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Cécile Duflot «Merci, je suis toujours vivante»

Publié le 09 septembre 2015 par Blanchemanche
#CécileDuflot #EELV #Fessenheim #nucléaire #quandlespoulesaurontdesdents

Par Lilian Alemagna et Rachid Laïreche — 

Cécile Duflot, le 07 septembre à Paris Née en 1975, femme politique française
Cécile Duflot, le 07 septembre à Paris Née en 1975, femme politique française
  •  Cécile Duflot «Merci, je suis toujours vivante»

Gauche. Europe, COP 21, Fessenheim, divisions de la gauche… L’ancienne ministre écologiste de Hollande est de retour et prépare l’avenir.


Depuis plusieurs semaines, Cécile Duflot comptait ses mots. Elle revient avec un livre : le Grand Virage (Editions les Petits Matins). Au fil des pages, elle cause identité, Europe, et écologie. Deux ans avant la présidentielle, la députée Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) se place, à sa manière. Dans son petit bureau, elle prévient : «Ce n’est pas encore un programme.»
Avant de parler de votre livre et de l’actualité à gauche, un mot sur la polémique de mardi autour de la date de la fermeture de la centrale de Fessenheim évoquée désormais pour 2018 (lire page 9 et sur libe.fr)
Si tel était le cas, cela poserait à la fois le problème du discrédit de la parole politique et la question du conservatisme du gouvernement. Lors de la loi de transition écologique, nous n’avons eu de cesse de plaider pour que la France entame réellement sa mue énergétique et sorte enfin du nucléaire. Repousser une fois de plus la fermeture de Fessenheim, ce serait s’accrocher à un modèle d’un autre âge, faire prendre du retard à notre pays dans la compétition mondiale pour le leadership des renouvelables et grever notre avenir. Pourquoi, alors que les enjeux écologiques sont si importants, s’entêter ainsi ? La France risquerait alors de passer à côté du rendez-vous de l’écologie. L’absence de modernité serait flagrante. A quelques mois de la COP 21, j’appelle François Hollande à respecter ses engagements.
Avez-vous été surprise par les départs de Jean-Vincent Placé et François de Rugy d’EE-LV ?
Non, pas vraiment. Ils ont renoncé à la transformation écologique de la société et pensent qu’il faut simplement s’adapter au monde tel qu’il est aujourd’hui. Je le regrette d’autant plus que le chemin a été long pour en arriver là ensemble. Chacun suit désormais sa route [lire page 9]. Je pense, et je l’explique dans mon livre, que la mutation du monde appelle d’autres réponses que l’orthodoxie et les recettes éculées : il faut un grand virage vers l’écologie.
Pourquoi avoir claqué la porte au nez de Jean-Luc Mélenchon ?
Je n’ai pas claqué la porte. J’ai alerté sur le risque d’une dérive antieuropéenne. Quand il écrit «Périsse l’Allemagne plutôt qu’une poularde à la peau craquante», je suis désolée, ça ne fait pas avancer l’Europe. J’ai toujours défendu une vision ouverte de l’Europe, j’ai été aux côtés des Grecs et je continuerai de l’être. Aléxis Tsípras s’est retrouvé dans cette situation intenable parce qu’une partie des pays européens, dont la France, ne l’a pas suffisamment aidé à desserrer l’étau qui pesait sur son pays.
Le cas grec a-t-il démontré qu’il est quasi impossible de mener une «autre politique» en Europe ?
Faux. Cette Europe-là n’est pas une fatalité. La Grèce est un petit pays. Pas la France. On ne pourra pas nous traiter ainsi. Si nous décidons de tourner le gouvernail, les choses seront différentes. Hollande a manqué un rendez-vous très important en ne tentant pas de renégocier le TSCG [le traité budgétaire européen, ndlr]. L’Europe a besoin que les progressistes refusent le carcan de l’austérité et redonnent toute sa place à la démocratie.
La conférence internationale sur le climat (COP 21) approche : ne regrettez-vous pas d’être en dehors d’un gouvernement qui va présider cet événement mondial ?
Nous sommes actifs. J’ai proposé avec Pascal Canfin [l’ancien ministre EE-LV du Développement] que la lutte contre le réchauffement climatique soit inscrite dans la Constitution. Autrement dit que l’ensemble de nos politiques publiques soient subordonnées à la question écologique. Le grand virage que je propose, c’est celui de la prise en compte des limites physiques de notre modèle de développement. La COP 21 est une des occasions de changer de direction. La France doit être exemplaire. Nous ne pouvons pas accueillir la COP 21 et ne pas mettre en œuvre, chez nous, une politique qui traduise nos engagements.
A La Rochelle, on a pu constater la rupture entre EE-LV et le PS à l’occasion d’un débat entre vos camarades et le socialiste Jean-Marie Le Guen…
Ce monsieur est ministre des Relations avec le Parlement mais l’essentiel de son activité consiste à insulter les écologistes. Il ne cherche pas le rassemblement mais l’alignement : on veut nous rendre responsables de la division à gauche et des résultats du FN, mais qui organise cette dispersion ? Lors des régionales, nous apporterons la preuve que les écologistes sont utiles à la vie quotidienne des Français. Je pense par exemple au pass Navigo [abonnement pour les transports en commun] à tarif unique en Ile-de-France et à l’encadrement des loyers. Tout le monde nous a expliqué que c’était impossible. Aujourd’hui, les prix commencent à baisser à Paris et le pass à 70 euros est dans la poche de mon jean.
Comment jugez-vous les réponses du gouvernement sur les migrants ?
Accueillir 24 000 réfugiés, c’est bien, mais en-deçà de ce qu’on devrait faire. Nous allons faire en deux ans ce que l’Allemagne a fait en un week-end. Début juin, j’ai dénoncé le risque d’un «Waterloo moral». Désormais, nombre de voix s’élèvent à raison pour demander une autre politique. Le sursaut s’organise enfin. Quand des personnes sont prêtes à traverser la Méditerranée avec leurs gamins dans les bras alors qu’ils ne savent pas nager, notre devoir est de préparer leur accueil dignement. Nous l’avons déjà fait dans l’Histoire. Je fais confiance aux Français, le problème n’est pas insurmontable si nous avons le courage de défendre nos valeurs.
Dans votre livre, vous parlez de «République des biens communs». Comment la définiriez-vous ?
Des millions de personnes ressentent le fait qu’ils sont dépossédés de leur existence. La République des biens communs a pour objet la réappropriation citoyenne de la maîtrise de notre destin. Nous devons considérer, dans notre République, qu’il y a un certain nombre de biens collectifs, un patrimoine commun - l’air qu’on respire, l’eau qu’on boit, les sols pour produire notre alimentation - qui appartiennent à tous et ne peuvent pas être abusivement privatisés ou pollués. C’est la reformulation de l’intérêt général. Nous devons défendre notre capacité à protéger notre environnement mais aussi à vivre mieux aujourd’hui tout en préparant un meilleur avenir aux générations futures. Cette conquête du bien-être doit guider les politiques.
Quel est le message essentiel de votre livre ?
Que le droit au bonheur est une force politique et que nous pouvons changer le cours des choses. Rien n’est joué. Un nouveau modèle peut naître pour faire face à la crise écologique et à la montée des inégalités. La France a des atouts considérables, à commencer par son peuple, éduqué, inventif, généreux. Après le 11 janvier, je me suis sentie blessée. La violence antisémite, les mots et les regards à l’encontre des gens de confession ou de culture musulmanes étaient insupportables. Je me suis demandé pourquoi. Ma réponse est celle-ci : nous ne connaissons plus les richesses de notre histoire et nous n’avons plus de projet commun. L’urgence est de refaire nation ensemble.
Avez-vous déjà eu honte de la situation du pays ?
Si je suis fière de mon pays, j’ai parfois honte de nos pseudos élites. Pourquoi a-t-on aujourd’hui un débat sur les menus de substitution à la cantine alors que l’alternative au porc existe depuis le début des années 80 ? Un certain nombre de responsables politiques, dont Nicolas Sarkozy, propagent des discours de haine en emboîtant la foulée du Front national. La responsabilité politique commande d’affirmer plus que jamais qu’il est possible de bien vivre ensemble, que la laïcité, justement, permet de se respecter, que ce n’est nullement une assignation à être identique. Notre identité nationale, c’est l’égalité.
Pour vous, nos dirigeants n’ont pas conscience de cette diversité ?
Ils ne ressentent plus la France. Une grande partie de ceux qui nous gouvernent aujourd’hui - et pas seulement les ministres - n’en a pas conscience. Ils sont déjà rentrés dans un bureau de Poste, mais ont-ils déjà vu quelqu’un retirer 5 euros sur son livret A ? Non. Sont-ils déjà allés dans un Lidl pour arracher le plastique et prendre une seule brique de lait ? Non plus. Ils ont abandonné la question populaire et, obsédés par la réduction des déficits publics, laissent prospérer les fractures territoriales. La désespérance vient aussi de cet abandon. Je l’ai écrit : la jeunesse des banlieues, les ouvriers déclassés et les paysans en colère subissent différemment les conséquences d’un même système qui fait peu de cas de l’humain.
On dit que Hollande a fait son «deuil» de vous voir revenir au gouvernement…
Deuil ? Déjà, merci, je suis toujours vivante.
Vous vous préparez même pour la prochaine élection présidentielle…
C’est vrai. Mais je ne souhaite pas que les écologistes reproduisent les mêmes erreurs que lors des trois dernières présidentielles. Est-ce que j’ai décidé de ma candidature ? Pas du tout. Ma priorité c’est la déminorisation de l’écologie, c’est-à-dire construire une force capable d’exercer pleinement le pouvoir. http://www.liberation.fr/politiques/2015/09/08/cecile-duflot-merci-je-suis-toujours-vivante_1378374Lilian Alemagna Rachid Laïreche

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