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Louise Addy, de Martine Chevalier

Publié le 28 janvier 2016 par Francisrichard @francisrichard
Louise Addy, de Martine Chevalier

Le destin de Louise Addy, héroïne du dernier roman de Martine Chevalier, est extraordinaire et romanesque. Si les événements qu'elle a vécues n'étaient pas aussi tragiques, on pourrait même dire qu'il s'agit là d'un véritable conte de fée.

Louise, née le 10 avril 1888, est une taiseuse, une morose. Il faudra un tour de pédalo sur le Léman, en 1962, avec sa petite fille, en laquelle elle découvre une petite complice, pour qu'elle lui livre ses secrets bien gardés par elle jusque-là.

Les débuts de l'existence de Louise n'ont pas été des plus heureux, mais n'est-ce pas souvent ainsi que commencent les contes de fée? Sa mère est morte en la mettant au monde. Et tout le monde autour d'elle, justement, l'accuse de l'avoir fait mourir...

Louise est originaire de Commeire, un village valaisan de vingt feux, situé à 1454 mètres d'altitude. De son enfance elle ne garde que le souvenir des engelures, de l'égorgement des cochons, de ses chaussures trop petites ou trop grandes, de sa différence, et des histoires de loups démembrant des corps...

A quatorze ans, cette jeune fille sauvage est chassée de son village. Elle part pour Vevey munie d'une lettre de recommandation d'un vicaire d'Orsières à l'adresse du curé de son lieu de destination: "Il fallait qu'elle parte pour que le malheur se retire. Qu'elle s'en aille, loin, pour que Commeire panse ses plaies."

En fait la partie conte de fée de son histoire commence. Elle est accueillie à Vevey dans une famille opulente, les Ormond. Louis Ormond préside aux destinées de la manufacture de cigares éponyme, et sa femme, Chantal, dont la penderie la fait rêver, lui apprend à lire et à écrire, et surtout à "devenir l'une des leurs".

Pendant ces années veveysannes, de 1902 à 1910, Louise n'aspire effectivement qu'à cela. Mais elle le devient en partie seulement, restant, par exemple, à l'écart le 10 juillet 1906, jour d'un bal donné par les Ormond, au lieu d'être au milieu d'eux tous, alors qu'elle porte, comme prévu, sa robe chatoyante et ses chaussures à talons bobine. 

Le conte de fée se poursuit toutefois quand elle accompagne les Ormond en Russie impériale. Louis Ormond, en quête de nouveaux marchés, a appris par Pierre Gilliard, un précepteur d'une famille de là-bas, que le tsar Nicolas II est un fin connaisseur de cigares. Et Louise fait la connaissance des Romanov et est admise dans leur intimité.

Louise va devenir ainsi une amie très proche d'Olga, l'une des filles de la tsarine Alexandra et du tsar Nicolas. Elle va vivre avec les membres de la famille impériale de 1910 à 1918, connaître avec eux les derniers jours fastes de leur existence, et leurs dernières affres, avant que les foulards rouges ne leur réservent la fin tragique que l'on sait.

Martine Chevalier raconte les dernières années des Romanov comme si elle en avait été le témoin direct, en s'appuyant sur les petits cahiers bleus de Louise qu'elle a imaginés. Et de ces années, elle ne conserve à Louise que quelques objets russes qui lui rappellent l'enfer. Dont elle est revenue avec cette conviction: "L'enfer nourrit, le paradis délite."

Ces objets, ce sont un petit tableau sans cadre, représentant des bouleaux, des coupoles orthodoxes et une route enneigée qui ne mène nulle part; trois petits verres à thé aux motifs byzantins; et des photographies dont "le papier sépia vieillissait mal, souvent balafré par des blessures jamais cicatrisées".

Un autre objet témoigne de cette époque trouble et prolonge le récit jusqu'en 2013. C'est une pendule de bureau triangulaire, fuchsia, qui a appartenu à la tsarine Alexandra, qui est passée par les mains de sa fille Olga, peu avant qu'elle ne soit tuée, et qui renferme un message d'Olga à sa Louise Addy.

Pour comprendre l'épilogue de ce récit, comme le dit Louise à sa petite fille, il faut "avoir digéré le début". Si la digestion n'est pas aisée, parce c'est assez lugubre, la fin n'est au fond pas si malheureuse que ça. Car Louise aura au moins trouvé auprès de sa petite fille une oreille d'abord réticente, puis attentive, enfin captivée.

Sa mémoire aura été transmise. N'est-ce pas l'essentiel?

Francis Richard

Louise Addy, Martine Chevalier, 256 pages, Éditions de l'Aire


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