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Allain Bougrain-Dubourg : «Nous sommes entrés dans une ère d’extinction massive de la biodiversité»

Publié le 12 novembre 2015 par Blanchemanche

#biodiversité #LPO
Le 3 septembre à Forest-sur-Marque  : « Nous sommes vraiment entrés dans une nouvelle ère d’extinction massive de la biodiversité et c’est un message pour les chefs d’ é tat à Paris. »  PHOTO PHilippe PAUCHETVDNPQR
Le 3 septembre à Forest-sur-Marque : « Nous sommes vraiment entrés dans une nouvelle ère d’extinction massive de la biodiversité et c’est un message pour les chefs d’ é tat à Paris. » PHOTO PHilippe PAUCHET
«La nature agonise mais il est encore temps de la sauver», s’époumone l’un des écologistes les plus connus des Français. Le président historique de la ligue de protection des oiseaux (LPO) était en tournage près de Lille. Rencontre.
Trente ans que ça dure à la présidence de la première association naturaliste de France, la LPO, 46 000 adhérents, 5 000 bénévoles, 400 salariés. Les oiseaux. Et par extension, les animaux, le monde sauvage. Passeur de messages écolos, animateur d’émissions écolos à la télévision, ambassadeur écolo dans les instances officielles, des sommets de la Terre aux ministères. Raccrocher ? La retraite ? Allain Bougrain-Dubourg était en tournage dans la métropole lilloise pour une nouvelle série... écolo sur France 2. Nous l’avons attrapé au vol pour l’encager le temps d’un entretien à cinquante jours de la conférence climatique mondiale pilotée à Paris par les Nations Unies.
– Serez-vous mobilisé pour cette immense COP 21 aux 196 chefs d’État en décembre ?
« J’irai, bien sûr. Le monde entier va regarder la France et les Français ne peuvent pas rester indifférents aux enjeux du réchauffement climatique. On peut avoir une nouvelle prise de conscience mais a-t-on vraiment compris qu’on n’avait plus le temps ? En France, un batracien sur trois est menacé de disparition. C’est un mammifère sur quatre ou un oiseau sur huit. Nous sommes vraiment entrés dans une nouvelle ère d’extinction massive de la biodiversité et c’est un message pour les chefs d’état à Paris : la biodiversité et le climat vont de pair, la nature offrant les meilleurs puits de carbone, ces espaces qui permettent de piéger le CO2 ou les autres gaz à effet de serre responsables du changement climatique. Le phytoplancton joue un rôle capital, les océans fixant 60 % du CO2 de la planète. Mais les autres milieux naturels contribuent aussi – on pense bien sûr aux arbres des forêts. »
– Quel rapport avec le monde animal ?
« Il est logique car de nombreuses espèces sont dites “parapluie” : en les protégeant, on protège leur habitat, leur milieu naturel, leur écosystème. Protéger un mammifère, c’est protéger la nature, donc lutter contre le réchauffement climatique. Cette idée a fait beaucoup de chemin, elle n’allait pas de soi il y a encore quelques années. Les services gratuits rendus par la nature sont à l’origine de 40 % de l’économie mondiale et ces services ont déjà disparu à hauteur de 60 % en vingt ans à cause de la surpêche, de l’agriculture intensive, de l’artificialisation des terres (bitumes et bétons) et de la déforestation. J’ai participé aux derniers sommets de la Terre, les grands rendez-vous planétaires sur l’évolution du climat. On arrivait avec nos petits oiseaux dans les grandes tables rondes... On avait l’air de quoi ? Aujourd’hui, on commence seulement à comprendre que la biodiversité, les espèces de plantes et d’animaux ont un rôle essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique. En France, je salue le travail de l’ombre, impressionnant, de quelqu’un comme Nicolas Hulot. Grâce à lui et à d’autres, les choses avancent au plus haut niveau de décisions. »
– Lutter contre le réchauffement permettrait donc de sauver des espèces ?
« Sans aucun doute. La nature agonise mais il est encore temps de la sauver. Nous aurons toujours des animaux sauvages mais ils seront moins nombreux et davantage spécialisés, de plus en plus dépendants de milieux de plus en plus fragiles. Attention alors au double langage, entre le discours sur la responsabilité de chacun ou sur celle de l’état et en réalité, des concessions faites à des lobbys. C’est par exemple Ségolène Royal (écologie) et Stéphane Le Foll (Agriculture) qui permettent de tuer le loup en France... C’est la loi sur la biodiversité qui a pris du retard... On n’avance pas. Ou très mal. Actuellement, l’épicentre de la biodiversité européenne se situe en France avec ses mers, ses forêts et ses montagnes. Dans trente ans, il sera situé dans le sud de la péninsule scandinave. C’est vraiment impressionnant de constater presque en temps réel la remontée des espèces vers le nord. Beaucoup de gens estiment qu’il faut laisser faire la nature mais cela va mieux quand on lui donne un coup de main ! Les réintroductions d’espèces, en général, ça fonctionne bien. Castors, lynxs, vautours... Les animaux totems, emblématiques, suscitent de l’émotion dans le grand public qui ne demande qu’à les apercevoir dans leurs milieux. La nature n’est plus sous cloche, le public doit s’emparer de ce patrimoine naturel. Pour mieux admirer des espèces sauvées, les aigles de Bonélie en Vendée, les cigognes blanches passées de dix à deux mille couples en quarante ans ou les vautours fauves, passés de 80 à 1 200 couples... »
«Les héros du climat» à Lille
A Forest-sur-Marque plus précisément, siège de l’entreprise Pocheco, deux milliards d’enveloppes professionnelles par an sorties d’une usine exemplaire en intégration de la biodiversité sur son site de production. Des refuges pour chauve-souris, insectes, hérissons, oiseaux (Pocheco est un site LPO, rarissime dans le monde économique de cette région).
Il n’en fallait pas davantage à Allain Bougrain-Dubourg pour rendre visite à Emmanuel Druon, virevoltant et militant dirigeant de cette PME de 114 salariés. On le voit ici filmer les sept ruches installées sur le toit de l’usine pour l’un des volets d’une série de bonnes pratiques de biodiversité, « Les héros du climat », diffusée le week-end en deuxième partie de soirée sur France 2 et chaque jour à partir du 30 novembre, date d’ouverture de la COP 21 à Paris.
Et ici, quelle vie sauvage ?
Allain Bougrain-Dubourg : «Nous sommes entrés dans une ère d’extinction massive de la biodiversité»
Bon courage à Luc Barbier, l’infatigable président du conservatoire espaces naturels (CEN) régional à Lillers, qui gère une centaine de sites naturels dans une région par ailleurs dotée de 33 réserves, dont 28 régionales (record national en nombre, même si la plus grande ne fait que 175 hectares, inaugurée samedi à Grande-Synthe).
à lui et ses équipes la charge de protéger le peu d’espaces naturels que l’urbanisation et l’agriculture leur ont laissés (13 % du territoire régional, dont 8 % de forêts). Aux espèces de s’en satisfaire et tenter d’y survivre avec un sacré problème supplémentaire : le changement de climat. « Ce qui ne nous empêche pas d’avoir des petites merveilles de nature », corrige-t-il. Comme on prends soin de le faire à l’observatoire régional de la biodiversité. Lou Dengreville, sa responsable à Bailleul : « Les pressions sur nos milieux naturels sont si fortes qu’il est souvent difficile d’établir un lien direct, causal, entre la perte de population d’une espèce et l’évolution du climat. Les changements de température ont une grande influence, mais cela se rajoute à d’autres problèmes (urbanisation, pollutions, etc.). »
On constate la présence de davantage d’espèces thermophiles, qui apprécient la chaleur. Une étude anglaise sérieuse établit que les mésanges pondent plus tôt afin de s’adapter à l’éclosion plus précoce des chenilles qui nourriront leurs petits dans un printemps plus avancé. Les oies cendrées s’arrêtent en France, elles ne retournent plus forcément en Afrique subsaharienne. Dix oies comptées en 1968, 28 000 en 2011. Les blongios nains de l’Audomarois reviennent chaque année moins nombreux de leur migration africaine, tant ils subissent le climat ardent de l’autre côté de la Méditerranée. Les chenilles processionnaires remontent du sud (aïe !). Les moustiques tigres sont à nos portes (aïe aïe !). D’autres oies et canards venaient il y a peu encore des Pays-Bas. Ils y restent, les hivers étant plus cléments. Les ragondins, à présent en limite de Thiérache, comme les rats musqués, profitent de températures plus douces. à gérer ! Y. B.
«Notre ciel se vide»
La Voix de... Yannick Boucher
La biodiversité et le climat sont le recto et le verso d’une même médaille. Interdépendants. Demandez à la grosse perruche verte qui a trouvé sa place à la Citadelle de Lille ou au parc villeneuvois du Héron. Soumettez à la question le murin des marais, la chauve-souris la plus rare de France, présente dans l’Audomarois et inquiète pour son habitat naturel. Interrogeons la bouscale de Cetti, oiseau migrateur sans retour, l’un des préférés des ornithologues pour son chant tonitruant dans les ronciers, très difficile à voir. Un oiseau du sud, niché dans les zones humides de Saint-Omer.
Chez nous, la biodiversité ordinaire s’est effondrée. L’hirondelle, espèce autrefois commune, ne l’est plus. Comme le moineau, le rouge-gorge ou la linotte mélodieuse, dans le passé si courante dans les herbes et les petits buissons. La vision romantique de la nature en prend un coup dans la calebasse. La beauté sauvage a du plomb dans l’aile. Y compris celle de la pipistrelle, inoffensive et si belle petite chauve-souris (– 33 % depuis 2006). L’alouette des champs, – 62 %, bientôt aussi dépecée que notre linotte (– 81 %) ?
Plus de la moitié des oiseaux agricoles ont disparu. Les oiseaux en région, c’est près d’un quart en moins depuis 1989. Notre ciel se vide. Une espèce d’oiseau sur deux (56 %) est considérée comme « rare » par les naturalistes affûtés de notre observatoire régional de la biodiversité. Et ce changement climatique qui veut précipiter les choses...
Par Yannick Boucher 
13/10/2015http://m.lavoixdunord.fr/france-monde/allain-bougrain-dubourg-nous-sommes-entres-dans-une-ia0b0n3100543#.VkOAGNeR0PN.facebook

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