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Un jugement proportionné ?

Publié le 15 décembre 2015 par Nicole Giroud @NicoleGiroud

Un jugement proportionné ?Elle porte bien mal son nom, Jacqueline Sauvage, cette femme qui a tué son mari de trois coups de fusil dans le dos au bout de presque un demi-siècle de violences conjugales, de perversité et d'abus sexuels divers de la part de celui à qui elle avait lié son existence dès son adolescence.

Définition du petit Larousse illustré. Sauvage : qui a quelque chose de féroce, de cruel, de grossier. Qui était sauvage, dans cette histoire, sinon le mari ? On pourrait rajouter pervers. Sourire par-devant au travail, horreur quotidienne à la maison.

Trois coups de fusil dans le dos, comment l'avocate peut-elle parler de légitime défense ?

" La légitime défense n'est absolument pas soutenable. Aux violences de son mari, elle aurait dû répondre par un acte proportionné, immédiat et nécessaire. Face à un coup de poing qui se solde par trois jours d'ITT, elle tire trois balles " scande l'avocat général dans son réquisitoire.

Un acte proportionné, immédiat et nécessaire. Discours de juriste, termes de droit, définition de la légitime défense...

" Trois coups de feu tirés dans le dos, ce n'est pas admissible ", renchérit-il.

Seulement Jacqueline Sauvage n'aurait jamais pu tirer de face. La peur l'aurait emporté et elle aurait lâché le fusil.

Cela commence par la fascination d'une adolescente pour un voyou sortant de maison de correction. Un dur, un viril qui la subjugue et en fait sa chose. Les coups deviennent rapidement le quotidien de celle qui a épousé l'amour de sa vie, comme dans les romans-photos.

Un acte proportionné, immédiat et nécessaire aurait dû être la séparation, bien sûr, des dizaines d'années avant le drame. C'est oublier l'emprise du mâle dominant. Ses regrets passagers, les mots d'amour jetés en miettes quand il sentait que sa proie risquait de lui échapper. " Je vais changer, je te jure, je vais arrêter de boire, c'est à cause de l'alcool ce qui nous arrive... "

Et il y a ce mélange de convention sociale, d'amour pour son maître, de passivité et de peur. On ne quitte pas si facilement un homme qui vous bat. Il ne permettrait pas.

La terreur s'installe, l'habitude aussi.

Les enfants naissent. Des filles qui grandissent, qui vivent à leur tour dans la terreur. Leur mère au visage tuméfié, leur père qui cogne devant elles. Les hurlements. Les pleurs. Et bientôt le silence, les jambes qui flageolent et la mâchoire crispée pour ne pas attirer les coups du père.

Jacqueline a dû attirer l'attention dans le village. Les cris dans la nuit, à la campagne, cela résonne. Elle est sans doute allée à l'hôpital, au moins chez le médecin... La gendarmerie, non, elle n'a pas osé. D'ailleurs est-ce que cela aurait servi à quelque chose ? On n'aime pas trop se mêler des affaires privées. Et la famille ? Les parents, les frères et sœurs, les cousins ? Et les collègues au travail, les amies ? Le village tout entier ?

On plaint la pauvre femme qui vit son enfer sur terre, c'est sûr, mais que faire, que faire ?

L'homme profite de son pouvoir. Il ne doit pas en avoir dans sa vie professionnelle, alors la maison, c'est son exutoire, surtout quand il a bu : plus de limites, toute-puissance et exultation.

Les coups. Mais aussi les viols. Et les filles qui se taisent, comme elles sont devenues jolies, les filles.

Ma famille m'appartient tout entière. Je suis le maître, j'ai tous les droits.

Les filles subissent à leur tour. Des années durant. On n'a rien vu à l'école ?

Elles se sauvent, quittent cet enfer, partagées entre leur survie et leurs remords de laisser leur mère seule face à la violence et à la perversité de leur père.

Un jour il va la tuer, c'est sûr... Mais elles sont prises elles aussi dans cet engrenage, malgré elles, parce qu'elles ont toujours été du côté des victimes. Ont-elles dénoncé leur père ?

Qu'est-ce qui a décidé Jacqueline à mettre des cartouches dans le canon du fusil ? Un moment de déprime plus intense que les autres ? Norbert avait cogné dur quelques heures plus tôt, il allait bientôt rentrer, cela allait recommencer. Elle a vu le fusil, pris la boîte de cartouches, gestes automatiques, elle l'avait vu faire si souvent. Elle a peut-être pensé à en finir, à se tuer maintenant que les filles étaient sorties d'affaire. Elle avait mal partout, cela ne finirait jamais, jamais, seule la mort la délivrerait de son tortionnaire. La vieillesse arrivait à pas de géants, les décennies de coups avaient accéléré le processus du temps. Se tuer ? Elle imagina le sourire de l'homme, le désespoir de ses filles.

Il rentre, il se tourne pour poser sa veste, elle tire trois coups. Pour être sûre.

Dix ans de réclusion pour un calvaire de quarante-sept ans.

Un acte proportionné, immédiat et nécessaire.

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