Magazine Culture

Entretien exclusif avec le Maître de CABESTANY

Publié le 20 octobre 2015 par Idherault.tv @ebola34
Entretien exclusif avec le Maître de CABESTANY Entretien exclusif avec le Maître de CABESTANY, artiste du XIIe siécle devant ses oeuvres

EXCLUSIF

Aujourd'hui, IDHERAULT.TV s'est rendu dans les P.O. à Cabestany à la rencontre d'un sculpteur, le Maître de Cabestany. Cet artiste, revenu pour nous d'un lointain séjour, puisqu'il vivait au XIIe siècle, a accepté, non sans réticence, de répondre à nos questions.

Merci d'avoir accepté de nous recevoir, ce samedi, dans le musée où on a assemblé la plus grande collection de copies de vos œuvres. Cet hommage a dû vous faire un grand plaisir ? Comment avez-vous ressenti cette exposition ?

Pour moi, qui me demande encore pourquoi j'ai accepté de répondre à vos questions, ce rassemblement est difficile à regarder. Je n'avais pas réalisé combien il me serait désagréable, cruel même, de voir mon travail regroupé, accumulé, en un même lieu.

Vous n'avez pas pensé que cela pourrait se produire un jour ? Vous ne trouvez pas intéressant que d'un même coup d'œil on puisse embrasser plusieurs années, plusieurs périodes, de cette œuvre ?

Quelle œuvre, ici je ne vois que le résultat de commandes que mes maîtres, ou leurs amis, m'ont demandé d'exécuter. Je n'en suis pas fier.

C'est pourtant, pour la plupart de mes contemporains, une réussite, un ensemble de sculptures exemplaires.

Vous voulez plaisanter ! Je n'ai jamais eu pour l'être humain et pour ceux qui le dirige que mépris et pitié. Ce ne sont pas des gens respectables. Ils sont méchants et submergés par le péché. Alors les représenter !

On trouve votre vision originale et votre imagination semble vous placer au-dessus des autres artistes de votre temps. Faudrait-il comprendre que ce n'est pas votre personnalité, votre choix, qui a guidé vos réalisation ?

Entendons nous bien, je n'ai rien choisi. J'ai fait ce que l'on m'a commandé, sans plus.

Mais, la Vierge de Rieux, celle de Cabestany, les témoins du martyre de Saturnin, Daniel, c'est bien vous qui avez conçu leur image ?

Oui c'est moi qui ai fait naître de la pierre, du marbre, leur représentation, mais je n'ai pas voulu qu'ils soient beaux.

Entretien exclusif avec le Maître de CABESTANY
Ces visages, ces expressions, que l'on trouve énigmatiques, différents, ce n'est pas comme cela que vous les avez vu ?

Non, c'est comme cela que j'ai voulu qu'on les voit, mais ce n'était pas comme cela que l'on voulait que je les fasse. L'homme, la femme, sont laids intérieurement, ils sont vils et méprisables, je ne pouvais les faire beaux.

Vous me dites que vous avez choisi, délibérément, de donner des visages contournés, des faciès quasi simiesques, aux anges, aux apôtres, au Christ, même ?

C'est bien ça. Mes maîtres, les abbés, ont exigé que je représente des scènes exemplaires, des grands événements de la vie de Jésus, de sa Mère, mais heureusement pour moi, ils n'ont pas su lire mon message. Ils n'ont pas vu, ou pas voulu voir, mon mépris et ma colère. Les anges ont des têtes de dégénérés, de demeurés, mes apôtres ressemblent à des brutes alcooliques et mes Vierges à des hétaïres, et alors ou est la vérité, que sont-ils d'autre ?

Quand vous représentez un bélier, des brebis, ce sont des animaux ordinaires, normaux. Vous savez donc les voir et les représenter tels qu'ils sont mais les femmes et les hommes ?

Les animaux sont innocents, ils sont purs, les êtres humains en revanche ne méritent pas notre considération. Leurs images se doivent de refléter leurs vices, la noirceur de leurs âmes, c'est cela leur véritable figure.

Mais Marie, à Rieux vous en faite une Salomé, une danseuse exotique. Au tympan de Cabestany elle nous offre soit un visage ingrat, soit l'apparence indifférente d'une beauté orientale absente. Jamais d'amour ou de sourire affectueux. Même son Fils ne paraît pas concerné. Il n'a pas de compassion, pas de beauté transcendée, pas même l'excuse d'une majestueuse froideur. Du " plus beau des enfants des hommes " vous avez fait un homme, ordinaire et désabusé. C'est un presque blasphème.

Si Dieu a fait l'Homme à Son image, moi j'ai fait Dieu à l'image de l'homme. Tant pis si le résultat n'est pas beau, car l'homme est laid. Alors, tant pis pour Dieu, tant pis pour son Fils et pour sa Mère.

Déjà, lors de vos premiers travaux, lorsque vous avez sculpté une cuve pour les moines de Saint-Hilaire, on a tout d'abord songé à une escroquerie, vous auriez sciemment incité à croire à une œuvre antique. Puis, en y regardant de plus près, on se rend compte qu'il n'en est rien mais que vos personnages, saint Saturnin en tête, ne sont pas concernés par la scène que vous leur faites vivre. Ils ne sont pas concernés, ils regardent ailleurs, ont le visage désabusé de gens qui sont là par hasard. Le personnage principal, saint Saturnin lui même, s'apprête à subir le supplice avec la même attitude que s'il allait entrer dans sa cathédrale pour une cérémonie dominicale. Attitude détachée, lointaine, apparemment ce qui va se passer n'est pas son affaire !

L'important, n'est-ce pas, était de réaliser les sujets que l'on me commandait. Je l'ai fait ! Il m'appartenait de montrer, dans ma sculpture, ce que réellement était l'Homme. Je n'en suis pas fier, mais il me semble y être arrivé. Que l'on ne s'en soit pas rendu compte prouve bien la vanité et la bêtise de l'être humain. Il ne voit que ce qu'il en envie de voir et son orgueil démesuré trouble sa vision. J'ai aimé sculpter, faire naître de la pierre de riches décors et d'acrobatiques volutes. J'ai pris du plaisir, avec l'aide du trépan à lui donner vie, à l'animer, mais j'ai détesté être obligé de représenter l'homme. Cela a été une longue pénitence, mon enfer, je l'ai déjà connu sur terre. C'est peut-être pour cela que mes monstres, mes dragons, sont si vivants... je les voyais !

Il ne nous reste qu'à vous remercier pour votre franchise et, dorénavant, nous porterons sur vos œuvres un regard moins indulgent. Merci pour nous avoir éclairé !

Biblio (les deux extrêmes !) :

Marcel Robin. Le Maître du tympan de Cabestany, Art roman du Roussillon, Le Point, XXXIV-XXXV, 1947, p. 75-80.
Olivier Poisson. Le Maître de Cabestany, La voie lactée, Zodiaque, 2000,


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Idherault.tv 48204 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine