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Cellulose, de Guy Chevalley

Publié le 25 octobre 2015 par Francisrichard @francisrichard
Cellulose, de Guy Chevalley

La Cellulose est la matière première de la pâte à papier. C'est aussi la matière première du roman éponyme de Guy Chevalley et... le symbole de la bureaucratie, même si, par les vertus de l'informatique, celle-ci utilise de plus en plus les immatérielles versions électroniques. Lesquelles prennent peut-être moins de place mais ne consomment pas moins de temps, voire davantage, la paperasse étant sujette à inflation dans nos économies dirigées.

Morlan est un commis de bureau de la société Modernica. Il perd un dossier. Tout le monde part à la recherche du dossier perdu, y compris le supérieur direct de Morlan, un dénommé Karpatov. Personne ne trouve ce fichu dossier. Et pour cause. Morlan le retrouve incidemment sur son propre bureau, tant qu'il est vrai que, bien souvent, on ne voit pas ce qui est juste sous ses yeux, dont les trous ne semblent pas toujours se trouver bien en face.

Au lieu de se réjouir de l'avoir retrouvé, Morlan s'en afflige. En effet il a obligé les autres à le chercher. Il en va dès lors de sa réputation et de son honneur. Il en va aussi de sa tranquillité d'esprit et de sa tranquillité tout court. Car Morlan n'aime pas être bousculé et s'alarme de tout ce qui pourrait porter atteinte à sa vie pépère. Il doit donc faire disparaître le dossier et le passe à la déchiqueteuse. Ce qui est nécessaire, mais pas suffisant.

Morlan entreprend d'ingurgiter les jolis rubans blancs effilochés, sortis tout droit de la déchiqueteuse, boit un verre d'eau, qui fait gonfler le papier, et, autrement gonflé, cohérence oblige, se rend chez Karpatov pour lui dire que le dossier demeure introuvable. Cette disparition confirmée met celui-ci hors de lui, au point qu'il agresse Morlan avec un coupe-papier, ce qui, en l'occurrence, est la moindre des armes à utiliser contre son subordonné.

Morlan, persévérant dans sa logique, appelle le supérieur de son supérieur et accuse Karpatov d'avoir fait disparaître le dossier, qu'il aurait peut-être même ingurgité. Cette accusation ne semble pas sans fondement. Elle est d'autant plus plausible qu'une étude, menée par une certaine Lisa Knecht, révèle que selon les statistiques, 3% des employés reconnaissent avoir déjà digéré un papier dans le but de faire disparaître un document.

La presse s'empare de l'affaire. Le Département cantonal de la santé réunit alors des spécialistes pour se pencher sur la question lancinante de la papyrophagie. Entrent alors en scène les autres protagonistes du roman: le professeur Chuques, directeur d'un foyer d'accueil à l'hôpital cantonal, son gendre, M. van Driessche, représentant des organisations patronales, une inconnue qui, provoquée lors de la séance, pète les plombs et se met à dévorer les papiers se trouvant sur la table.

Ce début du roman est l'amorce de péripéties tout aussi burlesques les unes que les autres. La logique imperturbable d'un Morlan, qui s'exprime à la première personne et qui est dépourvu de toute ambition, hostile même à tout avancement, va le conduire à des extrémités, pour lesquelles il n'éprouvera aucun remords mais qui ne seront pas sans conséquences sur le comportement des autres personnages, tout aussi loufoques que lui, mais que l'auteur distingue en les racontant à la troisième personne. 

A la faveur des rebondissements de l'histoire, les traits, assez grossis tout de même, de toute une société se dessinent. Ces traits soulignent les travers des employés de Modernica, filiale d'une grosse entreprise privée, anonyme et très hiérarchisée, des employés d'une administration politique - le Département cantonale de la santé - ou publique - l'hôpital cantonal -, ceux de familles aristocratiques, grand-bourgeoises ou petites-bourgeoises.

Dans le cas de Morlan, le récit se caractérise par de l'autodérision: Mes parents s'inquiètent de me savoir encore célibataire, malgré deux décennies de vie sexuelle active. D'après ma mère, je risque d'atteindre la crise de la quarantaine avant même de la faire. Est-ce ma faute si la masturbation offre plus de facilités que la vie conjugale? Ils ont longtemps cru que j'étais homosexuel; d'ailleurs ils disent "être un homosexuel", avec un usage prétendument ingénu de l'article masculin indéfini.

Dans celui des autres personnages, le récit se caractérise par de la satire: La dynastie Chuques avait produit de nombreux éleveurs et cette marotte s'enracinait dans les vues d'un arrière-grand-père, ornithologue à ses heures, rentier le reste du temps, qui avait aidé à repeupler la Bourgogne après la grande épizootie aviaire de 1887, événement qui avait failli ruiner la patisserie française. Pensez-vous! Plus un oeuf pour les crèmes patissières, les gâteaux et les quiches!

Morlan n'aime pas le téléphone. A chaque fois qu'il y répond dans le roman, c'est pour se retrouver en danger. Il entend par là que sa vie tranquille est mise en danger par une promotion dont il ne veut à aucun prix et à laquelle il doit remédier violemment. Aussi pour le joindre faut-il renoncer aux moyens modernes: Si des gens veulent me contacter, ils n'ont qu'à utiliser les bonnes vieilles méthodes et m'écrire une lettre. Je ne déteste pas le papier. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'il soit devenu papyrophage...

Francis Richard

Cellulose, Guy Chevalley, 224 pages, Olivier Morattel Editeur


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