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En finir avec eddy bellegueule

Publié le 26 août 2015 par Lorraine De Chezlo
EN FINIR AVEC EDDY BELLEGUEULEd'Edouard Louis
Roman autobiographique - 220 pagesEditions Seuil - janvier 2014
Eddy n'a pas choisi la famille Bellegueule pour grandir. Il n'a pas choisi ce village de Picardie profonde, cette violence, cette pauvreté, cette absence d'hygiène, ses parents peu cultivés, qui n'aspire qu'à la médiocrité d'une existence étriquée, malgré eux. Il n'a pas choisi d'être insulté, traité de pédale, tafiote, battu, craché dessus quotidiennement au collège, violé, sans cesse raillé pour ses "airs" efféminés et sa volonté de faire des études, même jusqu'au bac. On ne choisit pas sa famille, et quand tout l'environnement vous rejette, il reste la fuite, le salut vers un autre milieu social.
Douloureuse immersion en Picardie rurale, des lieux et des personnages si familiers pour l'auteur qu'on est persuadé qu'il les nomme et les désigne, sans doute possible. L'écriture est directe, les souvenirs sont précis, le récit est cinglant, sans concession, sans jamais ménager ce père obscène, vulgaire, insoucieux de sa santé et qui sera invalide ; la mère, pourtant lucide, mais vouée au même destin que toute femme du coin, être ensevelie dans une maison, sous les tâches ménagères et les coups maritaux ; son grand-frère violent et taulard ; sa soeur qui revoit ses ambitions à la baisse. Tout ce microcosme rabaissant, suintant le racisme, l'homophobie, la malnutrition, l'alcoolisme, la honte, la violence, toutes les bassesses d'un bas-monde rarement décrit, rarement écrit. 
Extrait :"Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d'entendre ma mère dire Qu'est-ce qui fait le débile là ? Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J'étais déjà loin, je n'appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j'ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l'odeur de colza, très forte à ce moment de l'année. Toute la nuit fut consacrée à l'élaboration de ma nouvelle vie loin d'ici.En vérité, l'insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n'a été que seconde. Car avant de m'insurger contre le monde de mon enfance, c'est le monde de mon enfance qui s'est insurgé contre moi. Très vite j'ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre."
J'ai d'abord eu très mal pour cet être doué de recul, doué de raison, doué d'envie d'ailleurs, mais si endurant à la souffrance, une souffrance acceptée, résignée, presque justifiée. J'ai été terrifiée de voir qu'un jeune étudiant de 21 ans se lançait ainsi dans l'écriture de manière si franche sur sa famille, au risque de s'attirer vengeance, haine, déni, règlement de comptes. Il l'a fait, car c'est un homme pourrait-il rétorquer. Il l'a fait, et si on pourra y lire l'absence de remords, l'absence d'empathie, on peut aussi très bien y voir l'empêchement du jugement, et un récit si plein d'humanité, et d'acceptation d'une enfance plus que difficile. Il ne renie pas son passé, il l'écrit pour mieux l'accepter, avant de se tracer un autre futur, de se choisir sa réelle identité loin des frustrations et des héritages.
L'avis de Miss Molko - Mes petits bonheursLes deux visages d'Eddy Bellegueule - Courrier Picard

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