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La culture de la politique : la "feuille de route" pour l’Unesco !

Publié le 08 juin 2008 par Gonzo

L’homme qui détient le record de longévité en tant que ministre d’un gouvernement arabe – 21 ans d’affilée en tant que ministre de la Culture égyptien – deviendra-t-il le premier Directeur général arabe de l’Unesco ?
Si le nom de Farouk Hosny – selon l’orthographe retenue par l’intéressé sur son propre site internet – n’est pas connu du grand public, son image dans les milieux internationaux est plutôt flatteuse. Prenant en 1987 la tête d’un ministère largement laissée à l’abandon sous Sadate, il a su en quelques années redonner à l’Egypte toute sa place – la première bien entendu ! – sur la scène culturelle régionale, notamment en multipliant les opérations de prestige : inauguration de l’Opéra du Caire, création du Conseil supérieur de la culture (confié au critique Gaber Asfour), de festivals internationaux pour le cinéma, pour le théâtre d’avant-garde…
Plasticien ayant longtemps vécu à Rome et à Paris, cet homme, qui ne fait pas vraiment mystère d’une discrète homosexualité, cultive une image de progressiste ouvert à la modernité occidentale et luttant avec ténacité contre l’obscurantisme et le fanatisme religieux… Autant d’atouts qui font de lui un candidat de poids pour les prochaines élections au poste de Secrétaire général de l’Unesco, en dépit d’une méchante candidature rivale posée par le Maroc pariant sur une personnalité féminine.
Le Japonais Koïchiro Matsuura ne doit laisser son poste qu’en septembre 2009, mais la bataille fait déjà rage !
Inévitablement, le premier front est intérieur car, avec une carrière aussi longue, il est difficile de conserver tous ses amis. Les mauvaises langues affirment ainsi que la principale réalisation du ministre consiste à s’être maintenu aussi longtemps à son poste ! Une incroyable longévité qu’ils expliquent par la capacité de l’intéressé à sacrifier ses alliés les plus fidèles au fil de crises qui auraient emporté d'autres ne bénéficiant pas d'aussi solides soutiens (à commencer par celui de Mme Suzanne Moubarak dont on dit méchamment qu’elle ne peut se passer de son ministre pour assortir ses chaussures à ses tenues de soirée…)
Le "ministre des crises", un de ses autres surnoms dans la presse, en a de fait connu beaucoup : des plus banales – accusation de brader le patrimoine archéologique national au plus offrant – aux plus tragiques, la mort de 46 personnes, dont de nombreux artistes de renom, dans l’incendie d’une Maison de la culture en Haute-Egypte en septembre 2005.
Quant à celles qui, d’une manière ou d’une autre, ont eu pour effet de poser la question de la liberté d’expression, en particulier vis-à-vis de la religion, le bilan de ces deux décennies est mitigé. Sans doute, Farouk Hosny est ce ministre qui, en mai 2000, n’a pas hésité à employer la manière forte contre Al-Shaab, l’organe du parti du Travail, proche de l’opposition religieuse, qui qualifiait de blasphématoire l’édition égyptienne du Festin des algues (وليمة لأعشاب البحر), une œuvre d’un écrivain syrien, Haydar Haydar (حيدر حيدر), publiée pour la première fois à Chypre, 17 ans auparavant !
Mais la décision avait été prise à l’issue de quelques tergiversations qui témoignaient de la fragilité des résolutions ministérielles. Ce que devaient confirmer d’autres crises, à l’issue bien moins glorieuses pour le camp de la liberté : sanctions contre divers responsables de collection des éditions nationales coupables d’avoir édité des ouvrages un peu trop audacieux, destruction en janvier 2001 des œuvres "immorales" - il chantait pourtant les amours au masculin ! – d’Abou Nuwas, célébrissime poète irakien du VIIIe siècle, œuvres malencontreusement rééditées là encore par les éditions nationales…
En réalité, ces voltes-faces caractérisent assez bien la manière d’un ministre qui règne avec un certain cynisme sur les artistes et les intellectuels locaux. Devinant qu’il n’y a pas de raison pour que ces derniers soient tous des héros, et sachant surtout que les subsides de l’Etat sont en Egypte plus qu’ailleurs une des rares possibilités de survie, Farouk Hosny a su asseoir son pouvoir en distribuant les subventions. Comme il lui est arrivé de le dire : avec plus de 700 intellectuels dans les commissions du ministère, y en a-t-il vraiment encore qui restent hors du jeu ?
Fort peu à vrai dire et, selon ses propres termes, les intellectuels sous son règne "sont restés dans la bergerie" ! Le constat, s’il n’est pas agréable, vaut hélas pour tous les autres pays de la région où l’absence presque totale d’une véritable autonomie oblige les spécialistes de la pensée et de l’art à bien trop de compromis pour rester honnêtes, à commencer avec les autorités en place.
Une élection au poste de Secrétaire général se préparant de longue date, voilà bientôt un an que de nombreux organes chantent les mérites du "ministre des intellectuels arabes".
Ce dernier n’est pas en reste pour tenir le discours qu’on attend d’un candidat à ce poste dénonçant par exemple "les chaînes satellitaires [arabes] qui répandent l’obscurantisme" (voir cet entretien dans le quotidien Al-Hayat).
Mais si le front intérieur est sous contrôle, il n’en va pas exactement de même sur le plan international, en dépit du soutien déclaré de plusieurs pays européens dont la France. Une candidature arabe à l’Unesco peut déranger, y compris quand elle émane d’une personnalité offrant d'aussi bonnes garanties qu’un ministre ayant affirmé haut et fort (en décembre 2006) que le voile n’avait jamais été une obligation religieuse et qu’il le considérait comme une offense à la beauté féminine.
Par conséquent, Farouk Hosny sait qu’il doit obtenir des soutiens, ce qui explique peut-être qu’il ait annoncé (en novembre 2007, quelques mois après l’officialisation de sa candidature) qu’il étudiait la possibilité de créer un musée "qui raconterait l’histoire des juifs en Egypte" (article sur le site islam-online).
Rappeler cette part de l’histoire égyptienne est certainement utile, à tout point de vue, mais le véritable examen de passage pour le candidat se situe ailleurs, à savoir sur la question de la "normalisation". En effet, les autorités israéliennes n’ont cessé depuis les accords de Camp David de regretter la tiédeur des relations entre les deux pays et elles s’efforcent, chaque fois qu’elles le peuvent, de renforcer une normalisation à laquelle s’oppose un boycott arabe, tantôt volontaire, tantôt forcé (par les instances syndicales des professions artistiques, et par l’opinion publique).
On voudrait bien à l’étranger par conséquent que des efforts soient faits par le ministère égyptien de la Culture pour tisser davantage de relations, et c’est ainsi que la presse a interprété une péripétie de la scène locale. En janvier dernier, l’attaché culturel israélien en poste au Caire a en effet reçu une très surprenante invitation au regard des mœurs locales pour assister à une représentation du Théâtre national égyptien. La pièce, intitulée Baissez les masques ! (اخلعوا الأقنعة) - cela ne s’invente pas ! – était l’œuvre d’un partisan déclaré de la normalisation, un certain Lénine (sic !) al-Ramli (لينين الرملي).
En dépit des protestations locales, les choses semblaient donc se présenter sous le meilleur jour possible pour le candidat égyptien jusqu’à tout récemment. Depuis, alerté par une ONG américaine, le Centre Simon Wiesenthal, le ministère israélien des Affaires étrangères a en effet émis une "sévère protestation" contre les propos de Farouk Hosny. Celui-ci aurait ainsi affirmé à un député proche de l’opposition religieuse : "Je brûlerais moi-même des livres israéliens si j’en trouvais dans les bibliothèques égyptiennes."
Le ministre cherche à tout prix à se justifier (voir cet article en français sur le site magalif), en expliquant notamment que la citation a été sortie de son contexte. Apparemment, il doit avoir une idée assez précise de ce qu’on attend de lui puisqu’il s’est clairement prononcé pour une normalisation culturelle avec Israël, allant même jusqu’à dire qu’à qualifier un tel projet de rêve !
Assorti de cette remarque, très politique : un rêve qu’il ne faut pas gâcher et qui viendra donc au moment juste, quand les Israéliens auront signé la paix avec les Palestiniens.
Au rythme où se réalise la fameuse "feuille de route", celle qui mène à l’Unesco risque d’être elle aussi un peu longue…

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