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L’Auteuil efface l’auteur

Publié le 25 janvier 2016 par Morduedetheatre @_MDT_

LEDD WEB

Critique de L’Envers du Décor, de Florian Zeller, vu le 23 janvier 2016 au Théâtre de Paris
Avec Daniel Auteuil, Valérie Bonneton, François-Éric Gendron, et Pauline Lefèvre, dans une mise en scène de Daniel Auteuil

Parfois, je suis un mouton. Comme quand je prends des places pour une comédie de Florian Zeller, alors que tous ses spectacles précédents m’avaient déplu (et je parle en connaissance de cause, j’ai vu La Vérité, Le Mensonge, Le Père, et La Mère). Je sais pertinemment que je n’aime pas son écriture, qu’elle n’a su m’atteindre que légèrement lors du Père, et ce grâce au talent de Robert Hirsch. Et je sais que ses comédies sont lourdes, vulgaires, faciles. Dans La Vérité comme dans Le Mensonge, c’était Pierre Arditi qui essayait de porter la pièce. Mais Arditi ne se donne plus comme avant, son public est acquis et il se contente de faire du Arditi. Ce qui n’est pas du tout le cas de Daniel Auteuil : grâce à cet acteur, j’ai passé ce soir-là, une excellente soirée.

Comme toujours dans les comédies de Zeller, l’histoire est la même : elle met en scène deux couples et un dîner (je suis mauvaise, ce canevas ne concerne que Le Mensonge). Isabelle et Daniel ont invité Patrick et sa nouvelle compagne Emma, de vingt ans sa cadette. Daniel craint la réaction d’Isabelle, la meilleure amie de Laurence, l’ex-femme de Patrick, devant cette jeune femme belle, séduisante, sexy. Toute la soirée, Daniel oscillera entre jalousie de son ami et tentatives désespérées de détendre l’atmosphère.

Aucun doute possible, c’est bien du Zeller. C’est facile, parfois vulgaire, encore que peu répétitif pour une fois. Les personnages sont complètement caricaturaux, mais on l’oublie vite. Finalement, ce n’est plus pour le texte qu’on est là. On l’oublie à peu près à la 5e minute de la pièce, lorsque Daniel Auteuil nous arrache un rire qui ne nous quittera plus jusqu’aux 3/4 de la pièce. Ce rire, j’ai eu du mal à l’accepter, car c’est rare que je desserre les dents devant du Zeller. Mais devant tant d’habileté et de clownerie, comment ne pas succomber ! Daniel Auteuil est tout simplement divin, et chacune de ses répliques se conclut en un rire général. Le voir jouer dans une pièce si facile, forcément, ça irrite un peu. A le voir si heureux sur scène, à se donner autant, on l’attendrait dans de grands classiques : à quand Daniel Auteuil dans un Beckett ?

J’essaie de comprendre comment un spectacle qu’en réalité j’ai déjà vu 3 fois ne m’a plu que la troisième fois ; car rien n’a changé entre cette pièce et Le Mensonge. Zeller ne s’est pas refait une plume, le contenu est toujours aussi vide et caricatural. En réalité, je pense que c’est entièrement dû au talent de Daniel Auteuil, qui signe également la mise en scène. Là où Arditi ne donne plus rien de lui-même, Daniel Auteuil donne tout et ose bien plus que son prédécesseur. Il transforme le texte de Zeller à sa sauce, et en fait tout autre chose : ce n’est plus du théâtre, c’est au bord du clownesque. Et c’est la raison pour laquelle on n’entend plus vraiment le texte et on reste bien plus sur la gestuelle, les mimiques, le tempo parfaits. Impressionnants.

Pas de doute, la pièce est écrite pour lui : les autres acteurs ne sont que des faire-valoir de son jeu. Bien dommage d’ailleurs, car bien que sa partition soit réduite, Valérie Bonneton se révèle géniale en femme jalouse et quelque peu manipulatrice. François-Éric Gendron n’est pas en reste, tout à fait convaincant en ami riche et qui expose sa richesse et son bonheur. Pauline Lefèvre est parfaitement son personnage, et on comprend facilement l’irritation de Valérie Bonneton face à cette femme immense, mince, aguicheuse, l’air un peu simple.

Malheureusement, le talent – que dis-je, le génie ! – de Daniel Auteuil ne peut toujours dépasser la simplicité de Zeller, et le rire retombe lors de la dernière scène. C’est dommage, j’aurais aimé une conclusion brillante, et cette morale bourgeoise, qui permet de réconcilier notre couple de stars, tombe totalement à plat. On retrouve ici le Zeller qu’on connaissait, malheureusement bien trop facile pour donner quelque chose de grand.

Un spectacle porté par l’immense Auteuil, grâce à qui on passe une excellente soirée.  ♥ 



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