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Algerie:La politique de la terre brûlée

Publié le 02 octobre 2015 par Amroune Layachi
Algerie:La politique de la terre brûlée

– Peut-on dire que Abdelaziz Bouteflika a eu besoin du quatrième mandat pour tenir sa promesse de ne pas être un trois quarts de Président ?

Le quatrième mandat a permis de consolider les groupes d’intérêt qui le soutiennent. Sans ce quatrième mandat, le risque était de voir l’Algérie déstabilisée par le vide politique. La présidence de Bouteflika a littéralement asséché la vie politique en Algérie en empêchant l’émergence d’une alternative ou d’une opposition susceptible d’accéder au pouvoir. Et son quatrième mandat permet surtout à l’institution militaire et à son chef d’état-major de renforcer ses prérogatives face au DRS, qui est sans doute le grand perdant sous la présidence de Abdelaziz Bouteflika.

Deux semaines après le limogeage du général de corps d’armée Mohamed Mediène dit Toufik, ancien patron du DRS, le chercheur français Luis Martinez analyse, dans cet entretien, la situation politique dans notre pays. Fin connaisseur de l’Algérie sur les plans économique et politique, Martinez n’exclut pas la possibilité que le général Toufik soit sacrifié par sa propre structure au profit d’une nouvelle stratégie de l’armée algérienne. Il ne pense pas néanmoins que les changements qui ont touché les hautes sphères de l’Etat, y compris l’institution militaire, soient des indicateurs d’une volonté du président Bouteflika d’aller vers un Etat civil. Pour lui, l’armée détient toujours le pouvoir en Algérie. A le croire, le changement démocratique est encore une illusion dans notre pays.

– Quelle a été la première idée qui vous est venue à l’esprit en apprenant la mise à la retraite du général Toufik, fondateur du DRS et son patron depuis 25 ans ?

Que le président Bouteflika et l’institution militaire sont parvenus à écarter le dernier acteur capable de les contrarier. C’est une page qui se tourne, elle a commencé au début des années 1990 dans le drame d’une guerre civile, elle se termine par la mise à la retraite du patron du DRS. L’un des personnages les plus importants de l’Algérie des dernières décennies.

– A votre avis, cette décision est-elle venue d’une quelconque volonté d’asseoir le projet d’un Etat civil ?

Un projet d’Etat civil sans une société civile mobilisée pour le défendre reste une illusion. La décision de mise à la retraite du patron du DRS s’inscrit davantage dans le cadre d’une victoire politique contre un adversaire politique mais en aucun cas comme les prémices de l’instauration d’un Etat de droit. On réduit les prérogatives du DRS pour transférer certaines de ses compétences vers l’état-major ! Or, le projet d’Etat civil suppose un engagement de l’ensemble des acteurs de la société civile (partis, syndicats, médias, ONG, etc.) afin de contraindre légalement les responsables de l’Etat à rendre des comptes aux civils…

– Les spéculations ont battu leur plein à Alger suite au limogeage du général Toufik. Certains parlaient même d’une mise en scène que le DRS aurait lui-même orchestrée. Cette hypothèse est-elle plausible ?

C’est tout à fait plausible. Sacrifier l’un des membres les plus importants pour sauver le groupe est une stratégie réaliste. Il reste que sur le plan politique et symbolique c’est un aveu de faiblesse. L’obligation de cette mise en scène résulte d’une contrainte nouvelle dans les rapports de force…

– Parlons de ces rapports de force justement. Vous avez affirmé précédemment qu’un rapprochement a eu lieu entre les Services français et l’état-major de l’armée algérienne au détriment du DRS, particulièrement dans la lutte antiterroriste. La France a-t-elle la moindre implication, comme le prétendent certains médias, dans les choix stratégiques du président Bouteflika, diminué physiquement par la maladie ?

La fonction du DRS a été très utile durant la guerre civile et au cours de la lutte contre le terrorisme international après le 11 Septembre 2001. La menace principale aujourd’hui, c’est la guerre et non plus le terrorisme comme le montre les situations dramatiques en Syrie, en Irak, au Yémen et, dans une moindre mesure, en Libye.

Face à une telle menace, l’institution militaire est fondamentale. La France de Hollande fait le choix de soutenir les armées égyptienne et saoudienne en raison des risques majeurs dans la région. L’armée algérienne est aujourd’hui dans une constellation diplomatique qui lui est très favorable. On a besoin d’elle au Sahel, en Libye, en Tunisie. Beaucoup de pays européens la considère comme très professionnelle. Il y a seulement 20 ans, elle était infréquentable sur le plan diplomatique en raison des accusations de violations des droits humains.

Pour la France, l’armée algérienne est aujourd’hui un partenaire de choix en raison de la convergence des intérêts communs. Le DRS avait gardé une certaine rancœur contre la France en raison de son non soutien à la guerre contre le terrorisme durant la décennie 1990 et à la gestion du détournement du vol d’Air France en décembre 1994. De là à penser qu’il y a une implication de la France me semble exagérer. Le DRS n’est tout simplement plus un élément incontournable ; en revanche, l’armée algérienne est devenue indispensable.

– Comment voyez-vous la suite des événements sur le double plan politique et économique, au vu des changements dans les plus hautes sphères de l’Etat, y compris l’institution militaire, qui coïncident avec la chute des prix des hydrocarbures ?

L’armée algérienne a besoin de partenaires politiques pour administrer la société ; or pour l’armée, les partis politiques sont incompétents et les acteurs de la société civile inquiétants en raison des changements radicaux qu’ils exigent. L’armée algérienne n’a pas la même histoire que l’armée tunisienne par exemple. Elle n’acceptera jamais un rôle secondaire au sein de l’Etat. Sur le plan politique l’inquiétude que «les révoltes arabes» avaient suscitée est dissipée. Il reste que l’armée ne dispose pas de partis politiques populaires capables de mobiliser la population autour d’un projet.

Elle dispose de partis politiques qui sélectionnent et placent leurs militants dans l’administration. Sur le plan économique, certes l’effondrement du prix du baril de pétrole constitue un problème majeur. Mais il y a 20 ans, l’Algérie était en faillite financière. Et on l’a vu, aucune politique de diversification de l’économie n’a été développée sous Bouteflika. La dépendance aux hydrocarbures se maintient avec tous les risques qui l’accompagnent.

– Pensez-vous, dans la situation actuelle que vous décrivez, qu’une élection présidentielle anticipée et démocratique puisse être organisée prochainement ?

Quel intérêt le président Bouteflika aurait-il à organiser une élection présidentielle anticipée ? Il faudrait le contraindre pacifiquement à un tel recours. Pour cela, seule l’union de toutes les forces politiques et syndicales pourrait éventuellement le contraindre à une telle décision. Et même dans ce cas de figure, l’institution militaire saisirait l’opportunité de le remplacer en favorisant un candidat envers lequel elle n’a aucune dette politique.

Ghezlaoui Samir

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