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Huîtres: attention à l'origine sexuelle !

Publié le 30 décembre 2015 par Blanchemanche
#ostréiculture #huîtres triploïdes

Gilles Luneau, rédacteur en chef de GLOBAL

29 Décembre 2015
Huîtres: attention à l'origine sexuelle !
Il faut le savoir avant d'en gober, une huître peut cacher un jeu supplémentaire de chromosomes. Par ces temps avides d'argent facile, il est arrivé à l'huître ce que subissent déjà les semences de grandes cultures: le brevetage du vivant via des manipulations génétiques. Ainsi une bonne moitié de la production française d'huîtres repose déjà sur du bricolage génétique de la souche japonaise Crassostrea gigas. Il faut le savoir: une fois sur deux, la japonaise est triploïdeLaissons les délicieuses huîtres plates (Ostrea edulis), élevées sur les côtes bretonnes à leur joli destin de descendantes d’huîtres sauvages et intéressons-nous à l’écrasante majorité des huîtres, les creuses, soit 98% du marché national. Depuis les années 70-72 qui virent la disparition de l’huître portugaise (Crassostrea angulata) qui régnait depuis un siècle sur l’ostréiculture française, c’est sa cousine japonaise Crassostrea gigas qui prospère sur nos côtes. Normalement, les huîtres -plates ou creuses - sont diploïdes : elles contiennent deux jeux de chromosomes (2n) contenus dans le noyau de leurs cellules, l’un d'origine mâle et l'autre femelle. Sexuellement, l’huître est un animal hermaphrodite ayant en général une alternance saisonnière de ses cycles mâle et femelle. Quand vient l’été, chaque coquillage, mâle ou femelle, émet dans la mer une laitance porteuse de ses gamètes par millions. La nature fait le reste, se chargeant de nourrir ou de faire périr les larves d’huîtres (le naissain). Jusqu’à la fin du siècle dernier, les ostréiculteurs collectaient en mer le naissain d’huîtres (en favorisant sa fixation sur des supports appropriés) puis se chargeaient d’élever les huîtres dans des parcs marins.

Appât du gain

Tout gastronome le sait, « les huîtres sont laiteuses les mois sans R », période qui correspond à leur reproduction répétitive de mai à août. L’été étant la période où les côtes sont les plus fréquentées par les touristes, les esprits les plus mercantiles ont vu dans la sexualité ostréicole un abominable obstacle au commerce. Les scientifiques qui les ont suivi ont donc cherché un moyen d’enrayer les pulsions reproductrices des huîtres afin de pouvoir en vendre toute l’année. C’est chose faite avec la triploïdie, manipulation mise au point dans les années 90 aux Etats-Unis par des chercheurs de l’université Rutgers et en France par ceux d’Ifremer. Comme son nom le laisse supposer, son principe repose sur l’augmentation du nombre de chromosomes de chaque sujet : au lieu de deux jeux de chromosomes les huîtres triploïdes en ont trois (3n - un jeu d'origine femelle et deux jeux d'origine mâle). L’opération rend l’huître stérile. L’énergie que l’animal ne consacre plus à la reproduction profite à sa croissance. Non seulement les huîtres n’ont plus de laitance en été mais elle arrivent à maturité en deux ans au lieu de trois et avec une régularité de taille inégalée. La belle affaire ! Belle au point d’y avoir converti 50% de la production française.Huîtres: attention à l'origine sexuelle !

Mise sous tutelle biotechnologique et financière

Cette triploïde est le fruit d’une série de manipulations génétiques sans introduction de gène étranger qui évite à ces huîtres d’être qualifiées d’organismes génétiquement modifiés (OGM). L’opération commence par un traitement chimique pour transformer une femelle diploïde en triploïde. Ensuite, ses ovules sont accouplés avec des spermatozoïdes diploïdes pour d’obtenir des sujets tétraploïdes.  A ce stade on ne garde que les mâles qui ont donc des spermatozoïdes à deux jeux de chromosomes (au lieu d’un). Ils servent à féconder des ovules à double jeu de chromosomes (au lieu d’un) obtenus de femelle normale soumise à un traitement chimique. On obtient ainsi des huîtres à quatre jeux de chromosomes (4n) : là encore on ne garde que les mâles, qui servent alors de base pour produire avec des femelles normales des larves triploïdes.Mais l’atout de cette triploïdie – la stérilité – est aussi son principal défaut et non des moindres : le mâle est breveté par Ifremer ce qui oblige les éleveurs de triploïdes à acheter du naissain tous les ans aux écloseries où s’opère cet accouplement du mâle de laboratoire avec la femelle japonaise.Huîtres: attention à l'origine sexuelle !

Principe de précaution ?

Par ailleurs, les ostréiculteurs partisans de l’huître naturelle accusent les mâles tétraploïdes et leurs descendantes triploïdes de fuites génétiques concourant à l'appauvrissement génétique des souches naturelles. Un risque que soulignait l’INRA dans un avis de 2004 où l’institution scientifique précisait que si quelques huîtres tétraploïdes s’échappaient des écloseries, cela entraînerait « en une dizaine de générations, le basculement vers une population exclusivement tétraploïde ». Ils soupçonnent aussi le coquillage de laboratoire de favoriser la propagation de maladies (virus et bactérie) qui ravagent souvent (2008, 2013…) les parcs à huîtres.Enfin, rien n’informe le consommateur sur la qualité génétique des huîtres qu’il achète. Il serait pourtant facile et honnête d’afficher, au moins sur l’étal, la provenance des huîtres afin de pouvoir distinguer les huîtres naturelles nées en mer de celles issues d’écloserie. Au demeurant, on peut toujours le demander au vendeur.Cet article – texte, dessin, photographie ou infographie - vous a plu par les informations qu’il contient, par l’éclairage qu’il apporte, par la réflexion ou l’inconfort intellectuel qu’il provoque, par sa liberté de ton, par le sourire qu’il fait monter à vos lèvres… SOUTENEZ NOUS ! Il n’est de presse libre sans indépendance financière. GLOBAL est une association de journalistes sans but lucratif, sans publicité, qui ne vit que des abonnements et dons de ses lecteurs, lectrices. Pour s’abonner et soutenir c’est ici.MERCI DE VOTRE SOUTIEN !« L'information est indissociable de la démocratie et les journaux d'informations sont faits pour former et nourrir des citoyen-ne-s plutôt que de les distraire » 
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