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Im-Père-sonnel

Publié le 04 octobre 2015 par Morduedetheatre @_MDT_

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Critique de Père, de Strindberg, vu le 26 septembre 2015 à la Comédie-Française
Avec Martine Chevallier, Thierry Hancisse, Anne Kessler, Alexandre Pavloff, Michel Vuillermoz, Pierre Louis-Calixte, et Claire de la Rüe du Can, dans une mise en scène d’Arnaud Desplechin

Retour à la Comédie-Française en cette fin septembre, pour la première saison d’Eric Ruf. Là où il nous promettait le retour des grands metteurs en scène de théâtre au Français, on découvre ici la première mise en scène d’Arnaud Desplechin, cinéaste de profession. Pour ce spectacle, il a fait appel à deux grands comédiens du Français, j’ai nommé Michel Vuillermoz et Anne Kessler. Certes, les deux acteurs parviennent à maintenir une certaine forme de tension dramatique tout au long de la pièce. Mais pas aussi forte que ce qu’on pouvait attendre d’eux.

Père, c’est l’histoire d’un couple qui se déchire, sous le prétexte de l’éducation de leur fille, Bertha : le Capitaine souhaite qu’elle aille en ville pour devenir institutrice, sa femme Laura veut qu’elle reste près d’eux pour en faire une artiste. Et pour elle, tous les coups sont permis pour gagner une nouvelle bataille auprès de son mari, jusqu’à le faire douter qu’il est le véritable père de Bertha. Une fois ce simple soupçon installé dans la tête du Capitaine, Laura n’a qu’à attendre qu’il atteigne sa maturité : le Capitaine, alors devenu fou, n’est plus apte à juger de ce qui est bon pour sa fille, et sa tutelle lui est retirée. C’est donc sa femme qui dispose d’un entier pouvoir sur sa fille : une fois encore, elle a vaincu son mari.

C’est fou comme les mots peuvent être plus puissants que les situations. Je compare cette pièce à Démons, vue la semaine passée. Là où les gestes, souvent brutaux, cherchaient à choquer le public, tout passe d’abord ici par la parole. Et les phrases prononcées par Laura atteignent plus vite notre coeur que les coups portés par Romain Duris dans Démons. L’inhumanité, la cruauté, et la bassesse de ses arguments font d’elle l’une des pires femmes de théâtre que j’ai rencontrées jusqu’alors. Elle ne reculera devant rien pour remporter une nouvelle victoire sur son mari et voir ses désirs satisfaits. Comme toujours.

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Pour incarner une telle peste, je voyais aussi en Anne Kessler un bon choix : après tout, c’est une des plus grands actrices de la Comédie-Française, et aucun rôle ne lui a résisté jusqu’à présent. Étrange alors comme elle m’atteint peu dans son incarnation de Laura ! Toujours geignarde, au bord des larmes, elle ne parvient pas à donner de réelles nuances à son personnage, qui, au vu de son caractère, ne devrait pourtant pas apparaître si monotone. Je pense que c’est ici à la direction d’acteur qu’il faut s’en prendre, car si c’est une bonne idée de la faire pleurer pareillement alors qu’elle mène tout à la baguette, ce qui la rend encore plus démoniaque, il aurait sans doute fallu lui conférer des traits plus variés, histoire de la rendre totalement crédible.

En face, Michel Vuillermoz s’en tire un peu mieux. D’abord, parce que je suis une fan inconditionnée de sa diction, qui même dans les élans de colère, dans les rages les plus importantes, reste parfaitement claire. Mais outre mes avis de groupie, j’ai senti en Vuillermoz une réelle peur, une déchirure en lui, comme une crise impossible à résoudre. Sa folie est là : légère, fragile, mais présente. Mais elle n’est pas « en retenue », elle n’effraie pas réellement. J’aurais attendu peut-être plus d’agressivité, d’emportement, comme si sa rage intérieure explosait. En restant aussi calme, on se demande pourquoi tous les membres de la maison cherchent absolument à lui passer une camisole de force. Le reste de la distribution est bien dirigé, mais on retrouve chaque acteur dans son personnage ; peut-être que je les connais trop, ou peut-être que la main directrice n’était pas assez imposante.

Enfin, je reprocherai à Arnaud Desplechin une ultime chose : sa mise en scène. Certes, un tel texte ne demande pas aux acteurs de courir le marathon sur scène. Mais ce n’est pas en restant statique et en imposant une lumière sombre qu’on crée une atmosphère inquiétante. Les acteurs donnent à entendre ce grand texte de Strindberg, mais peut-on réellement dire qu’ils sont mis en scène ? C’est timide sans être classique, lisse sans être respectueux : je n’ai pas vu de réelles idées derrière cette mise en scène. Certes, faire confiance aux acteurs et au texte lui-même est une chose. Mais mettre en forme, faire ressortir les différents aspects du texte, le sublimer, sont autant de choses qu’on demande à un metteur en scène. Faire appel aux plus grands acteurs ne suffit pas, hélas.

Un texte tel que Père aurait dû me retourner de l’intérieur, me bouleverser, me marquer. Pourtant, j’ai la sensation que ce spectacle ne restera pas longtemps en moi, car il n’a pas su me toucher assez profondément. Dommage. 

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