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Il y a 600 ans : la défaite d'Azincourt

Publié le 30 octobre 2015 par Vindex @BloggActualite
Bonjour à tous, 
Le hasard des dates et événements historiques à voulu qu'en deux mois nous commémorions deux batailles connues de l'histoire de France. Après Marignan, victoire exagérément mise en avant par rapport à son impact réel sur notre histoire, penchons nous sur une cuisante défaite un siècle plutôt, celle d'Azincourt, le 25 octobre 1415. 
Il y a 600 ans : la défaite d'Azincourt
-Miniature représentant la Bataille d'Azincourt. Abrégé de la Chronique d'Enguerrand de Monstrelet, XVe siècle-

Le contexte de la guerre de Cent Ans 


La bataille d'Azincourt ne pourrait être comprise sans son contexte, celui de la guerre de Cent Ans. Elle se situe dans la troisième phase de ce long conflit entre anglais et français. Rappelons que cet affrontement remonte à 1337 entre les Plantagenêt (dynastie régnant alors sur l'Angleterre) et les Valois (dynastie régnant sur la France). Le litige provient d'une querelle de succession à la couronne de France. En effet, éteinte sans descendant en ligne directe, la dynastie Capétienne cherche alors un successeur au dernier fils de Philippe le Bel, Charles IV le Bel, mort sans héritier mal. Restent alors deux personnes : Philippe VI de Valois, fils directe de la branche cadette à partir de Philippe III le Hardi (le père de Philippe IV) ; et Edouard III d'Angleterre, fils d'Isabelle de France, elle-même fille de Philippe le Bel. C'est le premier, pourtant plus indirect, qui fut choisi en 1328 dans un soucis de ne pas laisser la couronne à des étrangers. On reprit même une coutume ancienne, la loi "Salique" (dont l'existence reste incertaine), pour éviter qu'Isabelle ne transmette l'héritage français à des anglais. Toujours est-il qu'Edouard III ne l'entendit pas de cette oreille et demanda la couronne de France en 1337, ce qui déclencha les premières hostilités. 
Il y a 600 ans : la défaite d'Azincourt-L'arbre généalogique des descendants de Philippe III le Hardi
La guerre commença d'ailleurs très mal pour les français qui perdirent d'importants territoires à cause des défaites de Crécy (1346) et Poitiers (1356), pendant laquelle le roi Jean II le Bon fut même prisonnier. La paix de Brétigny confirme ces pertes en 1360, mais dès 1368, Charles V entame une reconquête. En 1396, une trêve de 28 ans est signée, mais elle ne fait pas l'unanimité. Les deux pays sont également en proie aux divisions : Henry IV, nouveau roi ayant renversé et fait assassiner son prédécesseur, doit affronter des rébellions. Son fils et successeur Henry V eut également fort à faire. Mais la France est dans une situation bien pire encore : la guerre civile entre les Armagnacs et les Bourguignons s'ajoute à la folie du roi Charles VI pour faire du pays une nouvelle proie facile pour l'ennemi anglais. Dès 1414, Henry V demande la couronne de France ainsi que toutes les pertes territoriales anglaises depuis Jean sans Terre (XIIIème siècle !). Sachant qu'il demande le plus pour avoir le moins, il réduit ensuite ses exigences ainsi que la demande de rançon pour Jean II le Bon (déjà mort depuis bien longtemps...). Tout cela n'est que stratégie : le roi d'Angleterre sait que la France va refuser ses propositions. Sa stratégie, sous des aspects de négociations, ne sert en fait qu'à préparer la guerre et à en rejeter la responsabilité sur la France. 


Une défaite cuisante



C'est donc dans un contexte difficile pour le Royaume de France qu'Henry V engage une nouvelle échappée ayant pour but d'envahir la Normandie. Le siège d'Harfleur, du 14 août au 22 septembre, donne une issue positive pour les anglais qui tentent de se retirer vers Calais. Cependant, les français les bloquent dans cette retraite qui s'annonce très périlleuse : les anglais sont en effet fatigués de leur siège de plus d'un mois, et malades pour certains. Ils se retrouvent donc en infériorité numérique (environ 6 000 contre 12 à 20 000) sur un terrain qui a d'ailleurs été choisi par les français menés par Charles d'Albret. Les troupes françaises sont essentiellement constituées d'Armagnacs, les Bourguignons étant plus favorables à la cause anglaise.
Sûrs de l'emporter, les français déchantent cependant très vite face aux anglais. Plusieurs raisons expliquent une déroute qui ne met pas plus d'une heure à se dessiner. Tout d'abord le terrain fut finalement défavorable aux français : étroit et bordé de bois, il n'a pas permis aux français d'étendre toutes leurs puissantes cavaleries alors que les archers anglais se placèrent sur les côtés. Ensuite, les conditions météorologiques n'arrangèrent rien aux affaires : le temps pluvieux rendit le terrain boueux, ce qui est catastrophique pour des troupes françaises en grande partie constituées de lourds chevaliers avec des armures de plus de 20 kg. Leur mobilité fut donc encore amoindrie et l'enlisement dans la boue faisait d'eux des cibles faciles pour les archers qui s'en donnèrent à coeur joie. Tactiquement, il faut aussi ajouter que les charges françaises étaient prévisibles et le résultat avait déjà été désastreux pour les français lors de batailles précédentes (Crécy et Poitiers). Les armes de trait étaient trop peu nombreuses du côté français et la disposition tactique en rangée favorisa les chevaliers, beaucoup trop nombreux devant, alors que les archers étaient derrières. La charge ne réussit jamais à réunir les 7 000 hommes prévus et des troupes furent même en retard pour la bataille. Le commandement et la concurrence entre nobles augmenta encore la confusion et transformèrent vite la première charge en fiasco. Celle-ci gêna même la seconde lors de son replis. La panique française permit donc aux anglais, mieux organisés, de prendre rapidement le dessus. L'humiliation fut d'autant plus grande lorsque les anglais décidèrent également de massacrer les prisonniers français, en représailles à des exactions françaises selon certains chroniqueurs, par crainte de l'arrivée d'autres troupes selon d'autres. Toujours est-il que le bilan est lourd : 3 à 4 000 morts du côté français, 1 500 à 1 600 du côté anglais. D'autres estimations rendent même le désastre plus cuisant pour les français. 
Quelques soient les chiffres, l'impact psychologique est profond : chaque camp invoque un jugement divin. Les anglais voient dans cette victoire les faveurs de Dieu pour leur cause, tandis que les chroniqueurs français évoquent une punition divine. On entre-aperçoit que cette cuisante défaite peut avoir des conséquences et rester dans les mémoires. 


Conséquences



Une telle déroute ne peut être sans conséquence, surtout dans un contexte de guerre civile et de reprise de la guerre de Cent Ans. Nous pouvons les évaluer dans plusieurs domaines. 
Et d'abord politiquement. En effet, la défaite d'Azincourt a entraîné une hécatombe dans l'aristocratie française : environ 100 nobles furent tués, dont trois ducs et sept comtes. Le conseil royal fut par conséquent décapité, l'administration locale et les grands services de l'Etat furent désorganisés. Qui plus est, les Armagnacs prirent seuls la responsabilité de cette lourde déconvenue, ce qui entretint le climat de guerre civile avec les Bourguignons. Malgré des tentatives d'unité, la rivalité persista notamment du fait du meurtre de Jean Sans Peur en 1419. 
Ensuite d'un point de vue territorial, Azincourt permit à Henry V d'asseoir plus fermement son autorité sur la Normandie où les seigneurs lui durent l’allégeance sans quoi leurs terres étaient distribuées à de véritables colons anglais. L'objectif était bien sûr d'occuper plus durablement ce territoire, ajoutant un peu plus de morcellement aux problèmes du royaume.  
Sur le plan diplomatique, la France fut toujours moins en position de force dans le conflit avec les anglais. En effet, du fait de l'instabilité croissante et de la folie du Roi, Henry V pu se rapprocher plus que jamais des deux couronnes en négociant avec les Bourguignons le Traité de Troyes, signé en mai 1420. Celui-ci faisait d'Henry V le successeur de Charles VI après sa mort au mépris de la succession en ligne directe et de son représentant le dauphin Charles. Cet arrangement était entériné par le mariage du futur roi d'Angleterre et de France à Catherine de Valois, fille de Charles VI. Bien qu'il ne s'agissait pas de fusionner les deux royaumes en un seul, ce traité fut rapidement le symbole de la résistance aux anglais. Mais tout cela ne sont pas des conséquences directes de la défaite d'Azincourt, mais plutôt le fruit d'un concours de circonstances favorables aux Lancastre. Il faut aussi ajouter qu'à peine deux ans après, cette paix devint caduque du fait de la mort d'Henry V. 
Enfin, militairement, il est souvent dit que 1415 est une sorte de tournant pour l'esprit chevaleresque qui serait alors sur le déclin. Bien qu'il soit tentant de raisonner ainsi au vu du coup d'éclat des archers anglais face aux chevaliers français, il ne faut pas prêter à cette défaite (si lourde soit-elle) autant de conséquences brutales. En effet, la relative perte d'importance de la cavalerie peut s'observer bien avant Azincourt lors d'autres batailles de la guerre de Cent Ans, comme Crécy dès 1346. C'est d'ailleurs au XIVème siècle que l'allègement commença avec les hobelars, sorte de chevaux légers. Par ailleurs, même si la cavalerie ne fut pas en-elle même décisive lors des batailles de la longue querelle entre anglais et français, elle ne fut pas non plus abandonnée, en témoignent plusieurs batailles des guerres d'Italie fin XVème-début XVIème siècle. Si la cavalerie fut moins importante, c'est en partie du fait de son coût important et de son inadéquation avec certaines tactiques plus utilisées pendant cette guerre, comme celle de la chevauchée. Plus qu'un déclin, la cavalerie a connu une recomposition dans son rôle du fait de progrès techniques : elle endossa ainsi un rôle plus défensif du fait de la multiplication des sièges et de la défense de longues frontières. Le rôle offensif fut plus accordé (notamment chez les anglais) aux armes de traits (en particulier l'arc) et à l'artillerie en plein développement, afin d'augmenter la mobilité et l'aspect collectif du combat. De ce fait, il convient plutôt de dire qu'Azincourt est le symbole d'évolutions militaires déjà entamées le siècle précédent, plutôt que d'en faire le glas de l'esprit chevaleresque. 
On le voit, la bataille d'Azincourt fut une défaite importante mais elle ne doit pas être isolée des événements l'entourant pour en apprécier les conséquences. Celles-ci sont parfois exagérées du fait de l'aspect psychologique de cette déroute. 



Mémoires d'Azincourt



Evidemment, selon le côté de la Manche où l'on se trouve, ça change tout ! Du côté français, on retient bien sûr cette bataille comme un sombre revers. Elle n'a donc pas sa place dans le roman national, comme le montre l'absence de mention d'Azincourt dans le "Petit Lavisse" (version de 1940), qui insiste plus sur la folie du Roi et sur Jeanne d'Arc. Dans les programmes plus récent, Bouvines est souvent préférée à Azincourt et la pucelle reste un personnage étudié (selon les choix de l'enseignant).  
Côté anglais, la bataille est une véritable fierté nationale, elle symbolise l'unité anglaise et même britannique (de nombreux archers étant gallois). C'est William Shakespeare qui a mythifié cette date dans sa pièce "The Chronicle History of Genry the Fifth" en 1599. Bien évidemment, la pièce idéalise la personne d'Henry V, en réalité plus violente. L'écrivain exagère largement le rapport de forces (60 000 français...) et le nombre de victimes adverses (10 000). Il oublie également la folie du Roi de France et la division du Royaume, sans doute pour grandir encore un peu plus la performance anglaise. Il justifie de même le massacre des prisonniers français, se basant sur des faits inexistants. En bref, il s'agit de glorifier les anglais soudés contre des français orgueilleux. Facile à comprendre quand on étudie le contexte de l'écriture de cette oeuvre : il s'agissait d'un moment difficile pour Elizabeth 1ère (résistances, défaite contre l'invincible Armada). Shakespeare usa ainsi de propagande pour rapprocher sa reine de la gloire d'Henry V ayant lui aussi connu des déboires pendant son règne. Il s'agissait aussi de légitimer les Lancastre et les Tudors en écrivant une série de pièces sur la Guerre des Deux Roses (fin 1455-1485). Au-delà de son caractère éminemment politique, cette pièce eut une portée incroyable sur la vision de cette victoire en Angleterre. Elle fut même adaptée au cinéma à deux reprises : en 1944 (dans un contexte de Seconde Guerre Mondiale pour gonfler le moral britannique), puis en 1989. Ces reprises ont fait connaître cette bataille à travers les continents. 
Si chaque nation a une mémoire différente de cette bataille, celles-ci semblent toutefois se rejoindre sur une volonté commune, d'attiser la curiosité du public sur cet événement. Une mémoire partagée qui déboucha très récemment sur des commémorations : la bataille fut reconstituée en juillet dernier et une plaque commémorative fut posée lors d'une cérémonie à l'occasion des 600 ans. 
Sources :
Peter Furtado (dir), Les 1001 jours qui ont changé le monde, Flammarion, 2009.
Christopher Allmand, La guerre de Cent Ans, Editions Points, 2013.
Jean Kerhervé, La naissance de l'Etat Moderne. 1180-1492, Hachette supérieur, 2010.
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