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la soudure

Publié le 15 décembre 2015 par Pjjp44
la soudure    Photo: source Toile
la soudure
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C'est un peu comme une péniche hollandaise qui aurait forcé sur la bière. Observez la courbure de ces épaules! Et les flancs, admirez-les! Et les bordés, ils sont tellement gras que qu'ils entrent dans la coque au niveau de la quille!
Cyndie était maintenant à hauteur de la proue de l'immense péniche. Elle était attirée magnétiquement par la coque d'acier noir, luisant et bombé. Elle posa doucement sa main sur la masse sombre, la caressa, voltigeant de-ci de-là, à la manière d'un oiseau. Les yeux dans le vague, Cyndie abandonnait ses doigts à la surface du métal, les laissant tâtonner, hésiter, et puis reprendre leur course un peu folle.
-Qu'est-ce que vous faîtes? demanda l'homme.
Cyndie ne répondit pas. Peu à peu ses doigts prirent de l'assurance, se posèrent et se mirent à suivre les lignes dessinées, striées, nervures ou coulures de métal plus pâle et plus brillant. Le majeur suivait la veine des soudures entre les plaques, tandis que le pouce caressait la moindre aspérité.
-Je lis le métal.
Jean-Jacques opina en silence. un sourire lumineux éclaircit son visage. il constata pour lui-même que Stallone ne s'était pas trompé en lui sous-louant un coin de l'atelier pour ce bout de gamine. Les Patrac avaient trouvé la perle rare.
-Qui vous a appris ça?
-Mon mec, répondit Cyndie du tac au tac. Et lui, il l'a appris de son père. Et son père à lui, de son propre père. Il était ouvrier à Saint-Nazaire. Dans les chantiers navals.
-Rambo et Stallone m'ont expliqué qu'ils vous fournissaient le métal, mais ils n'ont pas su m'expliquer ce que vous travaillez.
-je travaille pas. Je laisse faire.
-Bon...Et qu'est-ce que vous laissez faire?
Cyndie recula du ventre de la bête. Sans quitter des yeux la coque de la péniche, elle répondit.
-Je déchire les carcasses de bagnole, je les froisse et je les défroisse, j'en fais des papillons d'acier griffus, et des oiseaux en colère qui déchirent le ciel. Mais là...
Elle marqua un temps d'arrêt; il en profita pour l'interroger.
-Mais là: quoi?
-Je sais pas...C'est tellement... doux...
Sans prévenir, elle fit volte face et s'avança à quelques pas de Jean-Jacques.
-Elle va prendre la mer?
Il amorça un vague mouvement de la pointe de sa canne pour désigner les pièces:
-il faut d'abord la finir. Doubler la tôle et la souder sur les membrures, les varangues, les carlingues. Après...
Elle le coupa, montra d'un revers de pouce le ventre mafflu qui attendait derrière elle:
-Avec votre patte folle, plus jamais vous pourrez remonter pour lui travailler les flancs. Moi, je peux vous aider pour ça.
Il l'observa en silence, son visage de porcelaine, ses lèvres fines, sa mèche de cheveux blonds échappée de son chignon; Il s'arrêta sur ses yeux gris, et son regard, froid, décidé, buté.
Elle partit d'un grand rire qui s'égara dans les hauteurs de la verrière.
-Et j'en suis capable! Je suis une femme forte! Pas une carcasse de bagnole ne me résiste!
il sourit avec elle. Mais le sourire de Cyndie était carnassier et joyeusement furieux tandis que le sien était attendri et timide:
-C'est que...il faut de la douceur, Cendrillon, il faut de la douceur pour souder au ventre d'une péniche...
.../..."
Alain Guyard -extrait de: "La soudure" Editions La Dilettante-
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