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Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes : la peur de la fusion culturelle

Publié le 06 novembre 2015 par Blanchemanche
#Aquitaine
Par Julie Carnis, Correspondante à Limoges — 

A l’heure où les dotations diminuent, les milieux du spectacle en Limousin redoutent d’être dilués dans le futur ensemble dominé par Bordeaux.


La trouille de se faire avaler tout cru. Dans le Limousin, les milieux culturels ne vivent pas bien la perspective de cette très grande région. Déjà qu’avec la baisse des dotations aux collectivités, la recherche de subventions relevait du parcours du combattant, alors se savoir à plus de 200 kilomètres du futur centre de décision, en l’occurrence la capitale régionale, Bordeaux, est de nature à semer la panique.A elle seule, la région Limousin a engagé 9,4 millions d’euros dans le secteur l’an passé. Une politique volontariste qui a permis le maintien de 153 emplois associatifs (dispositif unique dans la grande région), d’une dizaine de compagnies financées directement, de près de 90 projets annuels, de 117 structures et d’un maillage territorial fin. Mais ce bel édifice tremble. A quelques semaines de la naissance de la région, les informations filtrent au compte-gouttes : l’heure est au grand flou. Le monde artistique se sent menacé. Et le silence des institutions alimente la rumeur : si l’ogre bordelais s’apprêtait à croquer le petit poucet limousin ? Au nom de ses collègues, Alban Coulaud, directeur du théâtre la Marmaille, un lieu à Limoges dédié au jeune public, résume :«On a des difficultés à avoir des interlocuteurs et quand c’est le cas, on a l’impression de déranger.»Projet unique dans la future région, sa «maison théâtre» est un cheval de Troie culturel, sous ses airs de cour de récré. En sept ans, il a su tisser sa toile des quartiers chics aux cités, en passant par les confins de la campagne. Laurine et Catherine, professeures des écoles dans un quartier populaire limougeaud, en témoignent. Depuis quatre ans, elles bénéficient de l’accompagnement de cette équipe qui vient travailler avec elles en classe sur des notions telles que l’identité, le territoire, la laïcité. Un outil pédagogique qu’elles jugent primordial pour les enfants. «Leur présence auprès de nos élèves, issus d’un quartier déserté par la mixité et très défavorisé, est financée par la Drac et la région Limousin. Qu’est-ce que Bordeaux, qui aura la main demain, peut savoir de ce qui se joue ici ?» s’inquiètent-t-elles.Malaise.Tous les acteurs culturels le constatent : à quelques semaines de l’échéance, rien n’a été annoncé sur l’harmonisation des dispositifs, sur l’identité des nouveaux décideurs, sur la répartition des services et des moyens ou même sur les lignes de force de la future politique culturelle. Seule action concrète : l’empressement déroutant avec lequel la Drac du Limousin a procédé au reconventionnement de certaines institutions pour leur assurer une sérénité de trois ans. Pour Benoît, le chargé de l’action culturelle à la Marmaille, «cette précipitation pour accélérer le renouvellement de conventions qui n’étaient pas arrivées à échéance, avant le couperet du 1er janvier, a créé une sorte de panique. Ça n’a rien de rassurant.» Auprès des intéressés, la Drac assure vouloir bien faire. Mais la numéro 2 du développement culturel dans la région refuse toute interview. «Ça n’est pas vraiment qu’on ne veut pas parler, avoue son entourage. C’est plutôt qu’on ne sait pas quoi dire : à deux mois de l’échéance, tout est encore ambigu.» Sous couvert d’anonymat, un fonctionnaire se fait plus clair et confesse que les directives sont de faire le ménage avant la grande migration, que personne n’est en mesure d’affirmer quel sera son poste début 2016, que les personnels sont à cran.Ce malaise n’a pas échappé à Marie-Agnès Sevestre. La directrice des Francophonies en Limousin, deuxième festival de théâtre le plus soutenu par le ministère de la Culture après Avignon, assure que «les trois entités de la grande région ont peut-être une homogénéité en matière de couleur politique, mais n’ont pas pris les mêmes options en matière culturelle. Les silences traduisent les divergences de fond des trois exécutifs.»Tenue à l’écart des discussions, la déléguée régionale du Syndeac (Syndicat des entreprises artistiques et culturelles) lâche : «On a bien compris que la culture n’était pas un sujet pour les candidats. L’heure est au mercato, chacun négociant sa place.» Pour elle, le risque est réel«de voir un réseau de puissantes structures conforté au prix de l’asphyxie d’une myriade de petits lieux qui font le job dans des territoires où les gens se sentent déjà suffisamment délaissés». Pour répondre à la peur de la dilution elle a signé, avec 55 structures, l’«appel de Poitiers». Un plaidoyer pour «un projet politique qui fasse sens dans une période de tensions identitaires où les questions de culture, reliées à celles de l’éducation, sont primordiales».«Echelle stimulante».Dans ce qu’elle qualifie de «confusion totale», Marie-Agnès Sevestre trouve une certaine ironie à ce que le Limousin, qui cultive sa rhétorique de l’enclavement, s’apprête à devenir frontalier du littoral. «Cette grande région porte en elle l’opportunité d’une révolution psychologique. Le Limousin n’a pas une âme servile, il est talentueux et ses ressources aussi bien culturelles qu’intellectuelles sont infinies. Pour tirer son épingle du jeu, il va devoir commencer à l’assumer et porter la discussion à ce niveau d’exigence.» Marianne Lanavère, la présidente de Cinq-25, abonde. Son réseau d’art contemporain, dont la mission est de faire vivre l’action culturelle régionale au plus près des publics, fédère 20 structures. «Notre réputation en matière culturelle n’est plus à faire. De ce point de vue, la réforme nous projette à une échelle stimulante»,se convainc-t-elle. Admettant que «c’est la fin d’une ère pour les politiques culturelles», elle veut croire «que dans un moment comme celui-ci où les cartes sont rebattues, il est possible de faire entendre sa voix».

Le PS part favori

Sur le papier, la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes fait une jolie mariée, ses trois présidents vantant son palmarès : première puissance agricole nationale, première région viticole… Pour autant, la plus vaste des treize nouvelles entités cache de profondes disparités sociales (les très bas salaires du Limousin), de peuplement (un habitant sur cinq du futur ensemble résidera dans l’ère urbaine de Bordeaux), économiques (le PIB de l’Aquitaine est presque neuf fois supérieur à celui du Limousin). Créditée de 46 % des voix au second tour, la liste socialiste conduite par Alain Rousset est favorite, d’autant qu’il est le sortant en Aquitaine et que le PS dirige le Poitou-Charentes depuis 2004 et le Limousin depuis toujours. Dans l’arrière-pays, il incarne plus la capitale, Bordeaux, qu’Alain Juppé.Fiche région Aquitaine-Limousin-Poitou-CharentesJulie Carnis Correspondante à Limoges
http://www.liberation.fr/france/2015/11/04/aquitaine-limousin-poitou-charentes-la-peur-de-la-fusion-culturelle_1411237

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