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Gwen Garnier-Duguy : "La Nuit Phœnix"

Par Contrelitterature

                                                                                   

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65 pages, 6 €

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Au coin du lisible

     Avec La Nuit Phœnix se réalise l’opération alchimique du poème. Les textes de la tradition hermétique nous disent que le Grand Œuvre se construit selon le processus du « solve et coagula ». Ce sont deux états opératoires de l’âme : la dissolution (solve) qui distingue et la coagulation (coagula) qui réunit. On retrouve ces deux phases dans les titres des deux parties qui structurent le recueil de Gwen Garnier-Duguy : « Dissous la nuit » et « Coagule ton rêve ». Deux schémas graphiques illustrent ces deux parties. Celui du solve prend comme motif le nombre « 2 », symbole de la dualité, tandis que celui du coagula est basé sur le nombre « 1 », symbole de l’unité.
     Dans la première partie, le poète intervient à travers le discours d’un « je » narrateur : « Debout dans l’opacité, à la lueur tiédie du feu couvrant sous la cendre, je suis accoudé à l’âtre ». Ce type d’énonciation discursive alterne avec une énonciation descriptive à la troisième personne : « Un vent de suroît charrie dans ses plis les frimas d’une mémoire conservée en sa plénitude. S’infiltre. Ranime l’âtre » .
     La typographie du discours est mise en caractères italiques, alors que la description du lieu est transcrite en romains. Les pages contiennent alternativement un court paragraphe discursif ou descriptif. Ces textes de prose poétique, très brefs, d’à peine quelques lignes, sont rejetés en haut de la page, ce qui ouvre en dessous d’eux un vaste espace blanc et virginal.
     Dans la phase de dissolution du poème, le solve, on relève quatre instances : la maison, le monde extérieur, le « je » narrateur, la femme. Les deux premières interviennent dans les passages descriptifs, les deux autres dans les passages discursifs.
     Quel que soit le type de texte, les différentes instances sont élémentées soit par le féminin (la maison/la femme), soit par le masculin (le monde/ le narrateur). Dans le discours du narrateur, la femme se manifeste à la troisième personne : « Je sens sa présence. Elle vit sa vie à l’étage. On dirait d’une présence dormante mais non. Tandis que je veille elle s’insinue, toujours à mes côtés ; s’étire dans le noir ».
     Dès l’incipit, la maison est située géographiquement : « La maison est bâtie au bord du Finistère. » L’étymologie du nom du lieu caractérise ses  habitants : « Nous sommes des hommes du littoral ». Le passage du solve au coagula correspond au passage de cette horizontalité littorale à la verticalité hélicoïdale annoncée dans le dernier texte de la première partie : « Engageant mon corps dans l’escalier hélicoïdal, je monte rejoindre ma beauté ».
     Dans la partie du coagula le « tu » vient se substituer à la troisième personne qui, dans le solve, correspondait à la femme : « Tu entends ma voix. Tu me vois. Je te parle depuis le premier jour ».
     Si l’alternance des paragraphes descriptifs en italiques et discursifs en romains demeure, leur distinction ne correspond plus à celle de la première partie. La maison et le monde extérieur s’estompent, la description se focalise uniquement sur la femme aimée. Les passages en italiques correspondent à l’instauration nouvelle d’une relation discursive « je-tu », tandis que les passages en romains sont des descriptions de la femme à la troisième personne : « L’évidence de son corps capte mes origines. Et je sais pourquoi. L’autorité de son mystère demeure. »
     Une érotique sacrée ritualise la gestuelle des corps : « La beauté se tient droite au centre de la chambre, sa chair comme un feu serein, une langue transparente. Les bras le long du corps, elle concentre l’attention sur sa mandorle cachée à l’horizontale de la terre. J’ose poser un genou au sol, l’autre pointé au milieu du mystère ».
     Dans cette partie du coagula les opposés sont unifiés. La parole du discours se féminise : « Ton regard peut m’arracher à ce versant nocturne. Je reviendrais toujours ruisselante de rosée depuis les profondeurs ténébreuses ».
     La femme aimée se transmute en la dame des « Fidèles d’Amour », comme l’atteste l’emploi du vous de majesté : « À mesure que votre présence prend corps devant mes yeux, je me sens homme d’esprit. Ma langue aimantée par votre mandorle d’azur ».
     À l’acmé des noces alchimiques, à la naissance du Rébis, la première personne du pluriel apparaît dans le discours : « Nous entrons dans le temps du voyage. Ta main approchée, tu possèdes mon corps pour vaisseau. Gouverne. Notre navigation aux amers de la nuit trace en miroir un chemin dans la glaise de l’aéronef terrestre. Je te guide. Ta chair mêlée à ma chair intouchable ouvre le ciel androgyne ».
     Le travail que le poème opère dans le lecteur le ramène inexorablement au silence. Avoir osé poser quelques prolégomènes à la lecture est une contradiction. Cette poésie transforme le lecteur en silentiaire. D’ailleurs, le poète a lui-même indiqué l’unique orientation de lecture : « Écriture incrustée dans le granit que les premières coulées de l’aube frapperont au coin de lisible ». Il s’agit donc pour le lecteur de se mettre à l’unisson de cette pierre d’angle qui, dans tout symbolisme constructif, occupe le « coin » principiel de l’édifice.

                                                                                                       Alain Santacreu

  


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