temps perdu en huit jours : Du côté de chez Swann, À l’Ombre des jeunes filles en fleurs, Le Côté de Guermantes, Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière, Albertine disparue, Le temps retrouvé. Sept livres de Proust en une semaine, c’est raisonnable.

L’entreprise est d’autant plus raisonnable qu’il s’agit d’une édition abrégée et adaptée, par Laurence Grenier. Toute La recherche en un seul volume, moins de 500 pages au lieu de 3 000 ! (je cite). N’est-ce pas merveilleux ?

La démarche m’enchante : pour la première fois, j’aurai une vue d’ensemble de l’œuvre de l’exquis Marcel. Les passages dilués sont condensés, les méandres deviennent vecteurs. Toutes les bavasseries oiseuses sont ôtées. Il ne reste rien que les actions. « Donc rien » me direz-vous ? Non, ça occupe quand même 500 pages. De temps à autre des passages sont cités intégralement, pour calmer le dépit du lecteur. En voici un exemple : « L’amitié, dont tout l’effort est de nous faire sacrifier la partie seule réelle et incommunicable (autrement que par le moyen de l’art) de nous-même, à un moi superficiel, qui ne trouve pas comme l’autre de joie en lui-même, mais trouve un attendrissement confus à se sentir soutenu sur des étais extérieurs […] Mais quelle que fût mon opinion sur l’amitié, même pour ne parler que du plaisir qu’elle me procurait, d’une qualité si médiocre qu’elle ressemblait à quelque chose d’intermédiaire entre la fatigue et l’ennui, il n’est breuvage si funeste qui ne puisse à certaines heures devenir précieux et réconfortant en nous apportant le coup de fouet qui nous était nécessaire, la chaleur que nous ne pouvons pas trouver en nous-même. » (Le côté de Guermantes, page 689).

Relisez plusieurs fois ce passage. Qu’en concluez-vous ? Moi, j’en ai conclu que je ne veux plus avoir d’amis, c’est trop compliqué.

Revenons donc à l’édition abrégée et adaptée. C’est accablant. Débarrassée de ses circonvolutions, l’action paraît infiniment plus bavarde, les errements de la pensées inutiles, les atermoiements de la conduite inconséquent (Vais-je ou ne vais-je pas faire semblant de ne pas reconnaître la cousine de Courvoisier avant qu’elle ne fasse semblant de ne pas me reconnaître tant que la Princesse de Parme ne m’aura pas appelé à son côté ?) Toutes ces pages deviennent un condensé d’ennui, plus violent. Alors, on ouvre parfois le vrai Proust, et on découvre que certains paragraphes résumés dont la platitude étonne redeviennent de petits bijoux dès qu’on en lit l’intégralité (les fanfaronnades hellénistiques du fils bien aimé dans la famille Bloch, par exemple). Et c’est peut-être là qu’on sent venir la lente inoculation du virus proustien.

À ce stade, ce qu’il en reste, c’est la chronique d’un monde effrénément snobinard et clos dont je ne vois pas l’équivalent de nos jours (Dans les médias ? Dans l’édition ? Mais certainement pas dans l’aristocratie). Des pages d’un antisémitisme tout en sourires jaunes. Une vision des rapports entre le grand monde et le petit : Ah, Proust qui fait se lever la vieille domestique à onze heures du soir pour accueillir un visiteur ! Car ce n’est quand même pas lui qui va ouvrir la porte, n’est-ce pas ! Ah la Duchesse de Guermantes qui, le soir venu, décale le soir de sortie de son valet alors que la fiancée de celui-ci l’attend !

Au-delà de l’ennui, au-delà de l’agacement, il y aura toujours entre Proust et moi une certaine gêne, celle qu’on ressent quand on a invité à sa table un vieil oncle, intarissable bavard, qui se croit le centre de la conversation « Il faut que je vous raconte… ».

Aurai-je changé d’avis quand j’aurai fermé la dernière page condensée du Temps retrouvé ? Je le saurai dans huit jours, si j’ai survécu.

Note biographique : Kipling écrivait Histoires comme ça en 1902, onze ans avant que Proust n’écrive Du Côté de chez Swann (1913). Le premier me paraît tellement plus jeune, plus moderne. C’est peut-être pour ça que personne n’a eu idée d’en pondre une édition abrégée et adaptée.


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