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Il suffirait de presque rien...

Publié le 09 mai 2008 par Maitrechronique
A me relire – ce qui m’arrive de temps à autre, mais pas plus qu’il ne faut, soyez rassurés – je m’aperçois que je me livre assez souvent à cet exercice d’auto-flagellation consistant à ne trouver aucun charme à la région que j’habite depuis le jour de ma naissance, voici maintenant plus d’un demi-siècle.
Car il est vrai qu’il faut être armé d’un moral à toute épreuve pour endurer chaque année une saison morne, à mi-chemin entre automne et hiver, dont les premiers jours tombent avec une exaspérante régularité durant la deuxième quinzaine de septembre au plus tard et qui ne condescend à se terminer, dans le meilleur des cas, que vers la fin du mois d’avril. Autant dire qu’il reste bien peu de mois pour profiter, éventuellement, des sourires d’un ciel bleu sans nuages dont l’illustration solaire vient nous réchauffer muscles et neurones.
C’est vrai aussi qu’il faut supporter tous ces crétins qui, au fallacieux prétexte qu’ils habitent une région située au sud de la Loire, font mine de croire que vous habitez en Allemagne et vous narguent de leur soleil permanent, quoique pas toujours au rendez-vous quand vous vient l’idée saugrenue de séjourner quelque temps dans leur paradis météorologique.
Et puis il y a l’autre idiot là, qui, tous les matins sur une radio périphérique, ne semble pas avoir compris que Lorraine et Alsace étaient deux régions distinctes (et fort différentes, vous pouvez m’en croire). On ne dit pas « Lorraine Alsace », mais la Lorraine, l’Alsace. J’ai tenté à plusieurs reprises de lui expliquer, sans succès.
Il y a aussi celui qui nous sert de président de la République et qui fait semblant de montrer ses muscles lorsqu’un affairiste indien fait la pluie et le mauvais temps sur la sidérurgie lorraine pour se hisser au quatrième rang mondial des plus grandes fortunes, comme si les ouvriers constituant son auditoire ce jour-là allaient avaler ses balivernes ne serait-ce qu’une petite seconde. Le mépris comme consolation face au chômage annoncé, on fait mieux.
Pourtant, il suffit parfois d’une toute petite étincelle pour éclairer d’un jour nouveau cette Lorraine qui trouve difficilement grâce à vos yeux.
Prenez ma Fraise de fille par exemple, qui vous téléphone un soir pour vous demander si, Madame Maître Chronique et vous-même seriez partants pour une jolie balade dans les Vosges sous la conduite sereine de Monsieur Fraise.
Vous acceptez très vite et ne regrettez pas votre décision : contemplez donc cette photographie, qui met en scène un magnifique jeu de lumières au bord du Lac des Corbeaux. C’est cela aussi la Lorraine, un espace inquiet du fait de son histoire qui l’a rudement mise à l’épreuve (souvenons-nous que du côté des Vosges, les délocalisations vers la Chine et autres contrées à bas coût ont creusé de profondes blessures, au grand bonheur de quelques actionnaires irresponsables…) mais dont le charme peut vous sauter à la figure pour peu que vous soyez prêts à l’effort minimal consistant à regarder un peu plus loin que votre rumination automno-hivernale. Un lac de montagne, quelque part au-dessus de La Bresse, c’est aussi un endroit splendide.

Splendide à défaut d’être paisible parce qu’on y fait de drôles de rencontres aussi… Les crapauds par exemple ! Imaginez-vous en train de dévorer goulûment un excellent sandwich que vous vous êtes confectionné au moyen de produits locaux fort goûteux et vendus à un prix plus que raisonnable (un avantage acquis à force d’être pauvre…) lorsque vous croyez entendre un coassement. Oui oui, un coassement ! Et là, force est d’admettre la vérité : à vos pieds, une armée de ces vilaines bestioles – c’est vraiment moche un crapaud, jaune brun avec des tâches et des yeux qui sortent du dos – est en train de se livrer à un exercice dont je ne vous proposerai même pas la description tant elle risquerait de heurter la sensibilité de mes plus jeunes lecteurs. Pour vous donner un petit indice, je n’hésiterais pas à qualifier ces innommables animaux de «fucking toads», et c’est un euphémisme tant on était en droit de se demander si, innocents touristes, nous n’étions pas en train d’assister à une véritable partouze ! Au sens propre comme au sens figuré, ça sautait dans tous les recoins du lac. Une brave dame promenant son chien – ou sa fille, je ne sais plus – tint à nous expliquer que nous n’avions là qu’un ridicule échantillon de ce qui se produit chaque année un peu plus tôt : des crapauds partout, partout, partout… Bravo les crapauds !
La Lorraine est décidément une région à nulle autre pareil. C’est aussi la réflexion à laquelle devaient être parvenus une bonne trentaine de motards anonymes (z’ont du mal à enlever leur casque ces gens-là, c’est incroyable) qui n’avaient pas trouvé mieux que de se réunir là, à 980 mètres d’altitude, au bout d’une petite route de montagne, sous nos yeux, tous moteurs pétaradants. Je sais pas ce qu’ils ont les motards : non seulement ils n’arrêtent pas de râler parce que routes et autoroutes sont mortelles pour eux et devraient toutes être équipées de glissières (eh, les gars, vous avez essayé de rouler moins vite ? Parce qu’en ce qui me concerne, je vois pas pourquoi je vous installerais avec mes impôts de quoi faire mumuse comme des gamins. Au bord des routes, il y a des panneaux avec des chiffres, c’est pour vous indiquer la vitesse à ne pas dépasser. Comment ? Ah, vous roulez trop vite, vous n’avez pas le temps de les lire. C’est bête…), mais ils sont tous, sans exception, affectés de la même tare. Je suis certain que vous avez déjà pu constater vous-même les dégâts qu’elle provoque sur leur comportement au quotidien. Cette maladie reste un mystère pour moi : le motard doit toujours d’abord mettre en route son moteur, faire un bon gros coup de vroum vroum et seulement après, il enfile son blouson de cuir, tranquillement, puis son casque, lentement, enfin ses gants et encore un coup de vroum vroum. Ou deux. Une fois ce cérémonial achevé, môssieur peut enfin partir en rugissant, vous expliquant certainement que c’est lui qui a la plus grosse. La moto bien sûr.
Je vois que je me suis un peu égaré. Je voulais vous dire que la Lorraine pouvait être belle, ce qu’elle est vrai sans conteste et que l’insolite s’y cache parfois, à condition qu’on veuille bien nous laisser en profiter sereinement, dans le calme et le doux parfum des sapins et autres mélèzes.
Je vous en reparlerai…

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