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Les rapports de force économiques sino-indiens sur le marché automobile régional

Publié le 27 novembre 2015 par Infoguerre

Les rapports de force économiques sino-indiens sur le marché automobile régionalEn recourant aux investissements étrangers directs (IDE), l’Inde accélère son développement en faisant assumer une partie de son coût à la Chine. Celle-ci augmente ses partenariats dans les domaines de l’infrastructure et des hautes technologies pour contrôler les futurs secteurs-clés de l’économie indienne. La compétition dans l’industrie automobile est un des fronts majeurs de cette confrontation économique entre nouveaux entrants.

Inde et Chine, des alliés de circonstance.

Des différends frontaliers et des alliances de revers depuis 1962.
Depuis la guerre éclair de 1962, l’armée chinoise a pris position dans la région de l’Aksai Chin  et constitue de ce fait une menace permanente sur New Dehli et la vallée du Gange. La Chine a par ailleurs contracté une alliance avec le Pakistan et lui a fourni un soutien logistique et technologique, notamment pour son programme nucléaire militaire. Enfin, l’Inde s’allie en 2006 aux Etats-Unis pour le développement de son programme nucléaire civil.

Une concurrence dans l’approvisionnement en ressources stratégiques.
Avec respectivement 1,374 et 1,296 milliard d’habitants en 2014 et 1,385 et 1,620 milliard en 2050, la Chine et l’Inde investissent massivement pour diversifier leurs sources d’approvisionnement dans le domaine de l’énergie mais également dans la production agricole. Au printemps 2015, la Chine par le biais du Central Rural Work Leading Group, l’organe responsable de la politique rurale chinoise, a officiellement renoncé à une autosuffisance alimentaire de 95%  pour ne plus détruire ses ressources par leur sur exploitation. La compétition qui les oppose en Afrique semble annonciatrice de tensions.

Un intérêt commun bien compris : le développement économique.
En mai 2015, Narendra Modi déclarait lors de sa première visite officielle en Chine : « Œuvrons ensemble dans notre intérêt commun. L’Inde est prête à faire des affaires (ici) ». Cela s’est notamment traduit par la signature de 24 accords pour un montant de 22 milliards de dollars. Ce mouvement a été amorcé en 2005 à l’occasion de la signature du partenariat stratégique sino-indien et se traduit par des échanges commerciaux à hauteur de 70 milliards de dollars par an, avec actuellement un déficit indien  de 38 milliards de dollars. De même, les deux pays se retrouvent pour promouvoir une réforme des institutions internationales qui réserverait une meilleure place aux émergents.

Similitudes et besoins divergents.

Des marchés intérieurs à satisfaire différemment.
Economies émergentes, les deux pays sont confrontés aux besoins de leurs populations respectives. Si la classe moyenne se développe en Chine et avec elle les besoins en équipements et services, le pays voit aujourd’hui les conséquences de la politique de l’enfant unique avec une population qui veillit. A l’opposé, avec 2,43 enfants par femme en âge de procréer en 2014, la démographie indienne est dynamique. Mais 70% de cette population vit sous le seuil de pauvreté. La consommation indienne repose donc sur des produits a priori à moins grande valeur ajoutée que le marché chinois, même si 50 millions de téléphones portables sont vendus chaque semaine en Inde.

Des besoins en infrastructures pour la croissance économique et la cohésion sociale.
A partir des années 1980, les autorités chinoises ont développé la Chine littorale pour accueillir les investissements directs étrangers (IDE) et ainsi reconstruire le tissu industriel détruit par les communistes à leur arrivée au pouvoir. Ce développement inégal du territoire oppose aujourd’hui trois Chine. Adossée à la façade maritime, la Chine « utile » autour des pôles de Harbin, Shenyang, Pékin-Tianjin, Shanghai-Hangzhou, Canton-Hong-Kong. Plus à l’est, la Chine intérieure, zone de peuplement traditionnel Han et objet de grands projets nationaux depuis les années 1990. Enfin la Chine des confins occidentaux, où les régions comme le Tibet ou le Xinjiang sont progressivement reliées au reste du pays par de grands projets d’infrastructure.
La logique fédérale indienne a mené à la création d’un arc de croissance reliant New Dehli, Mumbai, Bangalore et Chennai depuis l’ouverture économique des années 1990. Cet accroissement des inégalités a contribué à l’émergence du mouvement maoïste naxalite qui contrôlait 35% du territoire indien en 2010. Le gouvernement fédéral a depuis lancé le programme du Quadrilatère d’or pour développer les réseaux routiers et ferroviaires du pays.

Des considérations environnementales majeures.
Inde et Chine sont confrontées à des problématiques de santé publique liées à la faiblesse des règlementations environnementales locales. Les grands chantiers pour valoriser l’intérieur du pays, l’exploitation des ressources du sous-sol ou encore la production industrielle anarchique ont mené à une pollution des sols, des eaux et de l’air en Chine. La situation est comparable en Inde avec l’extrême pollution du Gange et des régions industrielles du sud-ouest.

L’avenir de l’industrie automobile indienne, menace pour la croissance chinoise.

L’industrie automobile à la base de la croissance indienne.
En effet, avec le plan Mission automobile 2016-2026 dévoilé en septembre 2015 et la campagne Make in India lancée en 2014, le gouvernement indien veut s’appuyer sur ce secteur pour atteindre 12% du PIB indien et soutenir la croissance économique du pays. Il doit permettre la création d’emplois directs et indirects, à hauteur de 65 millions sur les 10 ans à venir. Par extension, il complète le projet du Quadrilatère d’or qui doit soutenir le développement des activités et la circulation des biens et des personnes. A terme, il permettrait à  l’Inde de se positionner comme un hub industriel mondial, concurrençant potentiellement la Chine, premier exportateur mondial depuis 2009.

La menace des délocalisations pèse sur la Chine.
Les autorités chinoises, si elles restent focalisées sur la satisfaction des besoins de leur classe moyenne, craignent que les investisseurs étrangers réorganisent leurs chaînes de valeur vers l’Inde. Ceci pourrait déséquilibrer une économie chinoise dont le marché automobile conserve tout son potentiel mais est actuellement encombré. Les ambitions indiennes de 70 millions d’unités annuelles menacent donc directement le développement économique chinois ce, alors que la Chine représente 11,64% de la production mondiale et l’Inde seulement 1,66%.

Un usage stratégique des IDE radicalement différent.

Inde : capter les capitaux étrangers pour doper l’industrie automobile.
La  croissance de l’Inde a longtemps reposé sur un financement interne. Les capitaux étrangers permettent donc d’accélérer son développement et non de l’insuffler. A ce titre, le secteur automobile représente 5% des IDE. Le pays dispose ainsi de savoir-faire industriels qui permettent aux constructeurs automobiles de s’approvisionner auprès de fournisseurs et de sous-traitants locaux. L’attractivité automobile indienne repose en outre sur une politique d’incitations fiscales, un système juridique inspiré du droit anglais et un coût de la main d’œuvre inférieur de 25% au marché chinois. Par ailleurs, comme la voiture connectée constitue l’avenir du secteur, la recherche et le développement peuvent avantageusement s’appuyer sur le savoir faire indien dans le domaine du numérique et de sa capacité à nouer des partenariats qui débouchent sur du reengineering.

Chine : investir dans les infrastructures et les partenariats technologiques.
L’automobile reste un secteur soumis au contrôle des autorités chinoises, ce qui souligne son importance pour la croissance chinoise. Si le 12e plan quinquennal a placé le marché intérieur au centre des priorités économiques, les marques chinoises peinent toutefois à conserver des parts de marché face à la compétition étrangère. Dès lors, le gouvernement chinois finance la construction des infrastructures indienne pour in fine contrôler ce concurrent. Dans le prolongement des accords de 2005 et ceux de mai 2015, les investissements chinois se doublent donc de partenariats dans les domaines des hautes technologies pour entre autres bénéficier des avancées dans le domaine de la voiture connectée.

Les compagnies étrangères : s’adapter aux exigences indiennes et les standardiser.
Alors que la demande intérieure absorbe difficilement les derniers constructeurs arrivés en Chine, le marché indien se distingue par des exigences très particulières. D’une manière générale, il s’agit d’une part de proposer pour moins de 3500 euros une voiture consommant peu, de moins de quatre mètres de long mais à la finition soignée et aux nombreux équipements. D’autre part, les zones rurales constituent un marché tout aussi important pour les utilitaires rustiques. Enfin, l’implantation d’un constructeur sous-entend un réseau dense de distributeurs mais également de réparateurs. A ce jour, les constructeurs indiens restent les leaders incontestés des deux marchés, avec par exemple 50% de parts de marché pour Maruti-Suzuki India. Mais si l’intérêt pour les constructeurs est bien de capter une partie de la demande indienne, il s’agit également de pouvoir exporter ces types de modèle vers d’autres marchés émergents comme le Brésil mais également la Chine intérieure et occidentale.

Le Dragon tente d’étouffer l’Eléphant.

Un avantage temporaire pour la Chine du fait de l’inertie des investissements.
Le marché chinois reste le premier bénéficiaire d’IDE depuis l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001. Il offre la possibilité de commercialiser des produits proches des standards occidentaux, tels que les berlines, les SUV, voire des modèles haut de gamme. Ces investissements lourds demandent à être rentabilisés et le recul de la production touche pour l’instant essentiellement les marques chinoises dans ce qui reste le premier marché mondial. En outre, les classes moyennes de la Chine intérieure et de la Chine occidentale assurent des perspectives sur le moyen terme aux grandes compagnies automobiles.
L’avantage comparatif indien indéniable dans 10 ans.
En 2025, le marché intérieur indien sera plus important que le chinois, avec un coût du travail qui devrait rester inférieur du fait de la vitalité démographique du pays. L’Inde, par l’appel aux investissements directs étrangers, y compris chinois, entend faire financer son développement par son concurrent, comme la Chine l’avait fait il y a 15 ans. Si aucun grand constructeur étranger n’a pour l’instant réussi à dépasser les 5% de part de marché, la mise en place de partenariats locaux devrait déboucher sur des gains de productivité. Et de nombreuses innovations seront nécessaires à la petite voiture connectée qui devrait s’exporter vers les marchés émergents dans 10 ans.

Des perspectives d’exportation soumises au respect des normes internationales.
Au-delà des capacités que développeront les industries automobiles indienne et chinoise, l’intégration des standards anti-pollution et de sécurité constituera une étape majeure dans la stratégie de conquête de nouveaux marchés et dans les rapports de force économiques qui en découleront. Si le premier constructeur chinois, Geely, a d’ores et déjà racheté Volvo, la référence mondiale de la sécurité, les concurrents indiens et leurs partenaires disposent de moins d’une décennie pour inventer le futur standard dans les domaines de la sécurité et de l’environnement.

Brice Simon

BIBLIOGRAPHIE

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Les Atlas de l’Histoire. août 2014. Inde-Chine. Atlas des mondes de l’Asie. Jean-Joseph Boillot. p. 88.


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