Magazine Culture

Le saloon des derniers mots doux, ballade décalée

Publié le 22 janvier 2016 par Nicole Giroud @NicoleGiroud

Le Saloon des derniers mots doux est une ballade en prose dont les personnages flottent dans le temps ; leur légende et leur vie réelle correspondent rarement. En écrivant cet ouvrage, j'avais en tête le grand réalisateur John Ford : il est connu pour avoir déclaré qu'à choisir entre la légende et la réalité, mieux vaut écrire la légende. C'est donc ce que j'ai fait.

Voilà ce qu'écrit Larry McMurty avant de commencer son roman, Le saloon des derniers mots doux. Je vous avoue avoir choisi ce roman uniquement pour son titre poétique, énigmatique et incongru. Un saloon, pour moi, c'est le Far West, le lieu des pianos de bastringue et des bagarres, pas celui des mots doux. J'ai pris le livre.

Le saloon des derniers mots doux, ballade décaléeCela démarre comme dans un western, avec un chapeau qui tournoie dans la poussière et des cowboys. Du genre fatigué, les héros de l'Ouest, et ils donnent dès le départ un sacré coup dans la légende :

- Il est où, ton six-coups ?

- Il est peut-être derrière le bar, répondit Wyatt. Il est trop lourd pour que je le trimballe partout. Si je vois du grabuge quelque part, je peux généralement emprunter une arme à la Wells Fargo ou à quelqu'un d'autre.

- Bat Masterson affirme que t'es le meilleur tireur de l'Ouest, ajouta Doc. Il dit que tu peux atteindre un coyote à plus de quatre cents mètres.

- Bon sang, je verrais jamais un foutu coyote à cette distance, à moins qu'ils le peignent en rouge. Bat devrait me laisser le soin de vanter mes exploits s'il est pas capable de le faire de façon crédible.

Tout est dit. Ils sont tous là, les héros légendaires, Wyatt Earp et Doc Holliday, dont nous venons de saisir un moment de brillante conversation, Charlie Goodnight et Buffalo Bill. Une bande de bras cassés peu reluisants, mauvais tireurs, mauvais maris ou malades... Bien sûr qu'il y a les Indiens et une délicieuse de séquence de torture des scalpés du jour, des éleveurs bêtes, sales et méchants, une tempête de sable, un train, une bagarre, mais...

Les Indiens remercient Goodnight de leur laisser prendre la viande des bêtes tombées des falaises suite à la tempête de sable. Les enfants " n'aiment que les entrailles " et les vieilles Comanches apprécient les ris de veau ; le troupeau déchaîné est conduit par un bœuf placide, véritable animal de compagnie ; la bagarre, c'est vraiment parce qu'on ne peut pas faire autrement.

Un Ouest décalé, aux héros épuisés et devenus presque mutiques.

- Il paraît que Mackenzie est devenu fou la veille de son mariage et qu'il est mort dans un asile à New York, dit Goodnight.

- Oui, on s'est battu trop férocement contre lui, répondit Quanah. [le Comanche]

- Je parle rarement autant en une semaine, dit Goodnight avant de s'éloigner.

Seules les femmes tirent leur épingle du jeu dans cette histoire. Qu'elles fassent rêver, comme la mystérieuse San Saba, qu'elles soient courageuses comme la barmaid Jessie, ou Nelly la journaliste qui conclura cette histoire.

" Une œuvre habilement menée, drôle et subversive. une comédie postmoderne " a écrit la célèbre Joyce Carol Oates au sujet de ce roman. Je me demande si nous avons lu le même livre, car l'humour décalé, un peu triste de Larry McMurtry ne m'a pas fait rire. Il m'a fait songer à Tristesse de la terre, d'Eric Vuillard qui parle aussi de ce moment de l'histoire américaine et partage la même déréliction pour cet Ouest fondateur reconverti en spectacle pour touristes et planche à billets verts.

Qu'est-ce qui transforme certains faits en légende, et que deviennent les hommes qui ont participé, parfois involontairement, à la construire ? C'est ce dont nous parle ce livre moins léger qu'il n'y paraît, sous ses faux airs de script pour le cinéma de John Ford.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Nicole Giroud 1544 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazine