Magazine Politique

Migrants et réfugiés : des mots aux frontières bien définies

Publié le 29 août 2015 par Blanchemanche
#Migrants #réfugiés
LAURE ANDRILLON28 AOÛT 2015 
Migrants et réfugiés : des mots aux frontières bien définies
Un groupe de migrants passe illégalement la frontière entre la Hongrie et la Serbie, le 2 août 2015. (Photo Csaba Segesvari. AFP)

Face aux vagues de migrations actuelles, L'usage d'un terme ou d'un autre, qui recouvrent des réalités juridiques et symboliques différentes, n'est pas anodin.


Tous les réfugiés sont des migrants, mais tous les migrants ne sont pas des réfugiés. Loin d’être synonymes, ces termes souvent utilisés indifféremment renvoient à des statuts juridiques bien distincts. Le migrant effectue une migration volontaire pour des raisons économiques, politiques ou culturelles, et relève du droit national. Le réfugié relève en revanche du droit international, sa migration étant considérée comme contrainte par la situation de son pays d’origine. Est réfugiée une personne qui a obtenu l’asile d’un autre Etat, conformément à la convention de Genève signée en 1951 et ratifiée par 145 Etats membres des Nations Unies. Si la demande d’asile est normalement individuelle, et doit être appuyée par des éléments qui la justifient, l’ONU considère qu’«il n’est pas possible –et il ne le sera jamais– de mener des entretiens individuels avec tous les demandeurs d’asile qui traversent la frontière», et reconnaît par conséquent des groupes de migrants comme des réfugiésprima facie, sans que soient attendues d’eux des preuves.Comme le rappelle William Spindler, porte-parole du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR),«il est tout simplement inexact de parler de migrants syriens, alors que la Syrie est en guerre».Il y a un an déjà,certains médias se demandaient s’il fallait nommer réfugiés ou migrants ces enfants non accompagnés qui fuyaient l’Amérique centrale pour chercher refuge aux Etats-Unis via la frontière mexicaine. Si la question ressurgit avec autant de force à propos de la situation actuelle en Méditerranée, c’est parce que les médias comme les hommes politiques utilisent régulièrement l’expression «crise des migrants» pour y faire référence. Adrian Edwards, porte-parole du HCR, explique à Libération que cette expression est «factuellement erronée, potentiellement nocive pour l’attitude du public à l’égard des demandeurs d’asile et des réfugiés, et d’autant plus que, faisant office d’expression fourre-tout, son utilisation s’entérine».

«ON TRAITE COMME DES DÉLINQUANTS DES GENS QUI FUIENT LA GUERRE»

La distinction juridique a pourtant des conséquences très concrètes : du fait de la convention de Genève, le réfugié ne peut être renvoyé dans son pays d’origine, à l’inverse du migrant sans papiers. Dans un article du New York Times, la journaliste Somini Sengupta dit n’être pas surprise par le fait que «beaucoup d’hommes politiques en Europe préfèrent qualifier toute personne qui arrive sur le continent de migrant». D'ailleurs, le Premier ministre britannique, David Cameron, a été beaucoup critiqué en juillet pour avoir évoqué une «nuée de migrants traversant la Méditerranée à la recherche d’une vie meilleure», alors que l’ONU affirme que la grande majorité des arrivées sur les côtes européennes concerne des réfugiés et non des migrants. Pour Eric Fassin, contacté par Libération, la confusion lexicale est «révélatrice d’un recul idéologique des droits humains. A Calais ou à la Chapelle, on traite comme des délinquants des gens qui fuient la guerre en Syrie et ailleurs».Le 20 août, Barry Malone a annoncé au nom du journal qatari Al-Jezira qu’il ne parlerait plus de «migrants méditerranéens», pour marquer son refus de «donner du poids à ceux qui ne veulent y voir que des migrants économiques». L’enjeu n’est pas seulement juridique ou politique, il est aussi affectif. «Le terme générique “migrant” ne suffit plus pour décrire l’horreur qui se déroule en Méditerranée. Il a évolué de ses définitions dans le dictionnaire pour devenir un outil qui déshumanise et distancie, un euphémisme péjoratif», écrit Barry Malone. Il ne s’agit pas seulement d’adopter un lexique précis, mais de trouver un mot qui soit à la hauteur du drame qui se déroule aux portes de l’Europe. Le journaliste met en cause la connotation qui est venue teinter le mot migrant de peur, de xénophobie et de «racisme voilé».

MIGRANT OU IMMIGRÉ ? 

Epargner cette connotation aux réfugiés ne doit pas faire oublier qu’elle pèse encore sur les migrants, et qu’il importe de se garder de tout manichéisme. «S’il est important de rétablir la distinction entre migrants et réfugiés, il ne faudrait pas pour autant qu’elle serve à opposer les bons réfugiés aux mauvais migrants, comme si chercher du travail pour échapper à la misère ailleurs que dans son pays était en train de devenir un délit», explique Eric Fassin àLibération. C’est en ce sens que la Britannique Judith Vonberg, doctorante et militante auprès d’organisations de protection de réfugiés, souhaite «reprendre possession du mot «migrant» pour éviter de «donner du crédit aux voix oppressives qui nous affirment que les migrants ne méritent pas notre compassion».Certains avancent que «migrant» est préférable à«immigré», jugeant que le préfixe, suggérant quelque chose d'invasif, est péjoratif en plus d'être superflu. Eric Fassin voit au contraire dans ce nouveau réflexe langagier le signe qu’«il n’est plus jamais question d’intégration» : «quand on dit migrant, on ne dit pas immigré. Autrement dit, on n’envisage ces gens qu’à la frontière ; on n’imagine plus qu’ils puissent trouver leur place dans notre société. Tout se passe comme si leur parcours n’avait plus de destination ; c’est en quelque sorte un déplacement sans finalité : ils sont réduits à une errance. Le vocabulaire redouble ainsi la frontière».«Libre à chacun d’utiliser le terme qu’il veut, mais étant donné l’importance des implications de ces termes, nous demandons simplement qu’une réflexion soit menée sur le sens qui se cache derrière les mots que nous choisissons»,conclut le porte-parole du HCR Adrian Edwards. Pour donner à ceux qui échouent quotidiennement sur nos rives leurs vrais noms, il convient de faire preuve d’autant d’exigence de précision que de vigilance aux connotations.
Laure ANDRILLONhttp://www.liberation.fr/monde/2015/08/28/migrants-et-refugies-des-mots-aux-frontieres-bien-definies_1371340

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Blanchemanche 29324 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines