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L’«aéroponie», ou comment cultiver sans terre ni soleil

Publié le 29 août 2015 par Blanchemanche
#aéroponie #agrobusiness #AeroFarms
Frédéric Autran NEW YORK
La majeure partie des 39 millions de dollars nécessaires au projet d’AeroFarms a été apportée par la banque Goldman Sachs et l’assureur Prudential. (Photo DR)
La majeure partie des 39 millions de dollars nécessaires au projet d’AeroFarms a été apportée par la banque Goldman Sachs et l’assureur Prudential. (Photo DR)
Nouvelle venue dans le monde de l’agrobusiness, l’aéroponie se développe: les graines sont déposées et germent sur un fin tissu perméable. Sous ce tissu, les racines reçoivent une brume d’eau et d’engrais biologique. Près de New York, une ferme géante entend produire 1000 tonnes de légumes par anDe l’extérieur, le siège d’AeroFarms ressemble à n’importe quel immeuble décrépi de Newark, dans la banlieue ouest de New York. Situé dans une petite rue sombre et étroite où la plupart des bâtiments semblent à l’abandon, l’édifice de brique rouge était il y a quelques années encore une discothèque. Il abrite désormais une ferme test spécialisée dans l’aéroponie, l’une des formes les plus récentes – et prometteuses – de culture hors-sol.Sur l’ancienne piste de danse, entre des murs recouverts de graffitis, sept plateaux de végétaux éclairés par des rangées de néons sont empilés à la verticale. Roquette, épinards, chou, cresson, laitue… des dizaines de variétés de légumes-feuilles poussent dans ces bacs d’environ un mètre sur trois. Le tout sans terre ni soleil.Pour faire simple: les graines sont déposées et germent sur un fin tissu perméable. Sous ce tissu, les racines reçoivent une brume d’eau et d’engrais biologique. Les feuilles, elles, sont éclairées en permanence par des lumières LED. A la différence de l’hydroponie, les racines des plantes cultivées par aéroponie poussent en quelque sorte dans le vide, sans contact avec un milieu solide ou liquide. Le brouillard nutritif qui les alimente laisse davantage de place à l’oxygène, ce qui permet une croissance plus rapide de la plante.La technique utilisée par AeroFarms a été développée par l’un de ses fondateurs, Ed Harwood, un ancien professeur de l’Université Cornell aujourd’hui directeur scientifique de l’entreprise. «La technologie est au cœur de ce que nous faisons. Notre activité se situe au carrefour de la biologie, de l’ingénierie et de l’analyse de données», explique Marc Oshima, cofondateur et directeur marketing d’AeroFarms. Depuis sa création, en 2004, la start-up a développé des algorithmes de croissance pour 250 variétés de légumes verts. Quantité de nutriments et d’eau, intensité et teinte de la lumière: rien n’est laissé au hasard. «Chaque nouvelle récolte nous fournit plus de 10 000 données informatiques. Nous les analysons et cherchons constamment à optimiser les conditions de culture pour que chaque plante s’épanouisse», ajoute Marc Oshima. Les profils variés des 40 employés d’AeroFarms – horticulteurs, ingénieurs mécaniques, informaticiens, spécialiste des LED – illustrent la complexité de cette agriculture high-tech.Forte de son expérience, AeroFarms s’est donc lancée cette année dans la construction d’une ferme aéroponique géante dans une aciérie désaffectée de Newark. Sur les 6500 m² de l’ancien complexe industriel, plus de 3700 m² seront consacrés à la culture des salades, roquettes et autres choux. Le reste abritera un laboratoire de recherche, un café et le nouveau siège social de l’entreprise. Sur ce site, où les premières pousses sont attendues début 2016, la start-up prévoit d’empiler 12 niveaux d’étagères sur une hauteur totale de plus de 12 mètres. Chaque rangée de culture sera longue de 25 mètres. Objectif: produire 1000 tonnes de verdure par an, ce qui en ferait la plus grande ferme aéroponique du monde.Pour les partisans de cette technique de production, les avantages sont considérables, à commencer par la rapidité et la multiplicité des récoltes. «Nos plantes arrivent à maturité en douze à seize jours, contre trente dans un champ, avance Marc Oshima. Comme nous ne sommes pas soumis aux saisons et aux aléas climatiques, nous pouvons cultiver toute l’année. Cela nous permet de faire entre 22 et 30 récoltes par an, là où une ferme classique n’en aura que trois.» Si tout va bien, AeroFarms assure pouvoir obtenir une productivité au mètre carré 75 fois supérieure à celle d’une ferme classique! Et du point de vue environnemental, l’aéroponie offre également des atouts: aucun besoin de pesticide ou d’herbicide, des semences garanties sans OGM et un recyclage total des nutriments non utilisés grâce à un système en cycle fermé. Surtout, l’utilisation de brume et d’engrais permet d’économiser 95% des besoins en eau par rapport à des cultures classiques. Un argument de taille quand on sait que la Californie, qui fournit plus de 90% des salades consommées aux Etats-Unis, traverse depuis quatre ans la pire sécheresse de son histoire.Considéré comme l’inventeur du concept de «ferme verticale», le bien nommé Dickson Despommier voit les Etats-Unis «devenir un leader mondial» en la matière. «Nous serons forcés de nous adapter à des phénomènes comme la sécheresse en Californie», pronostique cet ancien professeur de santé publique et de microbiologie à l’Université Columbia. Outre les effets du changement climatique, Dickson Despommier estime que l’évolution démographique mondiale oblige également à imaginer l’agriculture de demain. «Une surface équivalente à l’Amérique du Sud est aujour­d’hui utilisée pour nos récoltes. Si la population mondiale augmente de trois milliards de personnes au cours des quarante prochaines années, il n’y aura pas assez de terres pour les fermes traditionnelles», assène-t-il.Signe que le concept séduit de plus en plus, l’Association pour l’agriculture verticale estime que ­le nombre de fermes de ce type pourrait doubler aux Etats-Unis d’ici à l’an prochain. Une quinzaine sont aujourd’hui en activité. L’appétit des investisseurs va également croissant. La majeure partie des 39 millions de dollars nécessaires au projet d’AeroFarms a été apportée par la banque Goldman Sachs et l’assureur Prudential, qui investit dans l’aménagement urbain. Pas vraiment des hippies. La start-up, qui n’a encore jamais fait de profits, voit dans cet intérêt des caïds de la finance une validation de son modèle économique. «Nous prévoyons de faire des bénéfices dès la première année d’exploitation. La demande dépasse déjà notre capacité de production», assure, confiant, Marc Oshima.Qui sont justement ces clients? AeroFarms refuse pour le moment de donner des noms – les négociations sont en cours – mais laisse entendre qu’il s’agit pour l’essentiel de chaînes de supermarchés et de restaurants. La sélection se fera notamment sur des critères géographiques. Pas question de fournir un client situé à l’autre bout du pays. Privilégier les consommateurs locaux fait en effet partie de l’équation: l’économie réalisée sur le transport compense le coût élevé de l’énergie, lié à l’éclairage des plantes. Pour réduire sa facture d’électricité et limiter l’empreinte carbone de son projet, AeroFarms a d’ailleurs décidé d’équiper sa ferme de turbines à gaz qui généreront l’électricité nécessaire grâce au gaz naturel, moins onéreux.Si ce concept de ferme urbaine ravit les jeunes citadins branchés, désireux de manger bio et local, il est toutefois encore loin d’offrir une alternative fiable à l’agriculture traditionnelle. Pour l’heure, seule la culture des légumes-feuilles (salades, choux, etc.) peut s’avérer rentable économiquement. Contrairement, par exemple, à un plant de tomate, plus volumineux et au délai de maturation plus long. Une autre critique souvent adressée à l’hydroponie et à l’aéroponie concerne la qualité des produits: leur saveur serait moindre parce qu’ils sont cultivés sans terre et sans voir le jour. Qui, d’ailleurs, n’a jamais entendu parler de pêches, oranges ou tomates «gorgées de soleil»? Si les quelques variétés de verdure dégustées au siège d’AeroFarms sont représentatives, cette critique semble toutefois injustifiée.C’est, du reste, l’avis du célèbre chef américain Michel Nischan, séduit par les produits de la start-up de Newark, qu’il a eu l’occasion de tester. «Ils étaient remarquablement savoureux, avec une incroyable texture et une réelle densité d’arômes. J’ai été ébahi. C’est la première fois que je goûtais un produit cultivé en intérieur, à la lumière électrique, et je me suis dit: «Waouh, je veux ça sur mon menu tout le temps!» Emballé lui aussi, un célèbre chef français envisagerait d’installer sa propre unité de production dans son restaurant new-yorkais.Effet de mode? Dans cinq ans, AeroFarms espère opérer au minimum 25 de ces fermes high-tech à travers le monde, construites en partenariat avec des investisseurs locaux. […]
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