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Un détenu et un moine font correspondance

Publié le 31 octobre 2015 par Raymond Viger

Catho-anti-capotePersonne n’en connaît vraiment la raison. Peut-être est-ce le climat politique tendu dans lequel McGill baigne. Une île anglophone dans une mer francophone effrénée, qui permet à ses étudiants de déjouer leurs homologues d’Harvard et d’Oxford sur n’importe quel thème. De la peine capitale au prix de la pizza.

Personne n’a jamais compris pourquoi nous performions si bien, mais cela m’a permis de parcourir le monde. Je ne serai plus jamais aussi intellectuellement intimidant que je l’étais avant, lorsque je brillais en tant que débatteur de la célèbre université McGill.

Rencontre

Il y a plusieurs années de cela, je me suis retrouvé en Australie. Durant des débats à l’Université de Sydney, je suis devenu l’ami d’Anthony, un débatteur nerd. Un être tranquille et passionné de lecture comme moi, dont on se moquait beaucoup – comme c’était aussi mon cas. Et pour que les membres du club de débat se moquent de vous, vous devez être vraiment très nerd.

Nous dînions et nous allions au cinéma, Anthony et moi; nous parlions de philosophie et de Dieu, des sujets peu à la mode, même à cette époque; et nous nous émerveillions du monde à haute voix. Blond, tranquille, au visage d’enfant, il avait grandi, comme moi, surtout en lisant des livres dans sa chambre. Il me montra son bureau, un sanctuaire dédié à l’étude, impeccablement rangé, dont la fenêtre donnait sur une baie lumineuse de l’océan Indien. Nos deux mères étaient mortes alors que nous étions encore jeunes; par conséquent, nous avions dû découvrir par nous-mêmes beaucoup de choses sur la vie.

Chaque fois que nous passions la journée ensemble, Anthony s’habillait de façon formelle, en vêtements bien pressés, souvent avec une cravate et un veston; ce qui est, en Australie, une manière réellement bizarre de se vêtir.

Lorsqu’il croisait des prostituées dans le quartier de Kings Cross au centre-ville, où elles faisaient le trottoir, Anthony exprimait sa frustration de ne pas pouvoir les en empêcher. Il se promit qu’un jour, il travaillerait en ce sens.

Hé, hé, je suis moine…

Des années plus tard, de retour à la maison, on m’a dit qu’il était devenu un moine dominicain. Je me demandais bien, dans ma prison, ce qu’il lui était arrivé.

Un jour, en lisant un magazine, je suis tombé sur une critique d’un de ses livres:Catholic Bioethics for a New Millenium, «Bioéthique catholique pour un nouveau millénaire». Publié en 2012 par les Presses de l’Université de Cambridge, cet ouvrage présente le point de vue de l’Église catholique romaine en matière de santé. On y trouve aussi des propos très francs sur le sexe et les procédures médicales. On reconnaissait bien Anthony sur la photo, avec peut-être le double du poids de sa jeunesse, mais avec le même visage d’enfant bien déterminé.

Ce que les vieux prêtres et les moines pensent à propos de sexe et de médecine peut sembler sans importance pour notre quotidien. Mais cela compte à l’échelle mondiale. En effet, personne sur Terre ne traite plus de patients et ne dirige autant d’hôpitaux que l’Église catholique romaine.

Seulement aux États-Unis, 77 millions de patients par année fréquentent des établissements catholiques; et dans beaucoup de pays, la plupart des hôpitaux sont dirigés par l’Église du pape. Alors, si vous souhaitez subir une opération pour changer de sexe dans ces contrées, vous devez respecter les règles établies par de vieux prêtres et des moines.

Comme Anthony l’explique dans son livre, l’Église ne favorise pas l’avortement et les condoms, pas plus que l’euthanasie pour les patients en phase terminale ou pour les condamnés à la peine capitale. Par contre, elle accepte les transplantations d’organes et elle cherche généralement à prolonger la vie à tout prix. Et oubliez les opérations de changement de sexe. L’Église catholique croit que vous n’êtes pas né homme ou femme sans raison; et que vous ne pouvez pas décider de changer d’équipe en cours de route.

Le magazine The Economist soutient que l’Église catholique a causé le plus grand génocide de l’histoire, par son opposition à la contraception et par la propagation du sida. Beaucoup plus de personnes sont mortes en n’utilisant pas le condom, qu’on en a tué dans les camps de concentration nazis, affirme The Economist.

Péripéties

Dans son livre, Anthony Fisher n’hésite pas à se servir d’un humour australien assez cru pour prouver son point. Il pèse, par exemple, le pour et le contre du sexe avec les poules. Et il en conclut que c’est mal. Car vous ne pouvez pas savoir si la volaille consent aux actes sexuels, écrit-il. Le «non, c’est non» est impossible à déterminer, si les poules ne peuvent que glousser.

Il soutient aussi qu’il ne suffit pas d’écouter sa conscience. Les nazis étaient convaincus de leur bon droit, lorsqu’ils construisaient les chambres à gaz et qu’ils envahissaient des nations. On a commis des crimes horribles pour des raisons que leurs auteurs croyaient justes. L’Église catholique se contente de donner son opinion; c’est à prendre ou à laisser, écrit-il.

Par delà les mers et les continents, je fais parvenir mes livres à Anthony et il m’envoie les siens. Il m’écrit, sur un admirable papier gaufré, qu’il prie pour «la paix de mon esprit».

C’est un homme bien qui organise des groupes de jeunes dans les quartiers pauvres de Sydney… Quoiqu’être pauvre à Sydney signifie que votre famille n’a que deux voitures dans l’entrée, plutôt que les habituels trois voitures et un bateau.

L’Australie est un pays vaste et riche où chacun vit loin de l’autre, sur de larges terrains remplis d’équipements sportifs qui le séparent de ses voisins. Vivants entourés de serpents et d’araignées venimeuses, les Australiens tendent à être indépendants, insouciants… et anti-intellectuels.

Anthony progressait dans sa carrière. Vers la fin de 2014, il fut nommé archevêque de Sydney. Sa plus grande préoccupation, lors de sa prestation de serment, tournait autour d’un énorme scandale de pédophilie.

Mais seulement deux jours après son élévation à ce poste, une prise d’otages eut lieu à deux rues de la cathédrale où il travaillait. Un sympathisant du groupe terroriste État islamique, Haron Monis, venait de prendre en otages 17 personnes innocentes au Lindt Chocolate Café, dans le quartier commercial de Sydney.
À la fin d’un siège de 16 heures, les policiers ont foncé: 2 otages sont morts, en plus du tireur. On pouvait voir tout cela en direct à la télé. Je l’ai suivi de ma cellule en prison. Le monde est plus petit qu’avant.

Blessures profondes

Les Australiens étaient bouleversés. Quelques heures après la fin du siège, le 16 décembre, Anthony célébra une messe à sa cathédrale de Saint Mary.

«Nous n’avons pas l’habitude d’entendre des mots comme “siège”, “terroriste” et “otages” associés à notre ville disait-il. Pourtant, le jour dernier, nous avons été soumis à des images et à des bruits provenant habituellement de pays étrangers… À l’aube, des coups de feu ont éclaté ; les policiers sont intervenus pour sauver des vies; il y a eu des évasions miséricordieuses, mais aussi des morts. L’enfer nous a touchés… La toile de fond de la lumière, qui se lèvera pour nous à Noël, est tissée de ténèbres… La vérité et la vie souvent viennent à ceux qui se sont égarés… dans ce qui est une culture de la mort plus qu’une culture de la vie.»

Que vous soyez ou non religieux, cela touche un point. Car c’est souvent dans le noir que la lumière nous apparaît plus rayonnante.

Une fresque de graffitis colorés illumine un quartier délabré. Une bonne action accomplie dans une prison, un hôpital ou un faubourg misérable a plus de valeur pour ceux qui en bénéficient que pour celui qui ne manque de rien.

Et parfois, de grandes épreuves sont nécessaires pour amener des personnes à changer. Pour qu’elles réalisent à quel point elles ont de la chance. Pour apprécier ce qu’elles reçoivent. Si vous ne perdez jamais, vous ne pouvez comprendre ce que cela signifie de gagner.

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Journaliste dans divers médias à travers le pays; Halifax Daily NewsMontreal Daily NewsFinancial Post et rédacteur en chef du Montreal Downtowner. Aujourd’hui, chroniqueur à Reflet de Société, critique littéraire à l’Anglican Montreal, traducteur et auteur aux Éditions TNT et rédacteur en chef du magazine The Social Eyes.

Parmi ses célèbres articles, il y eut celui dénonçant l’inconstitutionnalité de la loi anti-prostitution de Nouvelle-Écosse en 1986 et qui amena le gouvernement à faire marche arrière. Ou encore en Nouvelle-Écosse, l’utilisation répétée des mêmes cercueils par les services funéraires; scoop qui le propulsa sur la scène nationale des journalistes canadiens.

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