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« Body Talk » au FRAC Lorraine

Publié le 03 janvier 2016 par Jebeurrematartine @jbmtleblog
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Valérie Oka © Claire Parizel – JBMT

Il est vrai que chez JBMT, nous avons plutôt l’habitude de parler des expositions visibles en Ile-de-France ; mais nous ne voulons pas négliger pour autant les belles actualités des autres villes, qu’elles soient en France ou au-delà de nos frontières. Toutefois, il ne sera pas nécessaire aujourd’hui d’aller si loin, puisque nous vous emmenons à Metz. A environ 300 km de Paris, ou 1h20 en TGV, cette ville a été médiatisée lors de l’ouverture du Centre Pompidou et continue à tenir ses promesses. C’est ainsi qu’une programmation culturelle se déploie dans de nombreux lieux (musées, galeries, pâtisseries…) parmi lesquels nous avons sélectionné une exposition qui nous a particulièrement plu.

« Body Talk » est présentée au FRAC Lorraine jusqu’au 17 janvier 2016. Créée en 1983, cette structure se caractérise aujourd’hui par son engagement toujours fort dans des sujets contemporains liés aux minorités et aux problématiques sociales variées. Ayant par le passé exploré les thématiques des migrants au sein de l’espace Schengen (2015) et du féminisme post-colonial (2013), le FRAC se fait presque à chaque exposition le lieu de débats et de réflexions qui excèdent le cadre de l’accrochage et qui touchent particulièrement par leur sincérité et leur radicalité.

Miriam Syowia Kyambi © Claire Parizel - JBMT © Claire Parizel - JBMT

C’est ainsi que l’exposition « Body Talk » se propose d’incarner la possibilité d’un féminisme africain, comme le souligne la commissaire Koyo Kouoh :

La résonance critique d’un féminisme proprement africain- et d’un féminisme noir – et l’extension des pratiques artistiques à des réseaux internationaux, ont modelé, depuis les années 1990, un art féministe noir ( issu du continent de la diaspora ) dans lequel le corps perpétue une tradition de militantisme et de libre expression.

On peut s’étonner de l’utilisation de l’adjectif « africain » avec tout ce qu’il implique d’englobant, de généralisant et donc de problématique. Néanmoins, tout contraignant qu’il soit, il permet de pointer un type de réalité qui prend corps dans un accrochage où les artistes ont pour seul dénominateur commun d’avoir une peau de couleur foncée et d’avoir vécu une partie de leur vie en Afrique. En fait, il suffit de regarder les rapides biographies des artistes pour le déjouer. Et de la même façon que le discours semble n’exister que pour se réfuter dans des détails, l’ensemble de l’accrochage est d’une nature toute singulière.

C’est ainsi qu’y sont présentées des sculptures dans un format relativement traditionnel comme The Three Graces de Marcia Kure, qui déborde depuis le mur jusqu’au sol en évoquant pêle-mêle les grandes sculptures en feutre de Robert Morris et les sensibilités de l‘Eccentric Art, lui aussi associé à des revendications identitaires… mais aussi des vidéos présentant des performances comme Tracings de Tracey Rose ou encore l’installation complexe de Miriam Syowia Kyambi.

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Miriam Syowia Kyambi © Claire Parizel – JBMT

L’artiste kenyane y présente des formes qui apparaissent ici autant comme des sculptures aux qualités plastiques évidentes que comme des traces de la performance qu’elle a réalisée pendant le vernissage et où l’acte se teinte de justification tout autant que de quête de réparation, dans une incarnation qui se réclame d’une agentivité* militante. Le corps de l’artiste se fait le support d’une narration qui présente Rose, originaire d’une région rurale et qui s’habille de façon soignée afin de se rendre en ville… et renoncera finalement au rôle qu’elle s’était construit sous la pression des représentations sociales. Ce faisant, elle affirmera sa singularité et travaillera à se créer elle-même plutôt que de se laisser modeler par la société.

En haut, la dernière salle illustre particulièrement cette nature ambiguë d’un accrochage qui ne veut pas être un lieu de présentation d’œuvres figées, se donnant au spectateur-voyeur qui apposera son regard naturalisant. Il s’agit plutôt d’un accrochage qui est l’occasion de créer un lieu où se rencontreront des êtres pris dans des trajectoires qu’ils ont la responsabilité de formuler. C’est ainsi que l’exposition est aussi une invitation à prendre part à des ateliers, des événements, et de s’engager directement dans la politique de la région puisque la page d’accueil du FRAC propose de signer une pétition contre la fermeture du Caméo Ariel, le cinéma d’art et d’essai et la ville…

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© Claire Parizel – JBMT

Le travail de Valérie Oka se donne donc à voir sous la forme de deux vidéos-documentaires d’une performance et d’un dîner-performance, ainsi qu’un tube néon qui forme la question : « tu crois vraiment que parce que je suis noire je baise mieux ? ». Sans équivoque, ce travail n’est pas un résultat mais un commencement : c’est celui qui s’adresse directement au regardant pour lui permettre non pas de faire l’œuvre comme l’a dit le très cité Marcel Duchamp, mais bien de se faire lui même. C’est aussi ça, l’agentivité.

Enfin pour terminer votre visite, n’oubliez pas de faire un tour dans le jardin où sont écloses des fleurs odorantes même en hiver…

* : terme principalement développé par Judith Butler dans des études de genre, qui se traduit par la « capacité à agir » ou « puissance d’agir ». Il désigne l’aptitude du sujet à se déterminer lui-même, que ce soit dans son genre ou dans toute autre dimension.

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« Body Talk – Feminism, Sexuality & Body » au FRAC Lorraine
Jusqu’au 17 janvier 2016
1bis rue des Trinitaires, Metz
Entrée gratuite, du mardi au vendredi : 14h-19h et le week-end : 11h-19h
Plus d’informations ici


Classé dans:Expositions Tagged: afrique, art contemporain, body talk, féminisme, frac lorraine

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