Magazine Amérique du nord

Un vendredi soir sur terre

Publié le 16 novembre 2015 par Véronique Couzinou @VeroniqueCouzin

Paris, je foule ses trottoirs depuis mon enfance. J'y ai mille souvenirs, au jardin du Luxembourg sur le poney Bubulle, du printemps à l'automne, de l'été aux Noël de l'enfance. La semaine dernière, mon long week-end parisien avait bien commencé, jusqu'à ce que la vie s'arrête. Mais non, elle a continué, dans une respiration plus lente. Et le souffle de Paris n'est pas prêt de s'éteindre. 


Un vendredi soir sur terre

Paris, le 13 novembre 2015 ©V.C.

Vous allez rire, je ne suis jamais montée en haut de la tour Eiffel. Pas le courage d'affronter les vagues de touristes, et puis Paris est belle vue d'en bas aussi. Et de l'intérieur, surtout. Jeudi 12 novembre, j'étais au Sénat, dans les ors de la République. L'ancien palais de Marie de Médicis cache des trésors. Sa bibliothèque feutrée et lumineuse fait tourner la tête, mais quand on a le privilège de pénétrer dans son annexe, la galerie Est du palais du Luxembourg, on est subjugué. Subjugué par la beauté de l'esprit qui suinte entre ces millions de pages.

Un vendredi soir sur terre

La bibliothèque du Sénat. ©V.C.

Au plafond, les signes du zodiaque peints par Jacob Jordaens (1593-1678), élève de Rubens, et "Le Lever de l'Aurore" par François Callet (1741-1823), prix de Rome et élève de David. Ici fut créé le premier musée ouvert au public en Europe, en 1750, pour exposer les plus beaux tableaux des collections du roi. Neuf ans avant le British Muséum, et quarante-trois ans ans avant le Louvre. Jusqu'en 1780, deux jours par semaine, chacun put venir y admirer les oeuvres de Raphaël, Poussin, Véronèse, Van Dyck, Titien, Vinci...

Après sa fermeture décidée par le comte de Provence en 1780, le Sénat conservateur décide de le rouvrir au public en 1803. On peut alors y voir de nombreux Rubens relatant la vie de Marie de Médicis, vingt-cinq tableaux de Joseph Vernet représentants les ports de France, et diverses peintures provenant du Louvre. La galerie ferme à nouveau en 1815: ses tableaux vont "regarnir" les murs du Louvre car après la défaite de Napoléon, les Alliés ont récupéré leurs oeuvres pillées par la Grande Armée... 

Mais ce n'est pas fini: en 1818, est créé dans cette somptueuse galerie le premier musée des artistes vivants, où l'on peut voir les tableaux de David, Girodet, Delacroix ou Ingres. Il restera ouvert jusqu'en 1886, puis la galerie deviendra l'annexe de la bibliothèque du Sénat. La vocation de musée demeure, un peu plus loin rue de Vaugirard, et devient le musée du Luxembourg. La galerie, elle, abrite aujourd'hui 56 857 volumes sur 2 km de rayonnages... Je me se sens riche, juste d'avoir pu voir ça, de savoir que cela existe. 

Un vendredi soir sur terre

La galerie Est du Palais du Luxembourg, annexe de la bibliothèque du Sénat. ©V.C.

Un vendredi soir sur terre

©V.C.

Vendredi 13 novembre 2015. Tous les Français se souviendront où ils se étaient ce jour-là. Moi, j'étais dans une brasserie place du Trocadéro, puis au Musée de l'Homme qui vient de rouvrir "dans un espace ouvert sur la diversité, sans barrières physique, sensorielle, cognitive ou culturelle". J'aime l'idée.

Un vendredi soir sur terre

©V.C.

Dans la galerie de l'Homme, entre autres curiosités, on trouve des bocaux avec des cerveaux à l'intérieur. Des vrais. Histoire de comparer le nôtre à celui du dauphin (qui est énorme), du rat, du moineau (pas si petit pour sa taille), du crocodile du Nil (plutôt petit pour sa taille)... Mais la taille ne veut rien dire, c'est bien connu! On apprend que le cerveau humain, eh bien, il fonctionne à 100% de ses capacités. Certains plus que d'autres, dites-vous? Ne mentez pas, je vous ai entendu... En fait, si on utilise tous nos neurones (environ 100 milliards), ce sont les connexions entre eux qui varient et ne pas au maximum de leur capacité. 

Bref, on apprend plein des trucs, au Musée de l'Homme. Et puis on peut voir de près le squelette de "mamie" Lucy (ou "papy", car c'est peut-être un homme), notre ancêtre australopithèque. Il n'est pas spécialement mis en valeur, il faut bien chercher, car ici, il n'y a pas pas de star, c'est l'Homme avec un grand H (et la Femme, donc) qui est la vedette. Mais c'est chouette de tomber sur Lucy car on peut voir son squelette pour la première fois en 3D, et non plus à plat. Ça la rend encore plus humaine, on aurait presqu'envie de la prendre dans nos bras (n'essayez pas, bien sûr). 

Plus loin, dans la pénombre et comme suspendue dans une vitrine éclairée pour mettre en valeur toutes ses rondeurs sublimes sculptées dans l'ivoire de mammouth, la Vénus de Laspugue a quelque chose de magique. Elle a 23 000 ans et aurait pu être sculptée hier. Universellement belle et sans âge. Terriblement émouvante. Plus loin encore, un voyage en bus rapide coloré nous emmène dans les rues de Dakar; on plonge aussi le nez dans un aliment universel, le riz, cuisiné de tant de manière différente dans le monde (Iran, Chine, Espagne, Sénégal...). Oui, oui, on met le nez près d'un diffuseur, on appuie sur le bouton, et des arômes d'épices et d'aliments se libèrent, comme une invitation au voyage. Un voyage coloré, convivial, fraternel. 

Un vendredi soir sur terre
 

©V.C.

Sans oublier l'immense tapis qui sert de planisphère et duquel sortent des langues en caoutchouc... On tire sur chacune d'elles, on approche son oreille et voici qu'on se laisse bercer par le créole guadeloupéen, le basque, le tunumisuut du Groenland, le piraha parlé par le peuple d'Amazonie du même nom, au Brésil.... En tout, une trentaine de langages du monde. Un court échantillon : sur terre, on compte quelque 7000 langages parlés par sept milliards d'humains.

Un vendredi soir sur terre

Tirez-lui la langue... ©V.C.

Vendredi 13 novembre, 20h15. J'essuie une petite larme à la fin de Hyacinthe et Rose, le poétique, doux et drôle spectacle de François Morel au Théâtre de l'Atelier, sur cette place Charles Dullin qui semble sortie d'un décor de cinéma, avec ses pavés, ses feuilles mortes qui adoucissent le pas, à quelques mètres de la butte Montmartre. Quelle belle soirée, l'air est doux à Paris, on va dîner à côté, trinquer, bien manger. Il y a du monde en terrasse, les bistrots sont pleins. Ça aurait pu se passer ici, ou n'importe où ailleurs. À Beyrouth, Tunis, Londres, Alep... 

Un vendredi soir sur terre

©V.C.

Samedi 12 novembre. Paris ne bruisse pas. Mais elle respire toujours. Quartier de l'Opéra, personne ne se plaint que les "grands magasins" soient fermés. Les musées aussi, l'Opéra, certains cafés. Ceux qui sont ouverts font le plein. On a besoin de prendre l'air, de respirer à plein poumons, de voir du beau, de voir du monde. En soirée, les terrasses sont moins pleines, certes. Il fait plus froid ou est-ce une impression? Mais elles ne sont pas vides non plus.

Au Saint-Jean, à deux pas du métro Abbesses, rien, ou presque, ne semble inhabituel. Si ce n'est que tout le monde se sourit timidement, touristes, habitués, serveurs, passants.  Au comptoir, ça discute théâtre et cinéma autour d'un ballon; dehors, une gratteuse de guitare d'un certain âge, et même d'un âge certain, a de la chance: on écoute ses trois accords et on lui donne une pièce. Ça ne durera peut-être pas mais c'est ainsi, ce soir, tout le monde a le droit à un regard, une écoute, une main sur l'épaule. Et voilà le serveur qui apporte un petit calva, juste comme ça. 

Chez Aimé, rue des Trois-Frères, un micro-bar où le cocktail n'est qu'à 6 euros et le demi à 2 € (on est à Paris, je vous le rappelle), rien à voir avec un samedi soir ordinaire où le monde déborde sur les trottoirs et la rue.  Une habituée, une amie, est tombée sous les balles la veille, plus à l'Est. Et pourtant, ceux qui sont là ne voudraient pas être ailleurs, calfeutrés chez eux. On garde le sourire et on trinque à la vie. À la vie, à l'amour!


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