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Le 13 novembre, matrice pour la création musicale ?

Publié le 17 décembre 2015 par Le Limonadier @LeLimonadier

A l’heure de la récupération politique post-13 novembre nous, au Limonadier, on a choisi d’explorer une autre voix – oui, voix. Celle de la scène musicale qui exhorte à penser les choses autrement. Qui tente de redonner un semblant de sens là où celui-ci a pu être ébranlé. Qui se construit en alternative, voire en véritable rempart, face à tous les discours alarmistes, racistes et misérabilistes. La musique comme exutoire. Un instant empli de notes, de notes et de voix seulement, et pendant lequel on nous fout (enfin) la paix.

Après tout, ne dit-on pas que la musique adoucit les moeurs ? Au vu de ce qui s’est passé, l’on pourrait – et avec raison – affirmer que non. Et pourtant des initiatives existent. Prises par des artistes, des groupes ou encore de simples amateurs, celles-ci ont contribué à nous sortir de la torpeur dans laquelle nous avaient jeté ces attaques pour nous faire envisager l’avenir autrement. Oui, un potentiel créateur est à l’œuvre. Et si, finalement, on arrivait à tirer quelque chose de beau de toute cette merde ?

L’heure n’est en tous les cas plus à l’endormissement mortifère et encore moins à la panique stérile qui a saisi la société civile après les attentats du 13. Non, l’heure est à la reconfiguration, à la réappropriation et surtout à la création. Et quoi de mieux que la musique pour cela ? N’est-elle pas une forme de langage universel, après tout. Ce qui semble avéré, c’est que celle-ci vient suppléer la parole « humaine » lorsque cette dernière ne trouve plus les mots – ou ne veut plus les trouver.

Comme une injonction à vivre et quoique l’on fasse maintenant, faisons-le en musique !

Mais ici comme ailleurs, on se trouve en terrain glissant car les dérapages et la mièvrerie sont en embuscade ! Loin de nous – bien sûr – l’idée de remettre en question la sincérité des internautes et des artistes qui ont, ces derniers temps, inondé les médias avec des reprises ou des créations originales à la qualité disons … parfois douteuse. Nous sommes en effet de ceux – positionnement éminemment contestable – qui considèrent que si la musique n’est pas morte, la critique musicale non plus.

Quand nous utilisons le mot « critique », nous voulons bien sûr parler d’articles qui recontextualisent, évaluent et discutent, et ce de la manière la plus rationnelle possible, le contenu de certaines productions musicales. Mais il y a un hic, et de taille, la subjectivité – parce qu’un « moi je » est si vite arrivé… Donc « nous », nous choisissons de vous parler des initiatives d’artistes – essentiellement – qui ont voulu mettre en récit les attentats et /ou rendre hommage aux victimes. Et si en apparence tout ça n’a pas l’air bien funky, cliquez sur deux – trois players par-ci par-là, et vous serez vite assurés du contraire.

Nous avons parlé de récupération politique au début de cet article, mais n’oublions surtout pas la forme de récupération la plus anxiogène quoi soit : celle effectuée par les médias. Paraîtrait-il que cette fois, les médias se seraient tenus à carreau. Bien. Des unes ou des extraits de JTs comportant des rescapés blessés et/ou visiblement traumatisés parfaitement reconnaissables ainsi que le début de l’attaque du Bataclan relèvent d’une forme d’exemplarité journalistique et certainement pas d’une sorte de voyeurisme malsain – non non.

Bref, laissons de côté les médias traditionnels pour parler de la webradio éphémère Good Morning Paris. Lancée quelques heures après les attentats par Christine And The Queens et Nekfeu, cette radio inspirée du film Good Morning Vietnam se voulait une arène ouverte à la parole, bien sûr, mais aussi et surtout à la musique. Chaque invité (présent ou non) a ainsi pu passer à l’antenne le morceau de son choix. La Gaîté Lyrique a ainsi eu le droit tant à un freestyle des rappeurs présents avec des membres du crew l’Entourage et de Sneazzy des 1995, notamment, qu’à une impro des zicos de Presteej, Yaya, Mickael et Guito. Le tout saupoudré de titres aussi divers et variés allant du reggae à la musique classique en passant par le rock, la soul, ou la chanson française.

Mais le 13 novembre est loin d’avoir été un moment uniquement franco-français. Pour preuve les nombreuses reprises de la Marseillaise qui ont été faites un peu partout dans le monde. Mais non, rassurez-vous, nous n’allons pas faire de medley de notre cher hymne national – nous allons plutôt parler rock’n’roll ! L’appel des Eagles of Death Metal aux musiciens du monde entier de reprendre leur titre « I Love You All The Time » a donné lieu à une belle cover live de My Morning Jacket. L’intégralité des revenus générées par les reprises de ce morceau seront, selon Josh Homme, le fondateur des Eagles of Death Metal, reversées aux victimes du 13 novembre.

Une initiative également reprise par le groupe du guitariste Dean Ween, The Dean Ween Group – gros gros brainstorming sur le nom – mais sous une version folk cette fois. Seul petit bémol, le clip. Le titre s’est en effet vu agrémenté d’une vidéo dans laquelle défile des couples qui s’embrassent. Âme sensible s’abstenir.

Savages, le groupe londonien mené par la française Camille Berthomier, alias Jehnny Beth, s’est également lancé le 2 décembre dernier à la Maroquinerie dans une reprise de « I Love You All The Time ». « Don’t let the fuckers get you down. Don’t let them take away this song » a lancé la chanteuse – et comment dire que l’on est plutôt d’accord avec elle.

Dans le genre généreux, on peut également mentionner les Foo Fighters. Le groupe de rock de Dave Grohl a décidé d’offrir leur dernier EP, Saint Cecilia, en téléchargement gratuit. Les cinq titres avaient été imaginés en une nuit dans un hôtel d’Austin, l’hôtel Saint Cecilia. Un EP composé à l’origine pour fêter la fin de la tournée mondiale des Foo Fighters mais que les membres du groupe ont voulu commémoratif, et même caritatif puisqu’un lien sur la page de téléchargement incite les internautes à faire un don aux proches des victimes.

Retour à Paname avec les punks des Béruriers Noirs. Le groupe a en effet décidé de mettre en ligne une chanson composée après les attentats de janvier dernier. Intitulé « Je ne veux pas mourir à Paris », ce titre grinçant traite de la noirceur de la nature humaine et du fanatisme religieux. « Il n’y a pas de guerres saintes, il n’y a pas de guerres justes, il n’y a que des guerres sales » scandent les Béruriers Noirs dans ce titre. Prémonitoire comme chanson, non ? A l’heure où les pays occidentaux intensifient – ou encore débutent – leurs frappes aériennes en Syrie …

Temps mort. Comme vous avez pu le constater, nous avons affaire à une production majoritairement rock. Ceci s’explique bien sûr par le genre musicale du groupe Eagles of Death Metal qui jouait ce soir là au Bataclan. Et par le fait aussi, que le rock’n’roll est un courant musical par essence contestataire. Mais comme au Limo on tient nos promesses, on va dès à présent faire entrer d’autres artistes dans la danse. Alors roulez jeunesse !

Sur un registre un petit peu plus léger donc, le frenchie Dimitri From Paris a publié sur Soundcloud un petit bijoux de mixtape sobrement intitulé  I pLay For Paris. Le DJ compile avec classe des petits bouts d’anthologie de la chanson française. Influences flamenco, techno défraîchie, disco… Tout y passe. Un véritable travail d’orfèvre qui révèle une connaissance des plus exhaustives des bas-fonds de la chanson française – et d’ailleurs. Mention spéciale pour la reprise de « Venus » de Shocking Blue à la quarante-cinquième minute. Je vous conseille d’ailleurs le visionnage du clip de l’original qui est également de très, très bon goût. Une mixtape déglinguée et généreuse qui ne demande donc qu’à être écoutée !

Des doigts de génie du bassiste américain Thundercat est née une véritable ode fleurant bon l’évasion et le sable chaud. A priori, rien à voir avec les attentats donc. Intitulé « Paris », ce morceau composé avec le producteur Mono/Poly du label Brainfeeder articule des arpèges envoûtantes à d’étranges sonorités électroniques. Un appel au calme, à la certitude de lendemains plus sereins. Soit tout ce dont nous avons besoin en ces temps troublés.

Pour la suite, voici une belle petite création – il faut le dire – tout droit des tripes de Jarvis Cocker, le leader du groupe Pulp. Il s’agit d’un titre inédit diffusé sur BBC Radio 6 Music lors du Jarvis Crocker’s Sunday Service.« Friday 13th » a ainsi été conçu avec la musicienne Serafina Steer. Durée, 6 minutes. 6 minutes pendant lesquelles Jarvis Cocker se remémore ce qu’il faisait le vendredi 13 novembre.

De sa voix profonde et envoûtante, il égrène les moments passés à s’inquiéter pour son fils, l’attente, l’actualité et les heures après les attentats. La chanson atteint une sorte de climax après l’injonction d’un ami, « La plus forte manière de résister est de simplement continuer à vivre. ». Le chanteur se lance ensuite dans une véritable déclaration d’amour pour le mode de vie parisien.

Fluctuat Nec Mergitur. Il est battu par les flots, mais ne sombre pas. Le rappeur Jazzy Bazz a choisi de rendre aux hommages aux victimes des attentats de Paris en faisant sienne la devise de la capitale le temps d’un morceau. Sur un beat signé Monomite, le rappeur du 19ème fustige les gouvernements, ces faiseurs de guerres invétérés, dont nous payons aujourd’hui le prix. Démocratie, religion, même combat. Uniquement des « symboles détournés invoqués pour tuer. ». Mais un cri d’espoir, désormais, il nous faut agir pour des lendemains meilleurs.

Mais plus qu’un mode de vie à défendre, plus que de continuer à vivre, de vivre comme avant, c’est d’une remise en question dont nous avons besoin. Et quoi de mieux que la musique pour cela ? Quoi de mieux pour s’évader, penser, créer. Réfléchir – mais surtout faire réfléchir.

Et résister. Toujours. Car l’avenir semble de plus en plus sombre. Et c’est au fond ce que nous transmettent à leur manière chacune des initiatives présentées ci-dessus. Un appel à s’unir pour changer, et à changer pour s’unir. Parce qu’après le déchirement, la haine. Et après la haine ?

C’est dans cet « après » que se cristallisent toutes les peurs. Et il est de notre devoir à tous, que l’on soit simple amateur ou artiste, fan ou musicien (ou tout cela à la fois) de dire non. De refuser ce que l’on voudra nous imposer, de refuser que l’on nous catégorise et de toujours, oui toujours, faire un bras d’honneur à cette peur de l’autre que l’on aimerait nous voir adopter.

Lea

Lea

Léa Esmery, parisienne depuis 1 an, étudiante en Info Com dans le but d'avoir un Bac+25 et de finir au chômage, rédactrice pôle rock/indé.
Mon cocktail préféré :
le Mojito - classique mais indétrônable.
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