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COP 21 : effets d'annonces et doubles discours, la folle semaine du climat

Publié le 03 octobre 2015 par Blanchemanche
#COP21 #YannickJadot #Réchauffementclimatique
  • Weronika Zarachowicz

  • Publié le 03/10/2015.
  • Réchauffement climatiqueLe mouvement citoyen Alternatiba place de la Republique à Paris, grand village des alternatives contre le changement climatique, le 27 septembre 2015.
    Le mouvement citoyen Alternatiba place de la Republique à Paris, grand village des alternatives contre le changement climatique, le 27 septembre 2015.
    © Bruno Levesque/IP3/MaxPPPLa Chine, les Etats-Unis, le Brésil ou l'Inde ont récemment multiplié les pas en avant. Le point de vue de Yannick Jadot, eurodéputé vert, à deux mois de la conférence de Paris.Retrait de Shell en Alaska, nouvel accord Chine/Etats-Unis, annonces des contributions climatiques du Brésil ou de l'Inde... : c'est une folle semaine climatique qui vient de s'achever, à deux mois à peine de l'ouverture du 21e sommet des Nations Unies sur le climat à Paris. Bataille de com' ou véritable espoir pour la COP 21 ? Nous avons fait un bilan d'étape avec Yannick Jadot, eurodéputé vert, vice-Président de la commission « commerce international » et membre de la commission de l’énergie, de l’industrie et de la recherche au Parlement, qui publie ces jours-ci un éclairant livre-BD sur le sujet, Climat : la guerre de l'ombre, aux éditions Le passager clandestin.Que pensez-vous de la multiplication des annonces de cette semaine ?Il y a incontestablement un mouvement dans le bon sens, à commencer par la déclaration sino-américaine qui demande pour la première fois d'accompagner les engagements de mécanismes collectifs de contrôle. Jusqu'ici, la Chine et les Etats-Unis, autrement dit les deux premiers pollueurs mondiaux, s'étaient contentés de se jeter à la figure leurs responsabilités respectives et avaient bloqué toutes les négociations multilatérales. De la même manière, quand Barack Obama s'attaque aux centrales à charbon, il commence aussi à changer la donne. En même temps, il ne faut pas être dupe, dans la mesure où l'industrie du charbon finance essentiellement les Républicains. Le pétrole, lui, finance tous les camps, d'où un Barack Obama qui continue à autoriser les forages en Alaska... A la veille de la COP 21, on en est toujours là : on ne sort pas de la contradiction, du double discours permanent. Je suis convaincu que Barack Obama pense sincèrement que le dérèglement climatique est un sujet important, mais un autre hémisphère de son cerveau continue à fonctionner avec le système énergétique du XXe siècle. Il faut donc forer davantage en Alaska, alors même que tous les rapports scientifiques qu'il met en avant pour justifier la mobilisation contre le dérèglement climatique sont unanimes : 80% de nos ressources restantes en pétrole, gaz, charbon doivent rester dans le sol, faute de quoi leur exploitation produira des émissions cinq fois supérieures à ce qui nous est permis.Barack Obama n'est pas le seul. Lundi dernier, François Hollande a annoncé une augmentation de l'aide annuelle de la France aux pays pauvres pour la lutte contre le changement climatique. Sauf que mercredi, on a découvert un budget 2016 avec des coupes dans l'environnement et l'aide au développement... Quelle crédibilité peut-on accorder aux engagements français ?Je ne sais même pas si c'est du double langage, François Hollande comme la grande majorité de nos dirigeants, reste prisonnier des lobbies et d'un imaginaire bloqué sur le XXe siècle. En novembre dernier, au moment même de la publication du dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), François Hollande était en Alberta pour soutenir Total sur les sables bitumineux, qui sont quand même les pétroles les plus sales qu'on puisse extraire ! 
    Le chiffre annoncé à New York a bien sûr une importance symbolique : il pourrait, à un moment de la négociation à Paris, permettre de dire qu'on n'est pas loin des 100 milliards de dollars promis à Copenhague en faveur des pays en développement. Sauf que ces 100 milliards sont potentiels, nous n'avons aujourd'hui aucune estimation crédible de l'argent versé pour le climat dans le monde. Et puis, n'oublions pas que cette somme devait venir s'ajouter à l'aide au développement déjà existante, ce qui n'est toujours pas le cas, la France ayant beaucoup joué des transferts de fonds des aides publiques au développement vers le climat... Une fois de plus, avec cette COP 21, nous sommes sur du symbole.
    La COP 21 est secondaire dans l'action climatique ?Non, car quelle que soit l'addition des efforts faits par les individus, les entreprises, les collectivités, tous ceux qui ont déjà intégré la contrainte climatique, ils ne nous permettront pas de stabiliser le climat sous les 2°. C'est encore à l'échelle nationale que se décident les grandes infrastructures énergétiques et de transports, et tout particulièrement en France, pays jacobin et étatique. On le voit sur Notre Dame des Landes, le Lyon-Turin, les projets d'autoroutes ou de TGV, la part du nucléaire, la crise agricole, le diesel ou la fiscalité... Sur tous les outils majeurs de modernisation de notre système économique, c'est l'Etat qui garde la main et dispose des plus fortes prérogatives pour agir avec force et ambition.
    Et les Nations-Unies, pour paraphraser Churchill, restent quand même le moins mauvais des systèmes de la communauté internationale, un système où, sur le papier en tous cas, le Burkina Faso a la même voix que les Etats-Unis... Ce n'est pas neutre alors même que le climat nous rappelle la communauté de destin de l'humanité, et l'urgence que nous avons à le traiter comme un bien commun avec tous les pays à l'échelle de la planète, et pas simplement les plus riches.
    En même temps, la très grande majorité des observateurs prévoient que l'accord de Paris risque une fois de plus d'être insuffisant... Selon leClimate Action Tracker (CAT), un organisme constitué de quatre groupes de recherche européens (Climate Analytics, Ecofys, NewClimate Institute et Potsdam Institute for Climate Impact Research), seuls le Maroc et l'Ethiopie se montrent à la hauteur des engagements !Effectivement, au mieux, les plans climatiques nationaux ramèneront le réchauffement à 2,7°C d'ici 2100 et ce sera toujours la catastrophe. Malgré l'alerte scientifique, malgré la prise de conscience qui progresse dans l'opinion publique, malgré la nouvelle donne énergétique qui fait que les renouvelables sont aujourd'hui moins chers qu'une nouvelle centrale gaz ou nucléaire (hormis pour le charbon) dans les pays du Sud et du Nord, nos gouvernements n'ont pas le courage politique du sursaut ou de la rupture. Ils continuent à résister au changement.C'est pourquoi il ne faut surtout pas indexer la lutte contre le dérèglement climatique sur les résultats à Paris, car l'échec de Copenhague nous a coûtés trop cher, en entraînant une vraie glaciation de cette lutte ! Je le vois bien à Bruxelles, la Pologne, qui continue de s'accrocher au vieux monde avec le charbon et ses rêves effondrés de gaz de schiste, n'attend qu'un échec diplomatique pour dire : il ne faut plus rien faire, on verra ça dans cinq ans, c'est toujours ça de gagné... Idem pour les lobbies qui ont tout à perdre dans la lutte contre le dérèglement climatique.Dans votre livre, vous parlez même d'une contre-révolution à l'œuvre en Europe?Jusqu'à Copenhague, les politiques ont envisagé assez sérieusement la transition énergétique qui leur semblait, à l'époque, indolore pour leurs amis des grands groupes. C'était une réalité économique, une nécessité environnementale et un effet d'affichage intéressant du point de vue de la communication pour tout le monde. Je n'ai d'ailleurs jamais vu une pub pour EDF avec une centrale nucléaire, c'est toujours un barrage, avec une eau translucide, une éolienne ou un panneau photovoltaïque sur fond de ciel bleu ! Et sur les pubs de Total, vous ne verrez jamais une pompe à essence, un forage de sable bitumineux ou de gaz de schiste...Le problème aujourd'hui, c'est que ces nouvelles énergies deviennent une réalité et s'attaquent donc sérieusement au vieux modèle énergétique centralisé et rentier. Du coup, depuis 2014, nous assistons à une contre-révolution à laquelle ont adhéré une partie des Etats européens (dont la France), et qui a réduit l'effort dans la transition énergétique de près de la moitié sur la décennie 2020-2030 par rapport à la décennie 2010-2020 ! C'est le retour d'un nationalisme énergétique construit autour de la défense des géants de l'énergie qui font de la cogestion avec l'Etat depuis cinquante ans. Donc on sauve GDF Suez parce qu'ils ont des problèmes avec leurs centrales gaz, on sauve le nucléaire qui va très mal, on soutient Total jusqu'au Canada et de fait, on réduit les objectifs européens...Les tenants de ce vieux modèle se débattent agressivement contre une réalité qu'ils ne pourront de toute façon pas empêcher : un modèle naissant décentralisé, d'énergies renouvelables et d'économies d'énergie, qui devient technologiquement et financièrement accessible pour des citoyens ou des groupes de citoyens et qui représente donc … la fin des grands groupes ! Pour les acteurs des vieilles énergies, le secteur est trop prodigue en rentes, dividendes distribués, financements divers, positions sociales pour en partager la gestion avec des PME, des coopératives, voire des citoyens. L'Etat garantit la rente. En retour, ces énergies nourrissent généreusement les oligarchies politiques. Et pour que rien ne bouge, l'Etat est le premier actionnaire d'EDF (84% du capital), de feu Areva (87%) et de GDF Suez (37%). Sauf que face au système français où Total, EDF, GDF utilisent l'Etat pour casser les politiques de soutien, nous avons aussi le système allemand où les deux géants de l'énergie, E.ON et RWE, décident qu'ils vont sortir du fossile pour passer aux renouvelables, à l'efficacité energétique et aux réseaux.L'Allemagne en ce moment, c'est aussi Volkswagen qui triche....Bien sûr, mais en même temps ce scandale raconte tellement cette histoire là ! Il suffit de regarder les règlements européens sur le CO2 ou le diesel adoptés depuis 1995 : avec la complicité des Etats, les lobbies des groupes automobiles ont construit en permanence des flexibilités dans le système pour faire tester leurs voitures dans des conditions hallucinantes et contourner la règle. Depuis deux ans, le fossé entre les tests de laboratoires et la réalité de la route s'est considérablement accru au profit des constructeurs. Et ces logiciels frauduleux sont également utilisés pour les émissions de CO2.
    Nous sommes donc dans un système complètement pervers où les Etats restent l'épicentre du lobby des secteurs industriels les plus conservateurs et où les dirigeants, parfois par conviction, souvent par renoncement ou par lâcheté, se font les relais de ces groupes, acceptent la mise en chantage permanente, plutôt que d'ouvrir des portes plus largement à d'autres secteurs économiques. C'est d'autant plus compliqué que si le lobby des industries qui doivent évoluer existe et défend ses intérêts, celui des nouveaux secteurs en construction n'a pas encore vu le jour. A la télé, c'est le salarié du nucléaire en crise qui vient s'exprimer, pas celui des énergies renouvelables. Même chose sur l'agriculture : vous voyez ceux qui sont fracassés, pas ceux qui ont pris un autre chemin et qui vont mieux.
    Nous sommes donc en guerre, mais c'est une bonne nouvelle, dites-vous aussi. Pourquoi ?Si les lobbies ont déclaré la guerre, c'est que leur monde, celui qu'ils maîtrisaient jusqu'ici, est en train de changer. Car la réalité climatique est là et nous sommes déjà entrés dans un système, où quoi que disent les lobbies des énergies fossiles, d'autres énergies sont en passe de les remplacer. Ils déclarent donc la guerre à la possibilité d'un avenir où il sera moins cher de s'équiper en énergies renouvelables qu'avec de nouvelles centrales à charbon. Dans cette bataille, face à ces acteurs qui sabotent l'action climatique à Paris, Bruxelles ou Washington, une partie de la société, souvent en dehors des institutions, mais aussi des réseaux de villes, des régions, se mobilisent. Cette bataille de l'ombre, c'est aussi une guerre de libération, individuelle et collective, du poids de l'industrie la plus puissante qui ait jamais existé dans l'humanité.Le retrait de Schell de ses forages pétroliers controversés en Alaska, annoncé en début de semaine, c'est une victoire dans cette guerre de libération ?Avec l'effondrement du cours du pétrole, un certain nombre de projets capotent parce qu'ils coûtent de plus en plus cher, et qu'ils modifient la rentabilité des sites, sans parler du coût croissant de l'extraction des « nouveaux » pétroles. Mais au delà de cet aspect purement économique, il y a aussi l'enjeu réputationnel d'un groupe confronté à une mobilisation exceptionnelle sur l'un des lieux les plus vulnérables de la planète. Les exemples se multiplient. L'an dernier, BNP Paribas, la Société Générale et le Crédit Agricole ont dû se retirer d'un mega-projet de charbon en Australie, proche de la grande barrière de corail, à cause de l'ampleur des manifestations, blocages, déversements de charbon organisés, notamment devant les agences de la Société Générale.Sans parler de l'incroyable force de la campagne de désinvestissement, née sur les campus américains et lancée par l'association 350.org, et qui pousse des universités, des institutions, des villes à retirer les capitaux investis dans les énergies sales au profit d'investissements dans les renouvelables.Selon une étude publiée par Arabella Advisors, le mouvement a dépassé 2600 milliards de dollars, soit cinquante fois plus qu'il y a un an. C'est un mouvement mondial, dynamique et plein de bon sens économique. Et c'est aussi l'une des réponses les plus constructives apportées au constat terrible dressé par le pape François en juin 2015: « La faiblesse de la réaction politique internationale est frappante. La soumission de la politique à la technologique et aux finances se révèle dans l'échec des sommets mondiaux sur l'environnement. »Le 26 novembre 2015, Yannick Jadot et EELV organisent au Bataclan une grande soirée pour le climat avec des artistes et intellectuels : parmi les nombreux participants, Carlyn Carlson, Bruno Latour, Dominique Bourg, Jacques Gamblin...http://www.telerama.fr/monde/cop-21-effets-d-annonces-et-doubles-discours-la-folle-semaine-du-climat,132228.php

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