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Quand les lecteurs de Babelio rencontrent Jón Kalman Stefánsson

Par Samy20002000fr

Pluie, vent, brume… Un véritable temps Islandais attendait Jón Kalman Stefánsson, l’auteur de D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds, lors de sa venue dans les locaux de Babelio le lundi 16 novembre dernier. Malgré un contexte tragique en ce lundi post attentats, c’est avec enthousiasme que l’auteur a choisi de maintenir la rencontre et d’animer avec humour le débat, invitant ainsi les courageux lecteurs présents ce soir là à s’offrir malgré tout un moment de détente. Jean Mattern, son éditeur, s’est chargé de la traduction pendant la soirée.

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Suite à la réception d’un colis plein de souvenirs envoyé par son père, Ari décide de revenir sur les terres de son enfance, l’Islande et plus précisément Keflavik, cette ville où “nulle part ailleurs en Islande, les gens vivent aussi près de la mort”.

En descendant de l’avion, c’est dans l’histoire de sa famille que replonge Ari. Celle de Margret et d’Oddur, ses grands-parents, mais aussi celle de ses parents qui se sont installés dans à Keflavik. A travers ces trois époques (le temps jadis, les années 1980 et aujourd’hui) Jón Kalman Stefánsson offre à ses lecteurs un condensé de l’histoire islandaise qui les saisit, au croisement de la folie et de l’érotisme.

L’art contre la guerre

Touché par la présence des lecteurs, l’auteur a tenu partager ses sentiments à propos des attentats : “Je suis choqué et en colère parce que ce genre d’actes est devenu possible.” Conserver notre mode de vie est pour lui la meilleure réponse à apporter à ces attaques et c’est pourquoi il explique n’avoir jamais envisagé d’annuler sa rencontre avec les lecteurs. “Si ces terroristes parviennent à prendre possession ne serait-ce que d’un tout petit espace dans notre esprit alors ils auront gagné. C’est précisément cela que nous devons empêcher.”

Pour Stefánsson, la littérature peut, à son niveau, jouer un rôle dans la compréhension entre les cultures et par conséquent permettre de lutter contre ce genre de catastrophes : “La traduction d’un livre peut empêcher une guerre selon moi, parce que les guerres naissent de l’ignorance.” Pour lui, si la haine ferme les portes, l’art au contraire les ouvre et c’est pourquoi l’animosité et le mépris doivent être les premiers sentiments à combattre afin de vivre ensemble.

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Une nouvelle réalité

Le lecteur en conviendra, les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ont eu un fort impact sur la création artistique post événements. Films, romans, documentaires, tous les supports culturels ont été saisis par l’effroi et sollicités pour témoigner des conséquences de l’arrivée du terrorisme sur le continent américain. Si l’Islande est éloignée géographiquement de la France, Stefánsson explique à ses lecteurs que ceci ne l’empêche pas de se sentir visé : “En tant qu’écrivain aujourd’hui, il est impossible de ne pas être influencé par ce que nous venons de vivre. Ces terroristes font désormais malheureusement partie de notre société, il n’est pas possible de le nier.” Bien sûr, l’auteur ne souhaite pas y consacrer un ouvrage entier, ni même décrire les faits : “Évoquer sporadiquement ces événements simplement “pour en parler” ne sert à rien, l’évocation doit venir de l’intérieur de nous. En revanche, il est possible de traiter ce sujet de beaucoup de façons différentes et nous n’avons aucunement besoin de décrire l’horreur pour en parler.”

Choisir sa vie

La parenthèse sur les attentats terminée, les questions des lecteurs se sont ensuite orientées vers le roman et son écriture. Ces derniers l’ont tout d’abord interrogé sur la volonté d’exil du personnage principal du roman, qui quitte l’Islande pour le Danemark avant de revenir en Islande quelques années plus tard : “A vrai dire, si mon personnage fuit quelque chose,  je ne savais pas encore précisément quoi lorsque j’ai commencé à écrire le roman. Cela m’angoissait mais j’étais également heureux de l’ignorer à l’époque, car pour moi, écrire c’est découvrir.” L’âme aventureuse, Stefánsson assimile l’écriture à une exploration qu’il est par conséquent normal de ne pas maîtriser complètement. “Mon personnage a beaucoup de difficultés à savoir qui il est, c’est là un mal intemporel.” Selon l’auteur, ce constat social est hautement paradoxal aujourd’hui car si dans les société anciennes la destinée de chacun était bien souvent scellée dès la naissance (fils de paysan tu nais, fils de paysan tu seras) et que les témoignages artistiques et surtout littéraires témoignaient d’un mal-être générationnel (“Bien sûr, cela a été bénéfique en un sens, car sans ce malaise, nous n’aurions pas de littérature aujourd’hui ! Le bonheur est une chose terrible pour l’art !”), les choix de vie se sont désormais démultipliées. Pourtant,  les hommes semblent aux yeux de Stefansson, toujours aussi perdus concernant leur devenir, soumis à un trop grand nombre de possibilité. C’est face à cette bataille intérieure devenue trop prégnante, qu’Ari, le personnage principal du roman, décide de revenir vers la terre de son enfance, explique l’auteur.

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Plume libre

D’ailleurs les poissons n’ont pas de pieds entremêle trois époques. C’est sur l’enchevêtrement de ces trois temps, et la façon de les lier en un seul récit que les lecteurs de Stefánsson l’interrogent. Quel a été son  procédé d’écriture pour un tel roman ?  “Je contrôle rarement les choses lorsque j’écris, tout s’est fait au fil de la plume.” L’auteur en profite pour confier à son public qu’il est régulièrement victime de ses propres digressions, l’empêchant souvent de mettre le point final à ses histoires : “Je mets souvent du temps à me fixer car des histoires surgissent constamment de mon esprit et mes histoires s’échappent. D’ailleurs, si vous croisez l’une d’entre elles, n’hésitez pas à lui dire de rentrer à la maison !“

Prendre le temps…

S’il est un ennemi contre lequel les personnages du roman de Stefánsson doivent lutter, c’est bien le temps et son inéluctable fuite. L’envisageant comme celui qui détruit tout, l’écrivain s’exprime sur sa conception de ce principe : “Depuis que je suis très jeune, j’ai toujours été attristé par l’action du temps et ai longtemps cherché une façon de changer cela.” Cherchant un moyen de s’évader de cette réalité souvent pensante, le futur écrivain avait ainsi pris l’habitude de se réfugier dans les livres, à ses yeux seuls armes contre le temps qui passe : “ Le temps n’existe pas dans les livres. On ne peut vaincre le temps mais on peut tricher avec lui. D’une certaine façon, c’est peut-être d’ailleurs dans la lecture et l’écriture que réside la seule façon de vaincre la mort.”

… et l’apprendre

Dans son roman, l’auteur  semble avoir un regard très dur sur son pays. Les lecteurs l’interrogent sur la vision qu’il possède de ce dernier. “Mon regard n’est pas noir mais simplement critique. La crise économique que nous avons traversée il y a quelques années a montré les conséquence funestes d’un trop grand appétit d’argent. A l’époque, j’ai pensé que nous allions apprendre de cet accident mais il semblerait que nous commencions à l’oublier. Voilà ce que je reproche à mon pays.” Loin d’accuser uniquement l’île nordique, cette capacité à oublier le passé représente à ses yeux une tare mondiale : “ Si on oublie le passé, alors on se perd dans le futur. Les choses sont tellement accélérées à l’heure actuelle qu’on oublie tout. C’est comme lorsque l’on conduit à 150km/h, on ne voit pas le paysage. L’art, c’est savoir ralentir pour ne pas oublier.”

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Une période clé

En choisissant de croiser trois périodes, Stefánsson propose dans son roman une fresque détaillée du XIXe siècle Islandais. S’il a choisi cette période, c’est parce qu’elle correspond à une étape clé du développement de son pays : “ Avant le XIXe siècle, la société était immobile pendant des siècles. L’histoire de l’Islande est une guerre contre la famine, c’était la principale préoccupation du peuple, ce qui avait pour conséquence directe de bloquer le développement économique. A la fin du  XIXe siècle, des bateaux plus grands sont partis en mer et le commerce a fini par se développer.” Incarnant la confrontation directe entre la modernité et les temps anciens, cette période a su inspirer l’écrivain, ravi de pouvoir faire connaître l’histoire encore mal connue de son pays.

Au nom des femmes

Les lecteurs l’ont remarqué, Stefánsson dépeint dans son oeuvre les femmes avec une sensibilité particulière. La question de son regard sur la gente féminine poursuit donc la conversation : “Depuis l’enfance, je n’ai jamais vu de différence entre les femmes et les hommes. Mais ça n’est pas le cas de mes amis. C’est comme si les lois étaient différentes quand les femmes sont présentes. J’ai espéré saisir cette vision des choses en vieillissant, mais je ne comprends pas la société dans laquelle nous vivons, en particulier lorsqu’il s’agit de considérer les femmes.” Selon lui, la force de ce sexisme persistant provient de ses illustres origines, en particulier au regard de la religion : “Ceci a commencé lorsque les hommes ont osé penser que Dieu est un homme ! Si c’est le cas, alors les femmes n’ont effectivement aucune chance de les égaler.”

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Amoureux des mots

Auteur mais également traducteur, Stefánsson partage avec les lecteurs sa passion pour cet exercice difficile : “Traduire, c’est un moyen de remercier les auteurs que j’apprécie. Lorsque je découvre un poème qui me fascine, l’aboutissement logique en est pour moi la traduction.” Romans, nouvelles, l’écrivain compose avec aisance et rappelle que par-delà la traduction en elle-même, l’exercice est bénéfique pour son écriture : “En tant qu’auteur ce travail est bénéfique, car ce que l’on traduit diffère de notre style et l’on acquiert une connaissance plus profonde de sa propre langue. Cela permet également de prendre un bon recul sur le texte en question.”

La soirée s’est ensuite poursuivie par l’habituelle séance de dédicace, où les lecteurs en ont profité pour remercier l’auteur de sa présence et pour échanger quelques mots avec lui.

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Découvrez D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds de Jón Kalman Stefánsson, publié  chez Gallimard.


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