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Un polar guerrier et métaphysique

Publié le 11 octobre 2015 par Les Lettres Françaises

CogitoreSur la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, une section de l’armée française assure une mission de surveillance des talibans depuis un camp retranché et deux postes avancés, accrochés à flanc de montagne. Alors que se profile le retrait des troupes internationales et que les combats se font de plus en plus sporadiques, les militaires font l’expérience de l’ennui, tout juste interrompu par leurs contacts plus ou moins hostiles avec la population locale du village voisin. Le capitaine qui dirige la section a pour principal objectif de ramener ses hommes vivants, aussi exige-t-il d’eux un sang-froid à toute épreuve, seul garant à ses yeux de leur survie sur le terrain. Cette ligne de conduite va être bouleversée par la disparition mystérieuse de quatre soldats, à laquelle s’ajoute celle de combattants adverses tout aussi désemparés par ce qui semble un sort jeté sur les lieux de leurs affrontements.

Avec ce premier long métrage, Clément Cogitore propose un mélange entre film de guerre, récit fantastique et considérations métaphysiques. Pour assurer le liant entre ces différentes facettes, il s’appuie sur son expérience de créateur audiovisuel formé au Fresnoy, ainsi que sur une équipe de comédiens efficacement dirigés. Parmi ceux-ci, Jérémie Renier incarne le capitaine de section dont le cartésianisme est fissuré par sa descente (littérale) dans les mystères sans réponse. Kévin Azaïs joue un jeune soldat plus guidé par l’intuition au point de défier les consignes, personnage qui fait étrangement écho à celui qu’il interprète dans les Combattants.

L’aspect guerrier du film est rendu par deux dispositifs particulièrement maîtrisés. Le premier, c’est l’emploi systématique par les protagonistes d’un matériel réel dans des conditions réalistes : pas d’effets spéciaux spectaculaires, mais la restitution de l’expérience et de la perception d’un soldat du XXIe siècle harnaché, équipé er projeté par la réalité augmentée – mais aussi falsifiée – notamment avec les appareils de vision de nuit. Le second, c’est le constat de l’ennui profond qui est susceptible de plonger le soldat dans les affres de l’introspection : la discipline va s’avérer un moyen fragile de tenir ces hommes au bord du précipice dès lors que la menace ne s’incarne plus dans un combattant ennemi extérieur mais dans l’accumulation des refoulés intérieurs.

Cogitore 2
L’aspect métaphysique est tout entier dans le glissement progressif du capitaine. Confronté aux événements mystérieux, il se pose d’abord en cartésien absolu, notamment en réalisant devant ses hommes l’expérience de la vision trompée par les sens mais redressée par l’entendement. Mais cette expérience n’a rien de décisif, et lui-même avoue à son second qu’elle n’a qu’une seule vertu : rassurer temporairement et repousser dans le temps et l’espace la nécessité de se confronter à l’inexplicable ici et maintenant. Car, ce sont les catégories, a priori, dans lesquelles l’expérience est pensée et vécue qui nécessitent un examen et, pour cela, il faut creuser dans l’inconscient et en extirper le refoulé, pas nécessairement au sens psychanalytique, mais bien au niveau des formes de la vie sociale même. Comme l’indique Cogitore, « la question n’est donc pas tant : est-ce qu’on vit dans la croyance ? Mais, dans quelle croyance vit-on et qu’est-ce que celle-ci fait du monde un endroit plus habitable » ?

Eric Arrivé

Ni le ciel ni la terre, film de guerre fantastique de Clément Cogitore, 2015, 100 minutes.



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