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Fausses peurs et vrais défis

Publié le 15 septembre 2015 par Sylvainrakotoarison

" Les 430 000 personnes qui ont traversé la Méditerranée (...) et les près de 3 000 qui y ont péri ou disparu, (...) nous interrogent sur la cohérence des réponses politiques avec les institutions fondatrices de l'Europe. " (Dominique Greiner dans son éditorial, "La Croix" du 14 septembre 2015).
Fausses peurs et vrais défis
Le jeudi 10 septembre 2015 à Strasbourg, le Parlement Européen (la seule instance démocratique de l'Europe) a apporté un soutien très large au plan Juncker qui a proposé une clef de répartition équitable et obligatoire entre les États membres pour l'accueil des réfugiés, par 432 voix pour, 142 contre et 57 abstentions. Le parti majoritaire (PPE) a été uni dans ce vote, y compris les députés européens des pays d'Europe centrale et orientale. Mais la réunion des Ministres de l'Intérieur de l'Union Européenne du 14 septembre 2015 n'a pas abouti et aucun texte ne sera adopté avant le 8 octobre 2015.
Ce dimanche 13 septembre 2015, Angela Merkel a dû rétablir provisoirement des contrôles à la frontière entre l'Allemagne et l'Autriche (la route de Salzbourg) en raison du trop grand nombre de réfugiés arrivant à Munich (plusieurs milliers par jour, 63 000 depuis deux semaines, dont 12 200 pour la seule journée du 12 septembre 2015), auquel la municipalité ne peut plus faire face dans des conditions correctes. Quant à la Hongrie, elle a fermé ce lundi 14 septembre 2015 sa frontière avec la Serbie par un épais mur de barbelés qui ressemble étrangement à un nouveau Rideau de fer.
Fausses peurs et vrais défis
Cette mesure très temporaire a été prise pour des raisons pratiques (peut-être aussi politique pour convaincre les partenaires européens de l'Allemagne d'accepter une juste répartition de l'accueil), mais ne remet en cause ni la politique d'accueil de l'Allemagne, ni les accords de Schengen (qui auraient cependant certainement besoin d'un ajustement), ni évidemment l'Union Européenne (rappelons que Schengen n'est qu'un accord multilatéral qui n'a rien à voir avec les institutions de l'Union Européenne).
Revenons plutôt sur cette politique de l'accueil et sur quelques différences entre la France et l'Allemagne. La position très humaniste d'Angela Merkel, qui peut se comprendre d'un point de vue politique (changer l'image d'arrogance acquise lors de la crise grecque) et d'un point de vue économique (compenser la démographie défaillante de l'Allemagne), n'est pas le résultat d'un coup marketing de la Chancelière qui ne fait plutôt que suivre son "opinion publique". C'est peut-être pour cela qu'elle est populaire dans son pays, elle représente au mieux son peuple dans ses positions.
Une force économique
L'économiste Nicolas Bouzou rappelle par exemple que l'immigration "classique" (c'est-à-dire avant l'arrivée massive des réfugiés comme actuellement) n'a jamais eu d'effet notable sur l'économie nationale des pays d'accueil (ce que les immigrés apportent équivaut à peu près à ce qu'ils coûtent). En revanche, lorsqu'il y a un afflux massif d'immigrés, historiquement, l'économie du pays d'accueil, loin de s'effondrer comme voudraient le faire croire un grand nombre de leaders d'opinion en France, est au contraire largement boostée et favorisée. Il suffit de se rappeler par exemple les conséquences de la révocation de l'Édit de Nantes ( j'y reviendrai un peu plus tard) où les réfugiés français protestants ont dopé l'économie des Pays-Bas, des pays allemands, et même, plus tard, des États-Unis et de l'Afrique du Sud en menant la révolution industrielle ...hors du territoire français.
C'est sûr que ces vérités historiques ont du mal à être présentées dans une France frileuse et inquiète, surtout à quelques mois d'élections régionales dont le Front national voudrait faire un test préprésidentiel. Il a fallu l'audace et le courage humaniste d'Angela Merkel pour que François Hollande commençât timidement à esquisser une petite réaction face à la détresse de tous ces réfugiés. Au point de singer la Chancelière allemande.
Fausses peurs et vrais défis
Angela Merkel était en effet allée le 10 septembre 2015 à la rencontre des réfugiés arrivés en Allemagne. Elle fut acclamée par la plupart des réfugiés qui l'ont appelée (comme la presse allemande depuis plusieurs années) "Mama Merkel" ! La spontanéité du peuple allemand, venu leur offrir des cadeaux, les accueillant avec une grande chaleur humaine, rappelait l'arrivée des Allemands de l'Est pouvant enfin se rendre à l'Ouest. Une génération est passée, pas la générosité.
C'est dans ce même esprit que François Hollande s'est senti obligé d'aller, lui aussi, à la rencontre des réfugiés en région parisienne ce samedi 12 septembre 2015. L'absence de communication de l'Élysée a empêché la presse d'y être présente (peur d'avoir des incidents ?) mais les images que la Présidence de la République a fournies ont montré évidemment beaucoup moins de ferveur et d'enthousiasme.
Pas de "grand remplacement"
Ce fut le 9 septembre 2015 que les premiers réfugiés syriens sont arrivés en France. Ils avaient été pris en charge à Munich dans des cars affrétés par la France. Or, les témoignages ont afflué pour expliquer que les réfugiés n'avaient pas du tout l'intention de venir en France et préféraient rester en Allemagne, nouvel eldorado économique sur le continent. Car les réfugiés ne sont plus des entités abstraites dont on pourrait parler sans connaissance de cause. Ils sont maintenant près des rédactions des journaux et ceux-ci ne se privent pas de les interroger, de comprendre leurs motivations, leurs sentiments.
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Un jeune homme de 23 ans a même lâché : " Nos parents ont été choqués de savoir qu'on était en France. ". C'est clair, s'ils avaient le choix, la plupart des réfugiés ne voudraient pas aller en France mais rester en Allemagne ou traverser la Manche pour atteindre la Grande-Bretagne (d'où le camp de rétention à Calais). C'est presque une gifle pour la France. Certains sont évidemment plus pragmatiques et se disent en substance : nous voulions l'Allemagne et puis, finalement, c'est la France, pourquoi pas ?
Cet état d'esprit très majoritaire montre à l'évidence que toutes les Cassandre de malheur qui ont le toupet de parler en France de "grand remplacement" ou même d'une "invasion" à propos de l'arrivée massive de ces réfugiés se trompent complètement. Non, la France n'est pas attractive ...même pour les réfugiés ! Ils ne cherchent pas à bénéficier de la sécurité sociale, de la CMU et d'autres prestations sociales. Non, ils ne veulent pas aller en France ! Ils veulent juste sauver leur peau et celle de leurs proches !
La xénophobie amplifiée ces derniers jours, qui dit bien ce qu'elle dit, à savoir (en grec), la PEUR des étrangers, est totalement déraisonnable et ne se fie à aucune réalité. Seulement un mythe de croire que la France ne sera plus la France. Mais justement, la France ne sera plus la France si elle est égoïste, indifférente à la détresse du monde, refusant d'aider quand elle le peut, repliée sur elle-même, aigrie, réduite à se refermer.
Fausses peurs et vrais défis
C'est pour cela que le dessin de Plantu paru dans "Le Monde" le 9 septembre 2015 m'a semblé excellent. Il met en action des salariés visiblement syndiqués qui s'accrochent à un code du travail manifestement trop lourd pour permettre des embauches massives lorsque des secteurs économiques le permettent, tout en regardant d'un œil plein de réticence des réfugiés arriver sans revendication sociale, si ce n'est de pouvoir encore vivre, ce qu'ils ne peuvent plus faire dans leur pays.
De nouveaux ambassadeurs de la France et de l'Europe ?
L'intérêt de la France, c'est évidemment de les accueillir, et de les accueillir chaleureusement. Comment imaginer le sentiment d'un réfugié qui arrive dans un pays qui l'accueille ? Le premier pays, on lui offre des petits cadeaux, de grandes banderoles honorent sa venue. Il a envie d'être reconnaissant, il sera prêt à travailler pour ce pays, à l'aider même s'il retourne dans son pays d'origine une fois que la stabilité politique y est retrouvée. Et puis comparons avec le second pays, qui a mis du temps à comprendre l'urgence humanitaire, qui va l'accueillir sur le bout des lèvres, parfois avec des actes xénophobes (exemple flagrant en Hongrie) et qui va se sentir intrus, gêné, rejeté. Quelle va être son impression ? Une rancœur, et en tout cas, aucune volonté de sentir son destin associé à celui de ce pays.
Cela explique que la France ne doit pas hésiter. Les réfugiés sont là, de toute façon. Ils continueront à arriver quelles que soient les décisions en Europe parce qu'ils se font massacrer dans leur pays. Il n'y aura pas d'appel d'air, les turbulences sont déjà là. Il faut donc les accueillir pour que, d'une véritable catastrophe humanitaire, cela devienne un atout humain et économique historique. C'est cela qu'Angela Merkel a compris, comme Helmut Kohl avait compris qu'il faillait faire très rapidement la Réunification sous peine de rater cette petite fenêtre de l'Histoire qui s'ouvrait, pas seulement politiquement mais aussi économiquement avec la parité du mark.
Invité de France Inter le 11 septembre 2015, l'ethnopsychiatre Tobie Nathan, universitaire français d'origine égyptienne spécialiste des troubles des personnes déracinées, expliquait que le modèle d'assimilation ne fonctionnait plus et remontait à la III e République pour intégrer dans la communauté nationale des "étrangers de l'intérieur" comme les Bretons. D'une part, parce que l'assimilation n'est que superficielle. Par exemple, un vieil homme qui a eu un accident vasculaire cérébral, s'est réveillé incapable de parler français et ne parlait plus que son breton d'origine. D'autre part, parce que les réfugiés d'aujourd'hui (sans différence sur l'économique ou le politique, on ne quitte pas son pays sans raison vitale) ne sont plus coupés de leur pays d'origine, comme au début du XX e siècle, grâce à Internet, au téléphone, aux moyens de transports.
Pour Tobie Nathan, la meilleure approche de considération des réfugiés, c'est d'en faire des ambassadeurs. Il a cité en exemple un balayeur sénégalais qui était venu en France avec son fils. Il est devenu balayeur mais il était le fils du chef de son village d'origine royale, il était lui-même futur roi, tandis que les gens autour de lui ne voyaient en lui qu'un pauvre balayeur...
Accueillir aujourd'hui, c'est fleurir demain
En France, très divisée et devenue de plus en plus binaire (entre les "bons" et les "mauvais", chaque camp plaçant l'autre dans les "mauvais"), il a été difficile de prendre la mesure de cette chance historique. Alors répétons-le : les réfugiés se moquent de nos prestations sociales car ils ne voulaient pas, à l'origine, venir en France. Non, les réfugiés ne sont pas un fardeau si l'on est capable de comprendre qu'ils ont, eux aussi, des compétences, de l'expérience, du talent qu'ils seront d'autant plus heureux d'apporter à la France que la France les aura accueillis avec respect et honneur.
Si l'accueil des réfugiés est un devoir humanitaire qui se suffit à lui-même, il est aussi de l'intérêt de l'Europe de montrer d'une part, qu'il n'existe pas de choc de civilisation et que des pays chrétiens peuvent venir en aide à des musulmans opprimés, d'autre part, que ces réfugiés pourraient jouer un rôle moteur dans la renaissance d'une Europe tellement vieillissante que beaucoup de ses citoyens ne croient plus en leur identité ni en leur avenir.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (15 septembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Fausses peurs et vrais défis.
La révocation de l'Édit de Nantes.
Angela Merkel.
François Hollande.
Jean-Claude Juncker.
Le coq devenu hérisson ?
Sauvez l'âme française (Koztoujours, le 3 septembre 2015).
Que sommes-nous devenus ? (Christian Schoettl, le 31 août 2015).
L'humanité échouée.
L'exemple allemand.
Aylan invité au Conseil de sécurité de l'ONU.
Lettre de Mgr Saliège le 23 août 1942 sur la personne humaine (texte intégral).
Les Français sont-ils vraiment eurosceptiques ?
Chaque vie humaine compte.
Rouge de honte.
Les drames de Lampedusa.
L'Europe doit faire quelque chose.
L'humain d'abord.
L'immigration en Hollandie.
Une chance pour l'Europe.
Les valeurs de la République.
Le gaullisme, c'est d'abord des valeurs.
Valeurs républicaines et patriotisme.
Fausses peurs et vrais défis
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150915-refugies-2015D.html
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/fausses-peurs-et-vrais-defis-171817
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/09/15/32626467.html


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