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Interview de Mélanie Talcott, auteur de Goodbye Gandhi

Publié le 01 novembre 2015 par Thibaultdelavaud @t_delavaud

Mélanie Talcott est une auteure passionnée, au parcours atypique avec des convictions fortes, qui participe à la rentrée des indés d’Iggybook. Elle nous parle dans cette interview de ses livres et de son regard sur l’édition et l’autoédition.

Bonjour Mélanie. Peux-tu nous d’abord nous raconter comment tu es venue à l’autoédition ?

Bonjour Thibault. En venir à l’autoédition n’a pas été le résultat d’un cheminement interminable entre refus ou silence des maisons d’édition. Dès le premier livre (il y a quelques années quand même – textes + photos réalisées par mon compagnon), ce fut une évidence. Une belle expérience qui nous a mis sur la paille, sans diminuer pour autant notre enthousiasme, puisque nous en avons fait un second (celui-là avec la confiance et l’aide d’un distributeur). Les voyages, la vie, les rencontres, les coups de folies également (genre pourquoi pas ?), l’installation dans un autre pays, des livres écrits (pas des romans) dans la langue de ce pays ont fait le reste, avec cette étrangeté : il ne m’est jamais venu à l’esprit à cette époque de chercher un éditeur. Après mon retour de l’Inde (fin 2007) où j’ai vécu cinq ans, j’ai d’abord écrit Les Microbes de Dieu (2011), envoyé le manuscrit (imposant quand même, le bouquin fait presque 600 pages !) à une quinzaine d’éditeurs dont quatre n’ont jamais répondu et le reste avec une formule de refus consacrée. Après une souscription, j’ai cassé ma tirelire pour le faire imprimer à 200 exemplaires. J’ai envoyé un SP d’enfer tout azimut (service presse) pour la beauté du geste au vu des retours ! Je l’ai mis en vente sur Amazon. J’ai arrêté car pour l’auteur/autoéditeur indépendant, à moins de crever le plafond des ventes, c’est une perte d’argent (Amazon prend 50% du prix de vente, et de ce qui reste il me faut retrancher les frais de port et d’impression).

J’ai envoyé le second ouvrage Alzheimer… même toi on t’oubliera (2012) à quelques éditeurs, cinq je crois. Deux réponses, les encouragements de Maurice Nadeau, peu de temps avant sa disparition et ceux d’Héloïse d’Ormesson joints aux félicitations de son comité de lecture. Malheureusement, elle venait de publier un récit d’expérience vécue sur cette maladie, bien que celle abordée dans mon ouvrage traite de la métaphore de cette pathologie, en lien étroit avec notre société contemporaine et nos modes de vie (zapping, fuite en avant, etc.). Un éditeur, Corridor Eléphant, en a fait une version numérique qui se balade depuis novembre 2014 dans l’espace virtuel francophone. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles… dit-on.

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Pour les deux autres : Chroniques de l’Ombre du Regard (2013 – compilation des chroniques publiées sur le blog : à L’Ombre du Regard en 2011 et 2012) et Ami de l’Autre Rive (Poésie – 2014), je n’ai rien fait. Ni envoi de manuscrits, ni service de presse, ni même la moindre promotion !

Le dernier en date, Goodbye Gandhi, je l’ai envoyé à trois éditeurs : Denoël (par mail, puisque sur son site, cet éditeur affirme participer ainsi à la taxe carbone) qui ne m’a jamais répondu. Un autre m’a donné sa parole d’honneur qu’il le lirait. Elle a dû s’envoler je ne sais où et le troisième a d’abord perdu le manuscrit pour finalement ne jamais lire le second exemplaire, il l’a donné à une lectrice – m’a-t-il spécifié.

Depuis, je publie mes bouquins via KDP pour le numérique via Createspace avec impression à la demande ou KDP. J’apprécie la liberté que donne l’autoédition, quoiqu’il m’arrive d’avoir des coups de fièvre pour l’édition traditionnelle, plutôt d’ailleurs en direction des pays francophones que dans notre hexagone que je trouve de plus en plus frileux et conservateur.

Un mot encore : étant allergique à l’autopromotion et n’ayant en outre aucun talent pour me vendre, ce n’est pas mon truc, tout cela reste – disons – confidentiel !

Quelle place occupe l’écriture dans ta vie ?

Elle occupe sa place, mais n’est pas toute ma vie, même si je lui ai toujours consacrée beaucoup de temps (articles, revue, blogs, livres, chroniques littéraires). Ce n’est pas l’écriture qui me donne la soupe ! Il y a eu des époques où je n’ai pas écrit une ligne… La vie aussi réclame qu’on l’écrive. Un apprentissage et un compagnonnage…

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Tu tiens également un blog de chroniques littéraires sur Médiapart. Peux-tu nous en dire plus sur cette activité ?

Les choses parfois se passent simplement. Mon blog L’ombre du Regard, dédié aux écrivains et aux livres, ne fait pas partie du Top 100 (ni même du Top 1000) des blogs littéraires. C’est Laurent Mauduit via une discussion FB qui m’a dit conseillé d’essayer la formule Mediapart pour gagner en visibilité, ce que je ne suis pas certaine d’avoir obtenu. Je lis beaucoup, de tout. J’y publie des chroniques de façon aléatoire, selon ce que m’inspire tel ou tel bouquin ou écrivain. A L’ombre du regard, il y a des dossiers sur des écrivains (Nuruddin Farah, Akira Yoshimura, Paul Auster, Mattéo Maximoff, Sorj Chalandon, and son on…) qui ne sont pas sur Médiapart où je participe également et très irrégulièrement à deux éditions : Je me souviens et Boulevard des Mots Dits

Je lis beaucoup, de tout. J’y publie des chroniques de façon aléatoire, selon ce que m’inspire tel ou tel bouquin ou écrivain

Ton dernier livre, Goodbye Gandhi, sorti il y a quelques mois, propose au lecteur un voyage dans une Inde éloignée des clichés et images d’Épinal. Comment t’es venue l’idée d’aborder un tel sujet ?

On m’a souvent demandé durant ces années indiennes : « pourquoi l’Inde ?! » Question qui exigeait souvent une explication détaillée de raisons convenues et convenantes que l’interlocuteur (la plupart du temps touriste ou expatrié) ne prenait même pas la peine d’écouter, le tout un chacun occidental ayant une idée culturellement figée et déterminante sur ce qu’est l’Inde « blanche », un fatras de poncifs spirituels, toujours en partance vers la transe et le nirvana, avec ses pauvres et leurs carcasses décharnées qui marquent, telles des bornes exotiques, la grandeur et la misère du chemin mystique. Un jour, un régulier, un qui avait son visa business et une épouse indienne nous fit la remarque que pour venir vivre en Inde, ou il fallait être cinglé ou il fallait avoir quelque chose à cacher ! Durant ces années, je n’ai rien vu du Taj Mahal, de l’incontournable, dit-on, Rajasthan ni de Jaipur la Rouge, ou du Kerala que l’on qualifie de Venise indienne. Je l’ai regretté parfois car les paysages forgent aussi la mentalité des hommes. Mais en Inde, il en va autrement et si l’on voulait souligner une quelconque différence entre ses populations, il faudrait plutôt opposer l’Inde des plaines interminables à celle des hautes montagnes, car pour le reste, il semble que la même mentalité placide, résignée et violente court d’un bout à l’autre de cet immense pays. Il n’est pas comme on le prétend la terre de toutes les opportunités et de tous les possibles, qui seraient impossibles ailleurs, sinon celui des multiples facettes de l’humain, du pire jusqu’au meilleur et, comme partout, ce que tu vis – ou plutôt comment tu le vis – ne dépend uniquement que de toi. Je dirais que ce qui me séduit dans ce pays, c’est l’impudeur de son chaos. C’est peut-être pour cela que l’Inde rend fou certains de ses « visitants », plutôt que visiteurs.

Ce qui me séduit dans ce pays, c’est l’impudeur de son chaos. C’est peut-être pour cela que l’Inde rend fou certains de ses « visitants », plutôt que visiteurs.

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L’Inde, telle que je la connais, se résume aux visages sur lesquels l’affection ou la colère peuvent mettre un prénom et à ces milles tracasseries auxquelles l’étranger, tout comme l’indien, s’affronte quotidiennement et doit cependant résoudre. Elle se résume à des histoires de vie disparates qui s’unirent ou plutôt se croisèrent. Kumar, Leena, Jayasilan, Mani et Jenni, Charles, Vasantha y Pravina, Porkori, Sylvia, Joseph, Richard, Dilip… et tous les autres. Raconter un pays, c’est s’arrêter aux êtres anonymes qui en tissent la trame, le font, le portent et le supportent. C’est leur donner une voix, soit parce qu’ils n’en ont pas les moyens, soit parce qu’elle leur est refusée.

En général, tout ce que j’écris est basé sur une réalité vécue ou observée que l’imaginaire transcende ensuite. Cette attache au vécu est importante à mes yeux et peut rendre la lecture de mes livres plus difficile, ou, plus exactement, inconfortable. Ce qui est raconté, sous couvert de fiction, dans Goodbye Gandhi, est malheureusement bien réel. Certains protagonistes sont des êtres de chair et de sang. D’autres sont la synthèse de différentes personnes. Et malheureusement, Monique Duchemin et son horrible réseau sont bien le fruit de faits véridiques. Seule sa mort est pure fiction.

Je ne suis pas pour la gratuité. Pour le troc, oui. Mais pas pour la gratuité.

Tu as participé à la Rentrée des Indés, organisée par Iggybook. Quel bilan tires-tu de cette promotion ?

D’abord, j’apprécie beaucoup la plateforme Iggybook. Un excellent outil pour les auteurs. La Rentrée des Indés est une belle initiative, mais je ne saurais dire quel bilan en tirer globalement. Elle a sans doute été bénéfique pour certains et beaucoup moins pour d’autres. En tout cas, en ce qui me concerne, j’ai eu un SP et 0 ventes. Mais en même temps et en toute honnêteté, je n’ai pas utilisé l’outil promotionnel qu’Iggy Book a mis a disposition des auteurs, à savoir le code promotionnel qui permet de faire bénéficier gratuitement une ou plusieurs personnes de son ebook pendant une période définie, et cela sans toucher au prix de vente. Pourquoi ? Tout simplement, parce que je ne suis pas pour la gratuité. Pour le troc, oui. Mais pas pour la gratuité. Je trouve que c’est un système pénalisant et dévalorisant pour la personne, qu’elle soit artisan, commerçant, écrivain ou musicien. Quand j’ai besoin d’un cahier, d’un livre ou d’un steak haché, je dois le payer. Vous imaginez la tête de votre boulanger si vous lui dites qu’il doit échanger son pain contre… rien. La gratuité engendre rarement le retour…

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Quel avenir prédis-tu à l’autoédition ?

J’espère que l’on ira de plus en plus vers une société où les gens se prendront eux même en charge, même si j’en doute L’autoédition ira peut-être dans ce sens, d’autant plus que l’édition hexagonale, à l’image de la société française, tourne sur elle-même, genre « on prend les mêmes et on recommence ». Tout ceci est un peu « asthmatique ». De toute façon, ce qui donne sa voix à un livre, c’est le lecteur et seulement lui, à la condition toutefois qu’il sache s’affranchir des diktats médiatiques qui lui mâchent tout le travail de découverte ou le pousse à consommer des têtes de gondoles, des bluettes et des nanars indigestes. En même temps, je ne me fais pas trop d’illusions. Tout ce qui représente un « marché capitalistique » finit toujours par être « avalé » par le système. Voir la politique éditoriale actuelle d’Amazon… Peu de personnes sont capables de rester droites dans leurs bottes…

ce qui donne sa voix à un livre, c’est le lecteur et seulement lui, à la condition toutefois qu’il sache s’affranchir des diktats médiatiques qui lui mâchent tout le travail de découverte ou le pousse à consommer des têtes de gondoles, des bluettes et des nanars indigestes

Un dernier mot pour la fin ?

Sans vouloir te passer la brosse à reluire, j’aime bien ton blog, sa présentation, les articles (la plupart) et ton travail de réflexion sur le monde du livre et tout l’univers, virtuel ou non, qui gire autour. Je le trouve d’une sensibilité paisible, parfois même rafraichissante. C’est avec plaisir que j’ai répondu à ce questionnaire, sans chercher midi à quatorze heures, comme je pourrais le faire avec un « vieux pote », en toute confiance. Merci Thibault.


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