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Le départ de mon père

Publié le 23 novembre 2015 par Philippejandrok

marc joszef jandrokAu déclin du jour, j’allume une bougie,

C’est la bougie du souvenir, celle des âmes en devenir

Lorsque mon père est parti, ma mère a gardé ses cendres,

Elle allume sa bougie tous les soirs, et touche l’urne sans la prendre,

Lui, il est là, présent, immobile et silencieux dans une étroite boite,

Dois-je dire que c’est mon père que je touche de ma main droite ?

Jadis colosse gigantesque, il est poussière grise grotesque,

J’ai encore du mal à croire qu’il soit dans cette forme réduite,

Et quand je regarde l’urne, me prend l'envie de la fuite,

Je me souviens du jour des funérailles, des sourires tristes qui me tenaillent,

Plombé dans son sarcophage de pin, on nous laisse faire notre deuil,

Comme s’il était facile de faire ce deuil devant ce cercueil ?

Papa était poète remarquable, mathématicien sublime et joueur d’échecs imparable,

On venait de toute la ville pour faire une partie avec lui, de là-bas ou d’ici,

Il allait loin pour réciter ses poèmes, jusqu’en Hongrie,

Il aimait la poésie de Pouchkine à Petôfi, de Villon à Paul Rimbaud,

Il aimait tous leurs mots avec bonheur, comme ils étaient beaux,

Il aimait les épopées, celles d’Ulysse et des dieux grecs, et c’était mon héros,

À la morgue, on me le sortit du frigo, son cœur avait lâché dans les bras d’une belle,

J’étais heureux pour lui, quelle meilleure mort pour un poète rebelle,

J’ai déposé un baiser sur son front glacé, et je lui ai parlé,

Allongé dans ce cénotaphe, rigide comme une poule dans la glace,

Il était inerte, et j’ai eu peur qu’il prenne froid, et j’ai voulu le réchauffer,

Mais en vain, alors, j’ai découpé une mèche de ses cheveux grisés,

J’ai fouillé dans ma poche, j’en ai sorti une pièce,

Je me souviens, elle était cuivrée, je n’avais pas d’or pour l‘honorer,

 Mais, je l’ai glissée dans sa bouche, sous sa langue pour la cacher,

Je ne l’ai jamais dit à personne, à cet instant, j’ai parlé à mon père qui dormait comme en prière :

-   Tu peux partir en paix, j’ai payé le passeur, Charon t’emmènera sur le Styx jusqu’aux champs Élysée et comme tous les héros, tu trouveras le repos…

J’ai reposé le couvercle en larmes, je disais adieu à mon père pour la première fois,

Puis, derrière une vitre en verre armé, j’étais debout et désarmé,

Sur le tapis tout froid de fer, je l’ai vu soudain avancer,

Allongé dans cette caisse de pin, la fournaise la gueule ouverte l’attendait,

Avec mes souvenirs, gourmande d’avaler mon père, elle s’impatientait,

Je voulus me jeter contre la vitre pour le sauver des flammes,

Mais je me heurtais à l’invisible,  et à mon bras, ma mère était en larmes,

Je devais être plus fort pour retenir les miennes,

J’ai laissé la bouche béante dévorer mon père sur cette scène,

Et ce jour-là,

Je n’ai rien pu faire que le voir partir sous mes yeux gonflés de peine.

Philippe A. Jandrok

23 novembre 2015

(ce n’est pas par vanité que j’écris ceci, mais, tous droits commerciaux réservés sans mon express autorisation, valable pour tous les textes originaux déposés sur ce blogue et ailleurs)


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