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Les juifs marocains et la conquête de l'Espagne

Publié le 23 novembre 2015 par Feujmaroc
Les juifs marocains et la conquête de l'Espagne

Nous avons vu dans un précédent article ( Les Juifs marocains et la conquête arabe​) que la conquête arabe ne fut pas, dans l'ensemble, trop défavorable aux Juifs au Maghreb-El-Akça (Maroc actuel). S'il est vrai qu'ils eurent à payer des impôts très lourds, particulièrement la " Djezzia ", il faut aussi reconnaître que cet impôt était déjà exigé d'eux par les Romains sous le nom " d'impôt de capitation ".

Nos coreligionnaires subirent parfois l'oppression des gouverneurs locaux ; mais ils ne paraissent pas avoir été spécialement molestés. Une fois acquitté le tribut fixé par le Sultan, les Juifs n'avaient en général à craindre aucune persécution.

Sous le règne de la Cahena, dont nous avons évoqué la figure légendaire, un antagonisme profond avait existé entre Juifs berbères et Juifs d'origine asiatique. Les premiers étaient des montagnards agriculteurs, guerriers, souvent pillards, pratiquant une religion imprégnée de paganisme ; les seconds, infiniment plus civilisés, soumis à un culte plus orthodoxe, habitaient le littoral.

Le caractère guerrier des berbères judaïsés, la rudesse de leurs mœurs, la soumission à une femme, El Cahena, la haine contre les Arabes qui pourtant étaient leurs libérateurs, à eux Juifs civilisés, tout devait choquer ces citadins paisibles adonnés aux pratiques minutieuses du Talmud. Pour les Juifs du littoral, les Djeroua et leurs alliés avaient apporté la guerre, la mort et la ruine dans le Maghreb tout récemment pacifié par les Arabes.

Cet antagonisme explique pourquoi on ne rencontre aucune trace de participation des tribus juives de la côte aux guerres de la Cahena, considérée par elles comme un tyran et un être impie ; et c'est là une des ironies de l'histoire juive du Maroc.

LE COMPLOT

Les communautés juives du littoral avaient subi non seulement l'influence arabe mais aussi celle des Juifs d'Espagne dont un grand nombre avait trouvé refuge au Maghreb, apportant avec eux tous les raffinements de la civilisation et de la culture intellectuelle et spirituelle. Ensemble, Juifs asiatiques de la côte et Juifs d'origine espagnole méditent la conquête de la Péninsule.

C'est en effet avec l'aide de leurs coreligionnaires maghrébins et non pas des Musulmans, comme le croient certains historiens, que les Juifs d'Espagne, poussés à bout, projettent vers 694 un soulèvement général du pays, pour le livrer à l'invasion projetée de leurs frères de la Mauritanie Tingitane (Maroc actuel) " où plusieurs tribus professaient le judaïsme et où les Juifs exilés d'Espagne avaient trouvé refuge ".

De nombreux contacts avaient été pris entre Juifs des deux côtés de la Méditerrané. Il avait été décidé que la révolte éclaterait dans plusieurs centres espagnols à la fois, au moment où les Juifs d'Afrique seraient débarqués sur les côtes espagnoles. Mais le roi Egica fut averti de ce complot qui " tendait à faire de l'Espagne un Etat juif ". Après avoir convoqué d'urgence un concile à Tolède, aux évoques qui avaient la haute main sur la vie politique, il dénonça les Juifs coupables et demanda une punition sévère pour cette " race maudite ". Le concile de Tolède condamna tous les Juifs à perdre leurs biens et à être distribués comme esclaves aux habitants chrétiens.

Vestiges des racines arabes du sud de l'Espagne.

EN ATTENDANT L'HEURE DE LA REVANCHE...

Les conséquences de ces mesures ne se firent pas attendre : afin d'échapper à l'esclavage, les Juifs espagnols qui en avaient le moyen prirent la fuite, traversèrent le détroit pour se réfugier en Afrique où ils attendirent l'heure de la revanche.

Ils ne devaient pas attendre très longtemps car dix-sept ans après cette tentative avortée de soulèvement et d'invasion, les Juifs participèrent à la conquête de la Péninsule Ibérique aux côtés des Musulmans.

En effet, ces derniers, après avoir affermi leur domination dans le Maroc pacifié comprirent quel appui précieux les Juifs expulsés d'Espagne, qui n'attendaient qu'une occasion de retourner dans leur patrie, pourraient prêter à une armée d'envahisseurs. Se fondant sur des sources espagnoles, on a même parlé d'une " alliance conclue entre Tarik et les Juifs ". Une armée composée d'Arabes de berbères musulmans et de Juifs fut organisée par le général Moussa. Un premier raid à Algésiras de quatre cents guerriers sous le commandement du chef berbère Tarik, fut couronné de succès ; succès qui ne peut s'expliquer que par la complicité des habitants juifs du port espagnol.

D'après l'historien El-Bekri, Tarik se considérait lui-même comme d'origine juive et prétendait être le descendant authentique de la tribu de Ghimoun (Siméon) ben Jacob.

Quoiqu'il en soit, il reste établi que, pendant la conquête de l'Espagne par Tarik, " de nombreux Juifs d'origine marocaine et espagnole participaient aux faits d'armes et combattaient aux côtés des Musulmans et Berbères. D'autres Juifs passaient le détroit " pour peupler les villes désertées par les chrétiens et souvent livrées par les rares coreligionnaires ayant survécu à la dernière persécution dirigée contre eux, la plus cruelle de toutes les autres ".

LES JUDEO-BERBERES

Au fur et à mesure que les Musulmans s'emparaient d'une ville espagnole, ils confiaient sa garde à leurs alliés juifs qui s'y établissaient solidement ; ce fut le cas des capitales comme Cordoue, Tolède et Malaga et de nombreux autres centres. Ainsi, à côté des survivants, peu nombreux d'ailleurs, de la dernière persécution d'Egica, vinrent s'établir en Espagne, les anciens refugiés ayant résidé depuis longtemps au Maroc. Fait plus important encore, de nombreux judéo-berbères se fixèrent dans la campagne espagnole et s'y adonnèrent à la culture rurale. Voilà pourquoi pendant tout le Moyen-Age on trouve des agriculteurs et des planteurs juifs en Espagne.

Ajoutons aussi que 24.000 Djéroua (tribu conquête de l'Espagne ; par ailleurs, les Berghouata (autre tribu marocaine), commandes par Tarik, avaient subi une influence d'origine juive) suivirent leurs chefs dans la juive.

La guerre finie, le pays pacifié, les Juifs, ceux mêmes d'entre eux qui avaient été naguère forcés d'embrasser l'islamisme, n'avaient plus aucune raison de se déclarer musulmans. Aussitôt fixés dans le pays, " ils se fondirent dans le gros de la population juive de la grande presqu'île où leur nombre s'accrut tout d'un coup de manière surprenante ".

Pour juger du nombre considérable des Juifs ayant passé le détroit, des historiens ont allégué avec raison qu'en 694 il n'était presque pas resté de Juifs en Espagne, et leur apparition en grand nombre depuis 711 ne peut s'expliquer que par l'affluence d'un grand nombre de Juifs marocains.

" KAULAN-EL-YAOUDI "

Le nombre de Juifs ayant passé le détroit pour s'établir en Espagne était si considérable et leur caractère berbère et guerrier si marqué, que sept années seulement après la conquête du pays, ces mêmes Juifs osèrent vouloir conquérir à leur tour la Péninsule sur les Musulmans. A leur tête, on trouve un chef berbère de religion juive, Kaulan-el-Yaoudi. Après avoir rallié autour de lui un grand nombre de guerriers juifs, il sut se maintenir pendant quelque temps dans les montagnes de Castille et d'Aragon. Après de violents combats, il fut finalement battu par les troupes du Khalifa et exécuté sur l'ordre du gouvernement tandis que ses partisans étaient dispersés.

En résumé, la conquête de l'Espagne par les Musulmans eut lieu avec le concours actif des Juifs marocains et espagnols. Cette conquête fut cause d'une diminution de la population juive du Maroc dont une grande partie traversa le détroit pour s'installer dans la Péninsule ibérique. Cette diminution eut une répercussion sensible sur la population urbaine.

Par ailleurs, l'Espagne devait longtemps encore faire partie de l'Emprise du Khalifat ; cette circonstance aida au rapprochement des Juifs de ce pays avec leurs coreligionnaires de l'Orient et continua à soumettre les Communautés de la Péninsule au régime du judaïsme orthodoxe dont elle devint bientôt un des foyers les plus ardents.

Ch. B.


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