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Du Grand-Paris à la grande confusion, il n’y a que l’épaisseur d’une consultation ! Et pourtant…

Publié le 06 juin 2008 par Jean-Paul Chapon

L’avantage d’être blogueur et pas journaliste, finalement, c’est qu’on est moins tenu par le temps ou par la course au scoop. Bien sûr cela peut créer de la frustration chez les lecteurs comme chez le blogueur lui-même, mais ça laisse aussi le temps de mieux s’informer, ou encore de pouvoir intégrer les réactions dans la réflexion sur le sujet,et de ne pas perdre une info capitale quitte à y revenir deux jours après comme a dû le faire le Monde cette semaine*. Mais revenons à l’événement grand-parisien de la semaine, à savoir la remise des copies et l’annonce de la sélection des 10 groupements retenus pour concourir sur le thème du « Grand pari de l’agglomération parisienne ». Le moins que l’on puisse dire c’est que cette annonce n’aura pas beaucoup oeuvré à clarifier le débat dans l’esprit du Grand-Public. Que l’on se rapporte au schéma publié par le Parisien englobant dans une grande boucle Paris et le Havre, ou au titre du Monde « Avec le chantier du Grand-Paris, le chef de l’Etat prétend rivaliser avec le baron Haussmann », on n’a pas fait dans la finesse. Un bon point à l’effort de présentation pédagogique de Libération.

De quoi s’agit-il ? On se souvient que parmi les différents épisodes qui ont émaillé la chronique du Grand-Paris, il y a eu côté Président de la République, le réformateur des institutions «  il faut enfin agir sur l’organisation des pouvoirs. Paris est la seule agglomération de France à ne pas avoir de communauté urbaine. », (Roissy juin 2007), puis le Président architecte-urbaniste, souhaitant (Chaillot septembre 2007) que « huit ou dix agences puissent travailler sur un diagnostic prospectif, urbanistique et paysager, sur le Grand Paris à l’horizon de 20, 30 ou 40 ans. », virage urbanistique confirmé ( voeux janvier 2008) la « réflexion ne doit pas être engagée d’abord sous l’angle des institutions, de la gouvernance, mais sous l’angle de l’urbanisme, de l’architecture, de la sociabilité, de la convivialité, de la qualité de vie, de la place de l’homme dans la ville ». Aujourd’hui, on semble assister à la synthèse des deux. Ainsi dans un communiqué publié le 4 juin par l’Elysée après la rencontre avec les chefs de file des dix équipes retenues le cahier de charges est résumé ainsi : réaliser « rapidement un projet d’exception pour l’aménagement de la capitale française, un projet fort, original, réaliste, sachant que le réalisme est de fixer une haute ambition et d’entreprendre de grandes œuvres. Les dix projets devront être suffisamment différenciés et prendre en compte les besoins de la population à long terme, en développant une stratégie de développement durable qui tienne compte des caractéristiques propres à chaque territoire. »

Plus intéressant, la suite du communiqué précise qu’il y a en fait « deux chantiers successifs ». D’une part définir « la métropole durable du XXIe siècle », mais surtout qu’il s’agira de  formuler « un diagnostic prospectif pour l’agglomération parisienne permettant d’en délimiter les frontières et d’établir un nouveau modèle de gouvernance ». Le mot est lâché, la gouvernance refait surface au détour des appels à l’architecture et à l’urbanisme, introduit par la recherche d’un périmètre sur lequel l’appliquer.

Alors qu’attendre de ces équipes ? Il est vrai qu’elles n’auront pas beaucoup de temps, les copies doivent être remises à l’automne et on peut se demander ce que l’on peut changer à une ville déjà construite, à part à vouloir copier Haussmann ou Ceaucescu, ce qui paraît difficile non seulement d’un point de vue politique, mais aussi financièrement, les caisses sont vides dit-on… Et pourtant. La lecture des documents remis par les équipes montre clairement que l’on peut s’attendre à une réflexion riche, au-delà des paradoxes repris à loisir par des médias en mal de sensationnel, comme la notion de Grand-Paris allant jusqu’au Havre présentée par l’équipe Antoine Grumbach et Associés, lequel semble confondre la question régionale (pour laquelle son approche est pertinente) et celle de la ville où il frise le hors sujet.

Quelques exemples qui ont retenu mon attention comme cette réflexion sur « la possibilité d’un grand Paris qui cesserait de se penser exclusivement du centre vers la périphérique (Paris Métropole), mais gagnerait à se construire aussi et concomitament de la périphérie vers le centre (une agglomération extensive, une “ville-territoire”). » (AUC Djamel Klouche – France).

« Considérer la ville et le territoire comme entiers à chacun de leur âge mais aussi pris dans le mouvement du temps (comme on le fait d’une personne), jamais figés, toujours capables de s’orienter et de se réorienter, de s’adapter à des paramètres, à des conjonctures, à des situations mais aussi à des consciences et à des volontés qui fluctuent et qui évoluent » (Atelier Jean Nouvel – France)

« Une gouvernance urbaine efficace est la condition préalable la plus importante pour permettre l’orientation du changement urbain. Cet élément de la recherche permettra d’analyser et de dresser la carte de la situation actuelle de la région métropolitaine parisienne en ouvrant de nouvelles perspectives sur les complexités, notamment en matière d’aménagement de l’espace global pour l’agglomération parisienne. » (Roger Stirck Harbour & Partners – Royaume-Uni)

« Où est le “Petit Paris” ? Question absurde. La pensée par concepts binaires peut finir en terrain vaque.

Passer de Paris au Grand-Paris, en franchissant cette frontière imaginaire et bien réelle d’un boulevard appelé périphérique avec ses frontières administratives, culturelles, économiques, serait-ce un mouvement qui se fait dans la tête d’abord ? Le pari serait d’ordre mental avant tout.

La perspective n’est pas un plus grand Paris, toujours plus grand, mais un Paris autre qui, au lieu de se définir par ce qu’il n’est pas (une banlieue, un espace vert, un échangeur, une cité dortoir, une zone d’activité, un centre de loisir), se détermine par ce qu’il est aussi : une ville qui entreprend les pas d’une nouvelle métamorphose dans l’ère post-Kyoto, et qui repense les séparations entre nature et culture, entre intérieur et extérieur, entre poly-centralité et densification. Nous pensons que Paris puisse être le laboratoire d’une autre métropole : la métropole douce » (Finn Geipel, Giulai Andi - Allemagne-France) 

Alors un des bénéfices de cette consultation internationale, quel qu’en soit le résultat et surtout l’utilisation de ce résultat, c’est qu’enfin on parle de la Ville, on réfléchit sur la Ville d’aujourd’hui et de demain, on pense la Ville autrement, et pas uniquement en réponse à des émeutes urbaines, dans l’urgence et sous la pression d’événements qui sont peut-être nées de l’oubli d’avoir parlé à temps de la Ville, et de l’avoir pensée autrement.

Pour autant, on ne saurait négliger non plus l’autre aspect de ce nouvel épisode grand-parisien, l’aspect politique. Non pas la déclaration émerveillée de Christine Albanel, comme un ravi de la crèche, « créer une réalité nouvelle à partir d’un rêve collectif, c’est passionnant » Et même si ce n’est pas du ressort de son ministère, la ministre de la Culture gagnerait à remettre les pieds sur terre, en lisant par exemple le Parisien (édition Val-de-Marne) du jour dans lequel on apprend en fait de Grand-Paris que le rêve de Sciences-Po en banlieue “bat de l’aile”, au moins pour la rentrée de cette année, dans la mesure où ni le lieu ni le budget correspondant n’existent aujourd’hui…

On peut aussi s’interroger d’un point de vue politique sur le pilotage de l’affaire, qui sera assuré par la ministre de la Culture ET par Christian Blanc, « en liaison » avec Jean-Louis Borloo, comme le précise le communiqué de presse de l’Elysée, en « associant également la Ville de Paris, la Région Ile-de-France et l’association des maires d’Ile-de-France » dans le comité de pilotage. Amusant, on a eu le Schéma Directeur de la Région Ile-de-France (SDRIF), on a la Conférence Métropolitaine/Assises de Paris-Métropole et aujourd’hui le Comité de pilotage du « Pari de l’agglomération Parisienne ». Comprenne qui pourra, et vive la confusion… En tout cas, le Grand-Paris a l’avantage, faute de clarté, de créer de l’activité ;-)

Pour finir, on peut dire que les réactions de Jean-Paul Huchon, le président de la région Ile-de-France, du maire de Paris Bertrand Delanoë, sont sans surprise. Il est vrai que cette nouvelle opération ressemble aussi beaucoup à de la “communication“, et question « passage en force », comme l’ajoute Jean-Paul Huchon, on a l’impression effectivement qu’après la nomination de Christian Blanc, secrétaire d’Etat au développement de la région-capitale, on peut voir dans cette opération un nouveau coup de boutoir contre le SDRIF, dont coïncidence, les résultats de l’enquête publique doivent être dévoilés la semaine prochaine, et les Assises de l’agglomération qui s’ouvrent dans deux semaines…

* Mais surtout, comment interpréter la petite brève publiée hier par le Monde (daté du 6 juin) si petite et si mal placée qu’elle risque d’échapper à la lecture et pourtant, si lourde de contenu. Nicolas Sarkozy a demandé aux architectes et urbanistes présents le 4 juin d’ « aller très vite et très loin » rapporte le Monde, et de faire de la « pédagogie » pour que « le peuple » ait une compréhension du Grand-Paris. Pourquoi aller vite sur un tel enjeu ? Non pas parce que le problème est une urgence en soi, (et pourtant vécue avec une dure réalité tous les jours par des millions d’habitants du Grand-Paris), mais parce que « il ne me reste que quatre ans » pour lancer les chantiers, évoquant une loi, et avant celle-ci « un référendum »…

à suivre…

Jean-Paul Chapon


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