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Une histoire du bateau lavoir à Montmartre

Par Marine @Rmlhistoire

Le temps d’un article, je cède ma place à Dédé. Il est sympa, il connait Montmartre comme sa poche, d’ailleurs, il organise même des visites, c’est gratos, mais tu peux participer en bière et en chips. Tu peux le contacter sur Twitter. Aujourd’hui, il raconte l’histoire du bateau lavoir. Ça n’a rien à voir avec un bateau, ni un lavoir, du coup, je sais pas trop pourquoi il a décidé de faire un article là-dessus (Non, c’est faut, on apprend plein de trucs).

A Montmartre, à quelques mètres de la rue des Abbesses et son flot de touristes à casquettes inversées, la rue Ravignan débouche sur la place Emile Goudeau. Là, sur la gauche, un bâtiment attire notre œil sagace et vif : c’est le Bateau Lavoir. Peu de lieux ont eut une importance aussi grande dans l’Histoire de l’Art que cette bâtisse.

Le destin du Bateau Lavoir se confond avec celui de l’âge d’or du Montmartre artistique, entre le début du XXème siècle et la première guerre mondiale. C’est bien simple, si on trace un rayon de 500 m autour du Bateau Lavoir tous les monstres de la peinture et de la sculpture moderne ont vécu dans ce périmètre : Renoir, Picasso, Derain, Braque, Gris, Dufi, Brancusi, Degas, Modigliani. Ils sont tous là. Du coté des lettres on trouve aussi Apollinaire, Mac Orlan, Reverdy ou encore Max Jacob.

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Picasso bo-gosse en 1904

A l’emplacement du Bateau Lavoir il y a d’abord vers 1830 un bal, dit bal du « poirier-sans-pareil », identique à ceux qui feront les grandes heures de la night life sous l’Empire quelques années plus tard. Les rythmes endiablés des cancans (pas encore « french ») et de la « quadrille des lanciers » lui feront la peau puisqu’un jour celui-ci s’effondre. Littéralement. Vers 1860, on reconstruit à la place un atelier de fabrication de pianos. 30 ans plus tard, Montmartre est en train de devenir le lieu de vie de toute une génération d’artistes chassés du 9e arrondissement par la vie chère et le prix prohibitif des dames et des boissons. En plus de tarifs super avantageux sur ces deux biens de consommation courante, la butte offre de nombreux paysages, des spots de peintures top cool et cheap et est proche de la rue Laffitte où se trouvent nombre de galeries d’Art.

Le propriétaire du Bateau Lavoir, un certain François Sébastien Maillard dont on peut encore voir les initiales sur la ferronnerie qui surplombe l’entrée se dit qu’il pourrait facilement transformer l’endroit en ateliers d’artistes loués à bas prix. Ce qu’il fait en 1889 en découpant sommairement cet hétéroclite bâtiment construit à flanc de colline en une vingtaine d’ateliers. Vers 1900, le loyer mensuel est de 15 francs, si on considère qu’un ouvrier gagne à l’époque 5 francs par jour, ça veut dire que le gars paie son loyer en 3 jours. Si t’es parisien, je te laisse faire la comparaison avec ton salaire et ton loyer aujourd’hui (spa la peine de s’énerver j’y suis pour rien). Au Bateau Lavoir les conditions de vies sont précaires : on y crève de chaud en été (ce qui permet d’y voir des artistes peindre à moitié à poil) et de froid en hiver. Le nom « Bateau Lavoir » fait d’ailleurs allusion à cette précarité (l’ambiance dans les Lavoirs étant un mélange joyeux de saleté, de promiscuité, de trucs chimiques et de chaleur étouffante à fortiori lorsque le dit lavoir était sur un bateau, d’où le nom, tu me suis ?).

Le premier occupant du Bateau Lavoir est un peintre italien du nom de Maufra, il sera suivi par des collègues espagnols et notamment le céramiste Paco Durio. Mais la légende du Bateau Lavoir ne commence vraiment qu’en 1904 quand un petit gars, espagnol de son état, s’installe dans l’atelier de Paco. Son nom ? Pablo, Diego, Jose, Francisco de la Paula, Juan, Nepomuceno, Crispin Crispinino de la Santisssima Trinidad, Ruiz & … Picasso ! Le p’tit gars en question est un génie, il le sait, il va révolutionner la peinture. Très charismatique il est entouré d’un aréopage de fans dont le premier sera le poète Max Jacob, rapidement rejoint par Guillaume Apollinaire et des tas de demoiselles.

Il est arrivé à Paris vers 1900, pour l’exposition universelle où un de ses tableaux est présenté au pavillon de l’Espagne (il a 19 ans !). Ses premières années sont difficiles mais pas précaires : il imite le style de Toulouse Lautrec et vend un peu. Puis son style évolue, il entre dans ce que les critiques d’art appelleront plus tard sa « période bleue », beaucoup plus sombre et franchement pessimiste. Ça se vend mal, la misère le rattrape. Il s’en fout et continue de bosser d’arrache pied. La nuit surtout. Il tâte un peu aux drogues à la mode (l’opium), apprécie la fête mais méprise l’alcool qui l’empêche de peindre. Sa vie sociale c’est ses amis, ses fans et d’autres artistes qui pour la plupart seront bientôt eux aussi des géants. Dans le Montmartre de ces années là, chez les artistes, on partage la misère mais aussi et surtout les idées. En 1904 Paco Durio laisse son atelier à Picasso. Le Bateau Lavoir va désormais devenir le « laboratoire central » de l’art moderne. L’année de son emménagement Picasso a rencontré Fernande Olivier, modèle de profession, femme libre et bombasse. C’est dans ses bras qu’il s’extrait de sa période bleue pour entrer dans sa période rose où il laisse exploser sa sensualidad comme on dit dans le Sud au Macumba quand le DJ lance les slows.

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La vie des mannequins au début du XXème siècle

Dans le même temps, Matisse s’affirme de plus en plus comme le chef de l’avant-garde moderne. Il triomphe avec son « fauvisme », un style qui exploite les couleurs vives un peu comme les fringues des artistes pop des années 80. Leur rivalité, qui n’exclue pas respect et admiration mutuelle, nait à ce moment là. Avec Derain, Matisse fait découvrir à Picasso l’ « Art nègre ». Les statues africaines le fascinent et l’effraient à la fois : derrière la beauté plastique, le peintre voit « l’essence même » de la représentation de l’objet.

Picasso travaille toujours aussi intensément et en 1907 il révèle à ses amis un tableau qu’il ne finira jamais et qu’on qualifiera bientôt de tableau « cubiste », son petit nom premier est « le bordel d’Avignon » qui sera ensuite renommé les « demoiselles d’Avignon »  histoire de ne pas trop choquer le chaland. Car en matière de choc le tableau en est un : Apollinaire a beau dire que « c’est une révolution », pas plus lui que les autres n’y comprend rien. La toile remet en question toute la peinture occidentale, elle se joue des conventions, elle puise comme dans une boite à outil des styles et des influences différentes, les visages sont déformés, le réalisme vole en éclat pour qu’il ne reste plus de l’œuvre qu’une « expression purement plastique » (Jeanine Warnod). Dans la partie droite notamment on distingue un visage qui peut à la fois tenir des arts nègres ou être le premier de ces visages typiques de Picasso où nez et oreilles sont mis sur le même plan. Le cubisme vient probablement de naître avec cette toile. En attendant, c’est l’effervescence au Bateau Lavoir : Derain affirme qu’on « retrouvera Picasso pendu derrière sa toile », Fernande s’inquiète pour la santé mentale de son amoureux, d’autres lui conseillent de « faire dans la caricature ». Avec cette toile, Picasso a ouvert une porte dans laquelle l’art moderne va s’engouffrer.

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La présence de Picasso au Bateau Lavoir a un quelque peu écrasée celle d’autres artistes de talents (photo de l’auteur avec un téléphone portable)

Deux ans plus tard c’est un Picasso riche qui quittera le Bateau Lavoir (en y conservant encore quelque temps son atelier). Puis la première guerre mondiale mettra fin à l’âge d’or du Montmartre des artistes. Le génie, la folie et la fête se déplaceront quelques années plus tard à Montparnasse. Le Bateau Lavoir continuera encore à héberger quelques artistes un temps, mais il ne retrouvera jamais sa superbe et tombera bien vite en ruine. Sur cette vidéo de l’INA on voit un Cendrars errait en 1953 dans ses couloirs en triste état. Malraux fera inscrire le Bateau Lavoir aux monuments historiques en 1969. Manque de pot, cinq mois plus tard, le bâtiment est détruit par un incendie. Du bâtiment original il ne reste qu’un petit bout que les bons guides montrent avec respect et classieuseté.

Pour aller plus loin :

· Bohèmes de Dan Franck, qui raconte l’histoire de Montmartre et Montparnasse par les artistes, ça se lit comme sur la plage.
· La BD « Pablo » de Julie Birmant et Clément Oubrerie, retrace en 4 tomes la vie de Fernande Olivier avec et autour de Picasso, c’est drôle, intelligent et très bien documentée.
· Le bateau Lavoir de Jeanine Warnod
· La visite de Dédé Lajoie, un must, plein de raffinement et pétulant de vannes subtiles et d’informations quand même sourcées

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