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Nuit d’hiver

Publié le 14 janvier 2016 par Elosya @elosyaviavia

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Paris 20ème, dimanche fin d’après midi, je remonte la rue Belgrand avec une amie.

On se dirige vers le métro Gambetta. Nous étions chez une de mes potes qui a organisé une après midi vide appart/galette des rois/thé au chaud pour pouvoir se délester de ses affaires avant l’arrivée dans quelques mois d’un bel évènement dans sa vie.

Il pleut, il fait froid.

Je frissonne. Je me sens fatiguée.

On discute : transition dans le boulot, de collègues, de bébés, des prochains weekends, de prochaines sorties etc.

A un moment, mon amie me prend par le bras et me fait éviter ce qui ressemble à du vomi par terre.

J’évite et on se remet à marcher. Je regarde en arrière et je vois une couverture et ce qui pourrait ressembler à une forme en dessous, un bras et le buste dépassent du tissu.

On continue à marcher, mais je n’ai plus trop l’esprit tranquille. Je repense à cette forme, il y avait quelqu’un là dessous ? Un homme je crois ?

On arrive au métro. On discute encore de longues minutes, puis mon amie s’engouffre dans la station. J’ai décidé finalement de repartir vers porte de Bagnolet qui est à 10 minutes à pied.

Parce que ce sera plus rapide pour moi pour rentrer chez moi, de reprendre le tramway.

Parce que je dois en avoir le coeur net, je dois retourner voir cette personne sous le tissu.

Je traverse la rue, je presse le pas.

Je me rapproche de l’endroit où se trouve le tissu. Je suis sur le trottoir d’en face, mais je vois distinctement un monsieur. Il a une barbe, un bonnet, il a une doudoune et une couette sur lui. Une béquille bleue semble abandonnée un peu plus loin. Est ce que c’est la sienne ? Sa posture semble différente par rapport à tout à l’heure. Je remarque qu’il est à même le sol, à même le trottoir. Il est allongé dessus. Il a les yeux fermés. Il semble dormir.

Il bouge un peu, mais continue à « dormir » (si tant que l’on puisse dormir dans un environnement urbain baigné de lumières, de klaxons et de passages incessants).

 Il fait froid, il pleut, il est là sur ce trottoir mouillé sans rien pour se protéger ou s’abriter. Son seul rempart contre la pluie, le vent, le froid, la circulation, le bruit, les putains de piétons qui passent c’est cette couette. Jaune, informe, gonflée, mais si petite pour faire rempart.

Je veux aller le voir, mais je ne sais pas quoi faire. J’ai bizarrement peur de l’importuner.

Je ne sais pas, j’hésite. Je commence à partir vers Porte de Bagnolet, en marchant doucement et en réfléchissant à toute berzingue. Qu’est ce que je fais, qu’est ce que je peux faire ? Qu’est ce que je peux faire là tout de suite, maintenant ?

Je me dis que je peux pas partir de toute façon et rentrer chez moi en gardant à l’esprit qu’il y a ce monsieur sur ce trottoir.

Là ça me revient qu’il y a un numéro dédié aux personnes sans abris. Que l’on peut prévenir si l’on estime qu’une personne est dans une situation difficile dans la rue.

Je tape des mots clés sur Google. C’est le numéro : 115. Le 115 oui c’est ça. J’appelle une première fois. L’opératrice ne m’entend pas, il y a un bug, je parle fort pourtant, mais elle n’entend rien. Elle tente de garder le contact, mais ça ne fonctionne pas. Elle m’invite à réitérer mon appel.

Second appel : j’informe l’opératrice de la situation, je lui donne le numéro de la rue où se trouve le monsieur. Je lui donne mes observations. Elle signale à une équipe qui va se rendre à l’endroit signalé pour aller voir la personne. Elle me remercie de mon appel, me souhaite une bonne soirée.

Je reste sur le trottoir en face. Immobile, j’attends, je le regarde. La pluie dégouline, elle redouble maintenant. Les gens passent et repassent, de mon côté, du sien. Ils lui jettent des coups d’oeil, mais ne s’arrêtent pas. On me jette des coups d’oeil, mais les gens ne s’arrêtent pas. C’est vrai que cela doit être étrange, ma silhouette, droite comme un i, ma doudoune et ma capuche fixée vers le trottoir d’en face.

Je vois arriver ce que je pense être le samu social.

Je me mets en mouvement.

Toute emmitouflée, je reprends la route vers chez moi.

Je frissonne.

Mais ce n’est pas la fatigue qui me glace.

C’est autre chose.

Autre chose.


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