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Troller est un métier, et ça paye bien!

Publié le 01 décembre 2015 par Edelit @TransacEDHEC

Il y a de multiples manières de s’enrichir. L’une des plus efficaces du moment est de se plaindre de tout et de rien auprès des tribunaux. D’où l’existence des Patent-Trolls, des entreprises qui amassent des fortunes sur le dos des entreprises high-techs en exploitant les failles du système des brevets.

De la propriété au racket intellectuel

Personne ne connaît Smartflash et c’est bien normal puisque cette société n’invente rien, ne produit rien. Comment une société peut-elle survivre si elle ne répond à aucune demande ? En achetant des milliers de brevets pour attaquer à tout va les entreprises innovantes. C’est l’unique activité des Patent-Trollers comme Smartflash, qui a réussi à obtenir plus d’un demi-milliard  de dollars de dédommagement de la part d’Apple en Février dernier pour violation de brevet. Cette affaire n’est pas un cas isolé, Google a failli être condamné à reverser 1,4% de ses revenus publicitaires, soit 200M de dollars, à l’un de ces charognards du marché des hautes technologies.

On estime qu’entre 1990 et 2010, les entreprises américaines ont dépensé 500 milliards de dollars de frais de justice suite à des attaques de patent-trolls, sans compter les frais de celles qui recourent carrément à des assurances spécialisées contre ce fléau. Aujourd’hui plus de 10% du budget R&D des entreprises américaines est consacré à la défense contre les patent-trolls qui sont à l’origine de 60% des poursuites pour viol de brevet : une vraie taxe à l’innovation.

Quand la justice devient l’outil des corsaires

Le nombre de brevets déposés a quadruplé sur les 25 dernières années, ce qui aurait pu être le signe d’une révolution technologique n’est en fait que la conséquence de l’incompétence croissante des offices des brevets face à des technologies qui les dépassent. Le manque d’expertise de l’administration l’a conduit à valider de nombreux brevets triviaux en particulier dans l’informatique comme le double click ou le fait d’utiliser une image comme un lien sur un site internet. Ainsi des brevets très vagues se voient accorder une valeur légale, ce qui donne un très large spectre de nuisance à leurs détenteurs.

Les trolls, eux, savent parfaitement comment exploiter les défauts du système actuel. Ils ne se soucient même plus de savoir si leurs brevets ont bel et bien été enfreints pour attaquer. En effet les frais de justice, auxquels s’ajoutent ceux liés à une potentielle immobilisation des ventes le temps du procès, suffisent à dissuader les victimes de résister. Ainsi beaucoup de petites entreprises préfèrent céder aux demandes de royalties exorbitantes et infondées  des trolls plutôt que de se plonger dans de longues et coûteuses procédures judiciaires.

PT 3

La Silicon Valley prise à son propre jeu

Néanmoins les grandes firmes technologiques sont largement responsables du phénomène car ce sont elles qui ont inventé toutes les techniques employées aujourd’hui par les patent-trolls. La plus fourbe d’entre elle est le « hold-up ». Le principe est simple, un troll rachète à prix dérisoires des brevets tombés dans l’oubli ou sur le point de se périmer en espérant qu’une proie l’enfreigne inconsciemment, il attend alors que celle-ci l’intègre dans son processus de production pour sortir de sa manche les dits brevets : un coût maximal pour la victime en cas de procès qui préfèrera le plus souvent s’acquitter d’une licence.

Ces méthodes font largement songer à celles utilisées par les géants technos de Californie comme le montre ce témoignage de Gary Reback, avocat de Sun Microsystem, sur le conflit qui opposa son employeur à IBM :

« Une escouade d’avocat est entré dans notre bureau avec sept brevets qu’ils nous accusaient d’avoir enfreint. Mes collègues se sont armés de marqueurs et d’un tableau blanc et leur ont démontré point par point que Sun Microsystem était en règle vis-à-vis de la propriété intellectuelle d’IBM ».

Réponse des intéressés ?

« OK. Il se peut que vous n’enfreigniez pas ces sept brevets. Mais nous avons 10 000 brevets en stock. Vous voulez vraiment nous forcer à en trouver sept autres que vous transgressez ? Donnez-nous juste 20 millions et on en parle plus. »

Troller ses concurrents est aussi un bon moyen de rattraper un échec commercial. Ainsi, bien que Microsoft affiche une part de marché ridicule sur les OS pour smartphone (2,6% en 2015), elle a réussi à obtenir des royalties sur chaque Android vendu grâce à un bombardement juridique de tous les fabricants de téléphones.

Il faut voir les brevets actuels comme des armes de destruction massive. On sait par exemple que Samsung et Apple se volent mutuellement des dizaines de brevets ce qui aboutit à un certain équilibre qui équivaut plus à une collaboration tacite qu’à un véritable conflit technologique. C’est cet équilibre,  cette dissuasion bilatérale, qui est menacé par les patent-trollers, car ceux-ci ne produisent rien, ils disposent de l’arme atomique tout en n’ayant rien à perdre, ce qui rend impossible toute négociation avec eux en cas d’attaque.

La situation est devenue si grotesque que certains patrons comme Elon Musk, PDG de Tesla, prônent aujourd’hui l’éradication pure et simple du système des brevets, seul moyen selon eux d’éliminer ces nuisibles. : «  Si une entreprise dépend de ses brevets, c’est qu’elle n’innove pas ou alors qu’elle n’innove pas assez rapidement ». Cette idée est peut être radicale mais il y a urgence. En effet le système des brevets, à l’origine garant d’une innovation juste efficace, est à présent complétement détourné et, s’il n’est pas profondément revu, risque à terme de mettre des bâtons dans les roues de la croissance de demain.


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