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Lire le XIXème siècle français

Publié le 03 septembre 2015 par Fmariet
Emmanuel Fureix, François Jarrige, La modernité désenchantée. Relire l'histoire du XIXème siècle, Paris, Editions La Découverte, 2015, 391 p.
Lire le XIXème siècle français
Deux historiens, enseignants à l'université, réussissent une synthèse du travail des historiens sur ce siècle de l'industrialisation, de la colonisation, de l'urbanisation et de l'alphabétisation.... Et du progrès ? C'est une synthèse précieuse qui mobilise, résume et organise de manière critique des données provenant de nombreuses sciences sociales, sans vulgarisation hâtive. Somme impressionante. La bibliographie est distribuée au cours de l'ouvrage à travers de nombreuses notes, facilitant l'utilisation. Un tel travail mérite de bons outils d'exploitation (index ?) ; il suppose aussi une mise à jour régulière.
L'ouvrage peut être lu comme la défense et l'illustration d'une thèse, d'ambition weberienne : désenchanter (entzaubern) l'histoire de ce siècle souvent réduit dans le grand public à des images d'Epinal que la presse magazine galvaude tant est forte la demande d'histoire en France. Désenchanter, c'est d'abord dépoussièrer tout en montrant, sage hygiène intellectuelle, les modalités de l'enchantement, l'histoire de l'histoire, ce que les auteurs font très bien.
L'ouvrage peut être lu aussi comme une source documentaire complète, organisée par thèmes loin de l'événementiel, qui aidera à l'orientation de travaux de recherche sur le XIXème siècle, bien sûr, mais aussi sur le présent car, le livre nous en convainc à chaque page, l'histoire du XIXème siècle en France permet de mieux comprendre le XXIème français. A ce titre, l'ouvrage sera utile aux enseignants et aux journalistes. Un peu d'inactualité et de recul ne saurait nuire à la compréhension d'aujourd'hui.
A la lecture de l'ouvrage, le progrès apparaît vite comme une idole (idola tribus) qu'il faut suspecter de manière préventive. Comme celle de progrès, la notion de modernisation est sujette à caution, et l'on y substituerait volontiers celle de changement économique et social, plus neutre, moins biaisée d'a priori optimistes. Les notions de progrès et de modernité s'avèrent des obstacles épistémologiques au métier d'historien ; elles imposent sournoisement une axiologie, une grille de lecture positiviste. D'ailleurs, les auteurs ont judicieusement intitulé leur chapitre 2 "les voies sinueuses de la modernisation", confrontant santé et pollution à l'industrialisation, discipline et violence au travail... Ils citent Charles Baudelaire traitant le progrès d'"idée grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne" et "jette des ténèbres sur tous les objets de connaissance". Quelques années plus tard, Guillaume Apollinaire ne souscrira pas à la mauvaise humeur baudelairienne et célébrera la publicité, les avions, les tramways, les automobiles, le cinématographe et même la "grâce" d'une rue industrielle... Modernité, industrie, technologie, science, vitesse, progrès : l'analyse du mélange est encore loin d'être convaincante, notamment lorsqu'il s'agit de "l'émergence d'une société du spectacle et de l'image" : théâtre, concert, peinture, photographie, cinéma, sport, expositions, presse, livre, illustration (cf. l'exemple significatif du magazine L'Illustration, 1843).
Ce livre n'en finit pas de multiplier les occasions de s'étonner, d'aller plus loin, lecture stimulante qui ne demande que des approfondissements, à quoi invitent les notes de bas de page.
Ne pas croire une époque sur ce qu'elle dit d'elle-même, toujours se demander comment telle ou telle question, que l'on pose aujourd'hui, se posait au XIXème siècle, si même elle se posait ? Les auteurs soulignent ainsi le rôle de Michèle Perrot et Yvonne Knibhieler dans le développement de "l'histoire au féminin", reprenant la phrase de Friedrich Engels, citant Charles Fourier : "dans une société donnée, le degré d'émancipation de la femme est la mesure naturelle de l'émancipation générale".
Se demander ce qu'il reste-t-il du XIXème siècle dans nos vies quotidiennes : des noms de rue, de places, de stations de métro : cette sémiologie napoléonienne, colonialiste (entre autres) est héritée en grande partie du XIXème siècle ; elle gagnerait à être dépoussièrée.
Pourquoi le "siècle" ? "Faut-il vraiment découper l'histoire en tranches ?  demandait Jacques Le Goff (Paris, Seuil). Le siècle, c'est commode parce que, en fait, c'est arbitraire, mais quelles en sont les conséquences de ce choix ? Commencer le XIXème en 1815 et l'achever en 1918 ?
Et les voisins ? Un même travail, comparatiste, concernant l'Allemagne ou la Grande-Bretagne ferait briller des différences et des singularités. Peut-on isoler la société française dans l'analyse de cette période ?


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