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Il y aura toujours les écureuils

Publié le 17 novembre 2015 par Mentalo @lafillementalo

fusain

Alors on en est arrivés là. A cette tâche ingrate qui te revient, quand tu es parent, de dire l’indicible. De créer la peur dans des cœurs purs, dans des yeux innocents. On aura passé le samedi à la danse, au violon, au poney. A faire des bulles dans le bain. A faire notre premier carrot cake de toute la vie. Le dimanche à regarder pousser la brioche devant la cheminée. A faire les devoirs, constamment interrompus par le ballet des écureuils sur le muret qu’on devait absolument, forcément, regarder tellement ils sont agiles et rigolos. Qu’il est dur à écrire, ce mot, écureuil, que tu rajoutes à ta liste juste après le mot aujourd’hui – qu’il est dur celui-là aussi. Aujourd’hui j’ai vu des écureuils. Que c’est dur, aussi, ce que je vais avoir à te dire avant que tu ne retournes à l’école, avant que la réalité ne te happe à nouveau.

La dernière fois, on n’avait rien dit, on s’était dit que tu avais bien le temps pour connaître tout ça. Et puis il y a eu ce que d’autres t’ont dit, ce que tu as vu ailleurs. Cette fois, quand le téléphone a sonné, quand la sortie au musée de lundi a été annulée, il a bien fallu te parler de Paris, si loin de nous. De tirs, de bombes, de morts. Je ne sais même pas si tu as compris ces mots, nous qui n’avons même pas d’épée en plastique à la maison, et jamais de JT de 20 heures. Des morts, tu sais ce que c’est, il y en a au cimetière, de temps en temps on en rajoute un, ils sont tous vieux. Paris aussi, tu connais. Paris c’est là où ma marraine habite, est-ce qu’elle aurait pu être morte elle aussi? Mais ce sont des bandits qui ont fait ça, tué des gens ? On appelle ça des terroristes, mais je n’ai pas envie de t’apprendre ce mot, parce que je ne veux pas t’apprendre la peur, et encore moins d’une chose que tu ne connais pas, que je ne comprends pas. Et la terreur, c’est encore pire que la peur, tu sais.

Je crois bien que j’ai menti un peu, j’ai dit qu’après tout ta marraine a déménagé dans une autre ville dans un joli appartement où on ira bientôt même si je ne sais pas quand,  j’ai dit qu’ici on ne risque rien, et que voilà maintenant c’est terminé, on ira une autre fois au musée, et cette fois j’essaierai de vous accompagner. Et puis j’ai détourné le regard, on a vérifié la brioche, parce que moi je voulais te protéger, pas tant des bombes, je n’y peux malheureusement pas grand’chose, ce n’est pas comme quand je t’apprends à bien regarder avant de traverser, oui, même si il n’y a jamais de voiture dans notre rue, mais des mots. Merde, je ne voulais jamais avoir à te dire l’horreur et la barbarie, même loin, même en l’édulcorant. Finalement, c’est encore pour ça que je leur en veux le plus: parce qu’ils mettent un terme à ton enfance, à notre insouciance.

Mais tu sais, rien ne va changer. Il y aura toujours des écureuils et des gâteaux qui cuisent dans le four, il y aura la musique, il y aura des dimanches, il y aura la liberté, il y aura l’amour, même au travers des larmes. On sera les plus forts. Même si on a peur. Et même si on réussit à ne pas avoir peur.


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