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« La grève des Battùs » - Le front uni des miséreux

Publié le 08 octobre 2015 par Joss Doszen

« Les rangées de perles toutes blanches qui ornent ses reins sous un beeco immaculé et que les femmes d’aujourd’hui dédaignent en ignorant qu’elles abandonnent ainsi une bonne dose de leur sel »

La grève des Battùs - Aminata Sow Fall

Jouissive. Jouissive et inattendue que cette lecture d’un grand classique de cette littérature féminine sénégalaise qui, décidément, ne cesse de me renverser le cerveau. Bien sûr, j’ai souvent entendu parler de cette « grève des Battùs » de Aminata Sow Fall, cette grève des mendiants de la ville de Dakar, imaginée par cette auteure immense, mais je ne l’avais jamais lu. Peut-être avais-je peur d’un récit un peu trop manichéen, rempli de morale larmoyante sur la misère du monde. Je ne me suis donc pas précipité vers cette lecture et aujourd’hui, je me flagellerai bien pour tant de bêtise !

« La grève des Battùs » - Le front uni des miséreux

Keba Dabo est un homme bien. Un fonctionnaire dévoué à son travail, à sa famille et totalement aux ordres de son patron, Mour Ndiaye, qui le porte en haute estime. Keba Dabo est un homme qui a traversé l’enfer. Orphelin de père, élevé par une mère seule, il a grandi dans la fierté – excessive – de ceux qui, malgré la misère, n’ont jamais voulu s’abaisser à tendre la main. Il a vécu dans le très grand besoin avec ses frères et a réussi à s’en sortir par la force du poignet, et il est comme ses survivants qui dénient aux autres le droit à la faiblesse. La mendicité le révolte et il place l’honneur au-dessus de tout. Le jour où Mour Ndiaye lui demande de "faire le ménage dans les rues de la ville", parce que les hordes de mendiants qui grouillent dans les rues "font honte à la nation et empêchent le développement du tourisme", Keba prend sa tâche à cœur et fait le boulot. Il le fait bien, et vite. C’était sans compter sur la culture animiste et ce mélange explosif de superstitions et de fibre sociale qui enserre la société.

« La grève des Battùs » - Le front uni des miséreux

Mour Ndiaye est ambitieux. Il lorgne sur le poste de vice-président de la république. Le poste semble lui tendre les bras et la conviction que cette promotion est pour lui grandit encore plus quand son marabout, Serigne Birama, lui affirme qu’il obtiendra ce qu’il désire s’il respecte ses préconisations, entre autres, sacrifier un gros mouton blanc, découper en plusieurs parts et faire l’aumône aux mendiants. Le problème ? La ville n’a plus aucun mendiant car son collaborateur, Keba Dabo, les a chassés de la ville et ils sont retranchés dans les bas quartiers des Parcelles Assainies. Et ils refusent de revenir à leurs postes de mendicité, réclamant plus de respects de la part de ces "donateurs" qui les méprisent.

Ce récit magnifique prend du sens à ce moment là. Aminata Sow Fall nous parle de la place importante des pus miséreux de la société, du fait que les plus favorisés ont besoin des démunis. Elle nous rappelle également que les bontés sont très rarement désintéressées, que le don a quelque chose d’égoïste. Ce livre nous rappelle la force de ceux qui sont la lie de la terre quand ils prennent conscience de la puissance de la solidarité. La Tunisie, l’Égypte, Le Burkina-Faso nous ont rappelé combien les peuples piétinés pouvaient se transformer en vague Tsunamique, Aminata Sow Fall montre le peuple des mendiants qui se fait vaguelette dont l’écume refuse de mouiller le rivage que sont les hommes riches de la société.

« Les rangées de perles toutes blanches qui ornent ses reins sous un beeco immaculé et que les femmes d’aujourd’hui dédaignent en ignorant qu’elles abandonnent ainsi une bonne dose de leur sel »

Le récit, fluide et accompagné de cette écriture classique des années 80 africaines, nous fait entrer dans l’angoisse d’un Mour Ndiaye qui voit ses rêves lui échapper. Nous sommes dans la révolte de Keba Dabo et nous comprenons sa douleur. Ce personnage nous charge en émotion, son intransigeance et le regard dur qu’il porte aux mendiants sont beaux dans leurs excès. Les autres personnages aussi ne sont pas là pour faire de la figuration. Chacun d’eux portent quelque chose : Rabbi, fille aînée de Mour, porte la parole féministe. N’Guirane Sarr revêt les habits de la fierté du peuple qui ouvre les yeux sur son importance dans la société. Salla Niang représente ce leadership tellement nécessaire à la prise du pouvoir des plus faibles. Etc… tous ont une place, tous ont une raison d’être dans ce livre.

Un vrai plaisir de lecture. Ce court récit m’a vraiment fait passer un très bon moment. Le stylé et enlevé et plutôt dynamique, les personnages sont attachants et les situations, bien que parfois dramatiques, sont presque drôles. Le propos est tendre, révolté mais équilibré car pas trop manichéen grâce notamment aux positions es personnages de Keba Dabo et N’Guirane Sarr notamment. Pour celui qui, comme moi, connait les rues de Dakar ou de New-Delhi, encombrées de mains tendues quêtant la pièce, le regard sur ces gamins ne peut qu’être différent après avoir lu Aminata Sow Fall.

« La grève des Battùs » - Le front uni des miséreux


« La grève des Battùs »

Aminata Sow Fall


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